Suite de l’article précédent, dans lequel nous avons vu Marcellienne Expilly se marier.

Malheureusement, le jeune marié est né à Auteuil, c’est-à-dire désormais à Paris, et nous n’avons pas de registre de naissances pour y chercher davantage de renseignements. Si l’acte de mariage dit qu’il a été admis aux hospices de Paris à l’âge d’un an, le registre d’admission des enfants assistés pour 1842 nous dit, à la date du 19 octobre 1842, qu’il est un enfant abandonné (et pas trouvé), de père et de mère non dénommés, et qu’il est envoyé en nourrice le 24 octobre à Auxerre. Les autres lieux où sont envoyés les enfants en nourrice sur la même page du registre (Avallon, Semur…) indiquent sans doute un transport par coche d’eau sur la Seine et l’Yonne ?

Pour Marcellienne, c’est l’inverse, nous avons l’acte de naissance, mais (réponse faire à Jean-Jacques Méric par les archives départementales de l’Yonne), nous n’avons pas d’information sur la suite. Heureusement, elle-même va nous dire un peu de vérité, et l’enquête menée à la demande du conseil de guerre par la gendarmerie nous en apprendra davantage.

Parce qu’il y a un conseil de guerre et une enquête. Et même deux enquêtes, comme on va le voir. Pour des faits survenus le 26 mai 1871.

En gros : Marcellienne est partie à Paris. Elle y était pendant la Commune. Elle a été arrêtée en août 1871 pour participation à une exécution le 26 mai. Elle a donné une fausse identité, a fini par être condamnée à mort pour ce fait, mais sous ce faux nom. Elle avait beaucoup menti, au moins sur son état civil, et la deuxième enquête a eu pour but de déterminer sa véritable identité. Sans modifier la condamnation à mort, qui a été commuée plus tard en travaux forcés à perpétuité. C’est pourquoi elle est partie pour Cayenne, comme je l’ai déjà raconté.

Pour commencer, l’identité (fausse) sous laquelle elle a été arrêtée et jugée, Amélie Clairiot, était celle d’une de ses amies de Charbuy. J’inclus donc une information d’état civil sur la vraie Amélie Clairiot.

À Charbuy, un an et demi après avoir marié Marcellienne, le 24 novembre 1869, le maire de Charbuy marie  Amélie Célestine Clairiot, âgée de dix-huit ans, fille d’un scieur de long, et Rémy Bossin, un ouvrier maçon de vingt-deux ans habitant Appoigny. L’un des témoins de la mariée est un scieur de long, Isidore Pantaléon, qui a épousé une de ses sœurs un an plus tôt. On va voir qu’Amélie Clairiot était une amie de Marcellienne. Celle que l’on nomme « la fille Clairiot » était une femme mariée, d’ailleurs bientôt veuve. Son mari a été tué dans les combats et est mort à Dijon le 30 octobre 1870.

Pour l’instant, je n’ai donné que des informations d’état civil. Pour la suite, j’ai amplement utilisé les archives des conseils de guerre conservées au SHD puis des Archives nationales (pour la grâce et le bagne). Voici donc la suite de l’histoire de Marcellienne.

Pour commence, elle part à Paris. Le maire de Charbuy, qui s’appelle maintenant Betagon, écrit au procureur de la République, le 2 août 1872 que

Quelque temps avant son mariage, qui eut lieu le 12 mai 1868 avec le nommé Adolphe Eugène enfant des hospices de Paris, elle habitait Charbuy et se faisait remarquer par le désordre de sa conduite.
Aussitôt mariée, ses mauvais penchants s’affichent au grand jour ; son mari d’un caractère faible et d’une intelligence peu développée était souvent battu par elle et dans le courant de l’année 1869, elle le quitta volontairement pour se rendre à Paris accompagnée de la Vve Bossin. Depuis ce temps je n’en ai plus entendu parler.

C’est plutôt confus. La « Veuve Bossin » désigne (par anticipation) Amélie Célestine Clairiot, et ce départ semble difficile à dater si Amélie s’est mariée à Charbuy le 24 novembre 1869. Marcellienne elle-même a dit être partie après la Toussaint 1869. Si c’est le cas, Amélie n’était pas avec elle. Pourtant un rapport ultérieur (juillet 1872, conseil de guerre, fondé sur des renseignements venus de la gendarmerie d’Auxerre) affirme

En 1869, avant son départ pour Paris, elle s’est présentée chez M. le maire de la commune de Charbuy (Yonne) demandant un certificat qui lui a été refusé pour la raison qu’elle était sous la tutelle de son mari.
Elle a quitté Charbuy, malgré cela, se rendant à Paris, avec une fille Clairiot Amélie Célestine son amie.

Tout laisse donc à penser que les deux jeunes femmes sont parties ensemble et qu’Amélie Clairiot est rentrée à Charbuy et s’y est mariée.

À suivre

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La carte de Charbuy à Auxerre (aujourd’hui) est due à Openstreetmap.

Sources: Archives de Paris pour le registre d’admission des enfants assistés pour 1842 (vue 15). Archives départementales de l’Yonne, registres de Charbuy pour le mariage d’Amélie Clairiot en 1869 (vues 170 et 171) et celui de sa sœur en 1868 (vues 162 et 163), registre d’Appoigny 1871 (vue 280) pour le décès de Rémy Bossin.

Service historique de la défense, GR 8J 224 et 128. Merci à Maxime Jourdan pour ses photographies de ces documents.

Merci à Jean-Jacques Méric pour son aide.