À l’opposé du « beau réac » auquel j’ai consacré une série (cet article et les suivants), voici Marcellienne Expilly, déjà mentionnée dans une série « bagnardes » (cet article et les suivants).

Marcellienne Expilly est née à Auxerre. Voici son acte de naissance :

L’an mille huit cent quarante huit, le dix huit novembre à midi, devant nous Maire de la ville d’Auxerre, officier de l’État civil a comparu le citoyen Pierre Denis, concierge de l’Hôtel-Dieu de cette ville, âgé de trente-cinq ans, qui a déclaré que le quinze du courant à six heures et demie du soir, il a été exposée au susdit Hôtel-Dieu une fille nouvellement née laquelle a été nommée Marcellienne Expilly; la dite déclaration faite en présence des citoyens Henri Joseph Addenin employé, âgé de trente-huit ans et Pierre Benoit Cocquelin, garçon de bureau, agé de quarante ans demeurant à Auxerre; lesquels et le déclarant ont signé avec nous après lecture faite.

[signé] Addenin [qui signe avec trois points], Cocquelin, Denis
Uzanne

Elle est donc née le 15 novembre (ou peu de jours avant) 1848 et elle a été abandonnée (« exposée »).

Le registre des naissances d’Auxerre en 1848 contient 433 enfants. Selon Jean-Jacques Méric (ça ne veut pas dire que je n’y crois pas mais que je n’ai pas compté moi-même), 83 d’entre eux étaient « exposés » (presque un sur cinq).

L’acte ne dit pas qui a choisi le nom et le prénom (ce dernier était déjà très rare) du bébé. Un responsable de l’Hôtel-Dieu ? L’officier d’état civil ? Nous verrons un peu plus bas que l’enfant avait été abandonnée avec des prénoms (Marie Emelie).

Les renseignements suivants que nous avons sur elle viennent, presque vingt ans après, de son acte de mariage. Celui-ci se passe dans la commune rurale de Charbuy, environ 1 300 habitants, à dix kilomètres d’Auxerre. Le maire a lu l’annonce du mariage « à haute et intelligible voix » le dimanche 19 avril, puis le dimanche 26 avril devant la porte de la maison commune. Le mariage a eu lieu le 12 mai 1868. Voici le texte de l’acte :

L’An mil huit cent soixante huit, le douze mai à onze heures du matin, pardevant nous Louis Etienne Mocquet, maire, officier de l’état civil de la commune de Charbuy, canton d’Auxerre, département de l’Yonne, sont comparus publiquement en la maison commune : Adolphe Eugène, âgé de vingt-six ans, domestique, demeurant à Charbuy, né à Auteuil, département de la Seine, le dix-sept octobre mil huit cent quarante et un, de père et mère inconnus, ancien élève des hospices de Paris, où il a été admis le vingt deux octobre mil huit cent quarante deux sous le n° matricule 3320, libéré du service militaire, ainsi qu’il résulte du certificat délivré par Mr le Préfet de l’Yonne, le quatorze avril dernier, constatant que le n° 62 lui est échu au tirage et n’a pas été compris dans le contingent, habile à contracter mariage d’après l’article 160 du code Napoléon. Et Expilly Marcellienne, âgée de dix neuf ans, domestique, demeurant à Charbuy, exposée à l’Hôtel-Dieu d’Auxerre le 15 novembre 1848 étant nouvellement née, et où elle a été inscrite le même jour sous le n° matricule 936 du Registre Matricule comme enfant trouvée, laquelle étant mineure et encore sous la tutelle de l’Administration, est autorisée à contracter mariage avec le sieur Adolphe Eugène sus-nommé, par la commission administrative de l’Hôtel-Dieu d’Auxerre aux termes de sa délibération du 8 mai courant; lesquels nous ont requis de procéder à la célébration du mariage projeté entre eux et dont les publications ont été faites en cette commune les dimanches dix-neuf et vingt-six avril mil huit cent soixante huit à l’heure de midi. Aucune opposition audit mariage ne nous ayant été signifiée, faisant droit à leur réquisition, après avoir donné lecture des actes de naissance des futurs époux, des actes de publication relatives à leur mariage, du consentement à mariage produit par la future, ainsi que du chapitre six du titre du code Napoléon intitulé Du mariage; les futurs époux nous ont déclaré qu’il n’existe pas de contrat de mariage; nous leur avons demandé s’ils voulaient se prendre pour mari et femme, chacun d’eux ayant répondu séparément et affirmativement, nous prononçons au nom de la loi que Adolphe Eugène et Expilly Marcellienne sont unis par le mariage. De quoi nous avons dressé acte en présence de Jean Auguste Bouret, âgé de vingt-six ans, et de Germain Clovis Hédot, âgé de vingt-six ans, tous deux cultivateurs, domiciliés au Placeau, commune de Charbuy, amis du marié; de Edme Joseph Rigollet, âgé de quarante-sept ans, demeurant à Vieuxchamps, hameau de Charbuy et de Amé Jules Adéral Tinardon, âgé de vingt-huit ans, domicilié au Bois de Charbuy, commune de Charbuy, tous deux amis de la mariée; et après lecture du présent acte aux mariés et aux témoins, les témoins ont signé avec nous; quant aux mariés, ils ont déclaré ne savoir le faire.

[signé] Rigollet Bouret Hédot
Tinardon Jules Moquet maire

D’où nous apprenons que les institutions qui ont pris en charge ces deux enfants abandonnés ne leur ont pas appris à écrire et qu’elles les ont placés comme domestiques, sans doute dans des fermes. On apprendra dans un article suivant que Marcellienne a servi comme domestique depuis son plus jeune âge. Les publications des bans, nous apprennnent qu’au moment de son mariage elle habitait au Bois de Charbuy (comme l’un de ses témoins) et Eugène dans le hameau du Placeau, à un kilomètre de là (comme ses témoins). L’acte en dit peu sur les témoins, pour la plupart très jeunes. On aurait pu imaginer que les patrons de ces domestiques soient témoins à leur mariage, mais ce n’est pas le cas. Il est vrai que, comme on le verra plus tard, la patronne de Marcellienne était une femme (veuve Dufour) et que les femmes n’étaient pas témoins.

Dans le prochain article, nous verrons Marcellienne partir pour Paris.

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Le dessin d’Auxerre au dix-neuvième siècle est dû à Hubert Clerget. Je l’ai trouvé sur Gallica.

Sources: Les archives départementales de l’Yonne en ligne (naissances, Auxerre 1848, vue 100, et actes de la commune de Charbuy, 1868, vues 97 et 98 pour la publication, 160 pour le mariage).

Merci à Jean-Jacques Méric et à Maxime Jourdan pour leur aide.