Suite de la série sur Marcellienne Expilly. Pour le début, aller ici, pour l’article précédent, aller là.

Marcellienne est arrêtée le 10 août 1871 au bal Bourdon (à la suite d’une dénonciation) : elle est tout simplement en train de danser — avec un sergent de ville. C’est le commissaire du quartier des Arts-et-Métiers qui l’a arrêtée. Pourquoi ? Toutes les adresses qu’on lui connaît sont dans le quatrième arrondissement à proximité de la Bastille (voir le plan illustrant l’article précédent).

Elle a été aussitôt interrogée, par les policiers le 11 août et par le juge d’instruction Louis Nicolas de Loverdo le 12. Entre temps, bien entendu, une perquisition avait eu lieu chez elle, au cours de laquelle on a trouvé des gants (de gendarme ?) maculés de sang et des lettres.

Au cours des interrogatoires (elle a fait les mêmes réponses au juge d’instruction qu’au commissaire), elle a déclaré s’appeler Clairiot Amélie, avoir 22 ans, être célibataire, domestique, sans place, et loger dans un garni 10 rue des Tournelles. Chambre n° 16. Elle venait du 105 [bis] rue Saint-Antoine et était entrée rue des Tournelles le 31 juillet. D’après le livre des garnis, elle occupait cette chambre n°16 avec un photographe nommé Alfred Albert Lafontaine. Ce qu’elle a expliqué en disant qu’elle l’avait rencontré, était sans ressources et donc il a couché « cette nuit » avec elle. Le « cette nuit » et la durée de cette cohabitation ne sont pas clairs.

Si le nom qu’elle a donné était faux, elle a donné sa vraie date de naissance et a déclaré être née de parents inconnus.

Elle a dû alors expliquer d’où elle tenait le fusil et la cartouchière qu’elle portait le 26 mai. Voici ce qui est sa première version de cette histoire:

Je me trouvais avec deux femmes chez un marchand de vin du f.g. St Antoine : ces femmes étaient à la recherche de leurs maris : comme les projectiles tombaient alors avec profusion dans le f.g., j’ai pris la fuite dans la direction du père Lachaise. Lorsque je suis arrivée sur la place de la Roquette, j’ai vu un grand rassemblement composé de femmes, d’enfants et de fédérés en armes : il y avait aussi des marins armés, on m’a dit qu’ils emmenaient des gendarmes pour les fusiller, j’ai alors eu la crainte que mon amant Clément ne fût au nombre des captifs et j’ai suivi le groupe. Ils étaient trois prisonniers vêtus de blouses blanches. La foule est entrée avec eux dans l’intérieur [de la prison] des jeunes détenus. Ne sachant comment y pénétrer et comme j’avais vu des femmes armées qui en raison de cela peut-être avaient pu entrer dans cette maison, j’ai pris des mains d’un jeune homme d’une quinzaine d’années un fusil qui était en mauvais état, une cartouchière et je suis également entrée dans la prison. Une fois dans cette prison j’ai fait tout ce que j’ai pu pour voir les prisonniers, mais mes efforts ont été vains, je suis sortie ensuite avec d’autres femmes et quelques hommes qui ne servaient pas la Commune, j’ai une fois dans la rue jeté mon fusil et ma cartouchière, mais des témoins en me voyant jeter mon arme, des fédérés ont dit que j’étais une espionne, une femme de sergent de ville et ils m’ont emmenée à la Mairie du XIe arrondt pour me fusiller ; c’est grâce à la rencontre d’un camionneur que je connais, dans cependant pouvoir dire son nom ou son adresse, que j’ai été relaxée. Il a dit que j’étais une ouvrière et qu’il répondait de moi. Je me suis cachée le samedi [c’est-à-dire le lendemain], et le dimanche je suis retournée à Versailles.

Elle nie tout ce que les témoins disent de son implication dans l’exécution. On lui pose ensuite la question des gants maculés de sang trouvés chez elle.

Ces gants doivent appartenir à mon amant le gendarme Clément [Sauzer]. Quant aux taches de sang, il est probable que ces gants se trouvant dans le tiroir de la commode mêlés à mon linge sale, ils se sont tachés au contact de mon linge de corps sali par l’écoulement de mes menstrues.

Ce que je cite, c’est ce que les policiers transcrivent de ce qu’elle dit, dans leur langage à eux. L’ « écoulement de mes menstrues » le montre à l’évidence. Nous n’avons aucun moyen de savoir comment elle parlait. Cet exemple donne presque envie de voir la tête de l’interrogateur — il a dû se la gratter avant de trouver l’expression « correcte ».

On lui reproche sa mauvaise conduite : elle a beaucoup d’amants, elle fréquente les bastringues… La perquisition n’a pas trouvé que les gants, mais aussi « plusieurs lettres d’amour ». Treize d’après le rapport du commissaire. Plusieurs signées par Clément Sauzer. Il y avait aussi cinq enveloppes de lettres adressées à « Amélie ». Ce qui pose la question : Marcellienne savait donc lire ? En tout cas, elle déclare encore ne pas savoir signer.

Dès le 16 août, son casier judiciaire (vierge) a été envoyé d’Auxerre (son casier était bien vierge, mais celui-ci était celui d’Amélie Clairiot).

Son procès se prépare, semble-t-il. C’est ce que nous verrons dans le prochain article.

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L’image de couverture est le début de l’interrogatoire de Marcellienne (dite alors Amélie) par le juge Loverdo.

Sources. Toujours le dossier en conseil de guerre au SHD. Merci à Maxime Jourdan pour ses photographies de ces documents.

Merci à Jean-Jacques Méric pour son aide.