À la demande d’Emmanuel Fureix, j’ai écrit, en janvier 2024, un petit article sur le drapeau du 143e bataillon, pour un site consacré à des « objets politiques ». Des investigations que j’ai menées pour l’écrire, j’extrais une série d’articles, plus généralement, sur « le » drapeau rouge, dont voici le premier. Ainsi cet été 2024 sera pour moi sous le signe du drapeau rouge!

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Les révoltés du moyen âge
l’ont arboré sur maints beffrois. 

… Ce n’est sans doute pas vrai. À moins que… des emblèmes de jacqueries, dont certains étaient fleurdelisés… et donc, probablement de la couleur des drapeaux des rois — ce n’est pas contre les rois que se révoltaient les « jacques » mais contre leurs seigneurs —, rouges, alors ? Je ne vous recopie pas le beau livre de Maurice Dommanget, Histoire du drapeau rouge qui, bien qu’assez ancien (1966), est toujours très recommandable et dans lequel j’ai beaucoup appris.

Je ne dirai pas non plus en détail comment le drapeau rouge, utilisé en octobre 1789 comme signal de l’emploi de la force du pouvoir contre d’éventuels opposants — à l’opposé de ce qu’il évoque aujourd’hui —, est devenu en 1832, lors des funérailles du général Lamarque, un drapeau d’insurgés : le drapeau tricolore, acclamé lors de la révolution de 1830 contre le drapeau blanc de la Restauration, était devenu celui de Louis-Philippe. Je ne redirai pas comment, en février 1848, Lamartine s’est employé à le refuser (scène représentée sur la couverture de cet article, que j’ai déjà utilisée en évoquant cette histoire dans un article plus ancien). Par contre, et parce que c’est moins connu, voici une circulaire édifiante que Victor Hugo a adressée aux électeurs de la Seine (elle est parue dans le Journal des Débats le 26 mai 1848) :

Deux républiques sont possibles.

L’une abattra le drapeau tricolore sous le drapeau rouge, fera des gros sous avec la colonne, jettera bas la statue de Napoléon et dressera la statue de Marat, détruira l’institut, l’école polytechnique et la légion d’honneur, ajoutera à l’auguste devise : Liberté, Égalité, Fraternité, l’option sinistre : ou la Mort ; fera banqueroute, ruinera les riches sans enrichir les pauvres, anéantira le crédit, qui est la fortune de tous, et le travail, qui est le pain de chacun, abolira la propriété et la famille, promènera des têtes sur des piques, remplira les prisons par le soupçon et les videra par le massacre, mettra l’Europe en feu et la civilisation en cendre, fera de la France la patrie des ténèbres, égorgera la liberté, étouffera les arts, décapitera la pensée, niera Dieu; remettra en mouvement ces deux machines fatales qui ne vont pas l’une sans l’autre, la planche aux assignats et la bascule de la guillotine ; en un mot, fera froidement ce que les hommes de 93 ont fait ardemment, et, après l’horrible dans le grand que nos pères ont vu, nous montrera le monstrueux dans le petit.

L’autre sera la sainte communion de tous les Français dès à présent, et de tous les peuples un jour, dans le principe démocratique ; fondera une liberté sans usurpations et sans violences, une égalité qui admettra la croissance naturelle de chacun, une fraternité, non de moines dans un couvent, mais d’hommes libres; donnera à tous l’enseignement comme le soleil donne la lumière, gratuitement; introduira la clémence dans la loi pénale et la conciliation dans la loi civile; multipliera les chemins de fer, reboisera une partie du territoire, en défrichera une autre, décuplera la valeur du sol; partira de ce principe qu’il faut que tout homme commence par le travail et finisse par la propriété, assurera en conséquence la propriété comme la représentation du travail accompli, et le travail comme l’élément de la propriété future; respectera l’héritage, qui n’est autre chose que la main du père tendue aux enfants à travers le mur du tombeau; combinera pacifiquement, pour résoudre le glorieux problème du bien-être universel, les accroissements continus de l’industrie, de la science, de l’art et de la pensée; poursuivra, sans quitter terre pourtant et sans sortir du possible et du vrai, la réalisation sereine de tous les grands rêves des sages; bâtira le pouvoir sur la même base que la liberté, c’est-à-dire sur le droit; subordonnera la force à l’intelligence; dissoudra l’émeute et la guerre, ces deux formes de la barbarie; fera de l’ordre la loi des citoyens, et de la paix la loi des nations; vivra et rayonnera; grandira la France, conquerra le monde; sera, en un mot, le majestueux embrassement du genre humain sous le regard de Dieu satisfait.

De ces deux républiques, celle-ci s’appelle la civilisation, celle-là s’appelle la terreur. Je suis prêt à dévouer ma vie pour établir l’une et empêcher l’autre. 

Dans le prochain article, je considérerai le drapeau rouge de juin 1848 au 31 octobre 1870.
À suivre, donc.

Livre utilisé

Dommanget (Maurice)Histoire du drapeau rouge: des origines à la guerre de 1939, Librairie de l’Étoile (1966).