En temps normal, on en aurait fait tout un plat, de cette révolution, une comme nos politiciens les aiment, une avec des « grands hommes » (des politiciens habiles), ah! Gambetta!… — mais y a-t-il vraiment eu une révolution?

À l’écart des (peut-être) commémorations, je me contente de rappeler ici que, ce jour-là, le 4 septembre 1870, le drapeau rouge a, brièvement, flotté sur l’Hôtel de Ville de Paris. Adolphe Clémence nous l’a déjà dit, le mentionnant brièvement dans son carnet.

La parole à notre reporter. Aujourd’hui il s’appelle Florent Rastel. Il est de la foule qui envahit le « Corps législatif ». Et, oui, Gambetta y est aussi. C’est lui qui parle.

— Citoyens… nous déclarons que Louis-Napoléon Bonaparte et sa dynastie ont à jamais cessé de régner sur la France!

L’austère salle des séances du Corps législatif grelotte sous le déchaînement des enthousiasmes.

— Et la République? répètent des voix insistantes.

— À la place de Grève, vite!

— Pourquoi?

— J’sais pas, mais on y va!

Sur les quais, les citoyens par centaines, par milliers, ont pris leurs jambes à leur cou. Les plus jeunes arrivent les premiers en vue de l’Hôtel de Ville.

Le reporter en tient pour Belleville.

— Holà, Belleville! Voilà le chapeau de M. Schneider!

Vous vous souvenez certainement de M. Schneider, personnification de la collusion entre le pouvoir (il était président du Corps législatif) et le capital (il était le grand patron du Creusot), dont nous avons tant entendu parler dans La Marseillaise, et dont vous retrouverez le magnifique portrait en couverture d’un des articles de cette série. Eh bien, un des ouvriers — un fondeur — de Belleville qui accompagnent notre reporter se plaint:

— Lui, il m’a échappé, j’ai attrapé que le chapeau.

Un autre, un charpentier de Charonne, a essayé de faire crier « Vive la Sociale! » au général Trochu… Mais nous voilà à l’Hôtel de Ville.

Un homme se hissait sur le clocheton de l’Hôtel de Ville. Il y déployait un drapeau: la ceinture en flanelle rouge d’un zouave.

Le charpentier de Charonne reconnaît le grimpeur:

— C’est Châtelain! Eugène Châtelain, un ouvrier ciseleur, un révolutionnaire de quarante-huit, mais attention, un bougre qui a appris par lui-même, qui fait des chansons, qui clouerait le bec à un cardinal.

La place de Grève était une prairie de fleurs sauvages et d’herbes folles sur laquelle se balançaient des boqueteaux de fusils, des feuillages de drapeaux; sous le soleil, elle crissait de vies cachées et besogneuses, elle embaumait la campagne de juin.

Oui, voilà, une révolution, c’est au printemps! Notre Florent est poète…

En parlant de poésie. Vous vous souvenez d’Eugène Châtelain? Oui, c’est l’auteur du poème Jeanne.

Quant au drapeau rouge, Florent Rastel s’est souvenu, des années plus tard:

Mais déjà, c’est d’autres emblèmes qu’on escamote. Le 4 septembre au soir, dès que le peuple eut quitté, si joyeux, la place de Grève où venait de naître la IIIe République, les nouveaux maîtres du pouvoir faisaient discrètement arracher le drapeau rouge de l’Hôtel de Ville, la ceinture de zouave que Châtelain avait hissée sur le clocheton.

*

Le risque était faible que le drapeau rouge devienne celui de « notre » république. Au cours de diverses discussions, je me suis aperçue que cette histoire, celle qui suit, était mal connue. J’ai donc choisi pour illustrer cet article une image d’une autre révolution, celle de février 1848. Le tableau s’appelle Lamartine refusant le drapeau rouge, il est au musée du Petit-Palais à Paris. Vous pouvez cliquer sur l’image pour en voir les détails.

Henri Félix Philippoteaux, Lamartine refusant le drapeau rouge devant l’Hôtel de Ville

Il fallait choisir un drapeau — et, voyez-vous, notre grand homme et politicien habile a refusé le drapeau rouge qu’on lui proposait et qui, selon lui, n’avait jamais fait que le tour du Champ de Mars, traîné dans le sang du peuple — celui qui venait de lui apporter le pouvoir — alors que le tricolore, lui, avait fait le tour du monde avec la République et l’Empire.

*

Le drapeau rouge sur le clocheton de l’Hôtel de Ville le 4 septembre est avéré.

Pourtant, celles et ceux d’entre vous qui ont cliqué sur le nom d’Eugène Châtelain ci-dessus et ont lu la notice du Maitron s’étonnent peut-être que ce « haut fait », le drapeau rouge du 4 septembre, n’y soit pas rapporté. Le texte « de Florent Rastel » cité ici est une rare source qui précise « qui » a hissé ce drapeau.

Florent Rastel est le narrateur du roman Le Canon Fraternité, de Jean-Pierre Chabrol. Lequel a certainement appris cette histoire de son ami Maurice Choury. Celui-ci mentionne en effet, dans un de ses livres, Châtelain et le drapeau rouge. Mais je n’ai pas trouvé la source de Choury… Appel au peuple…

En attendant vos réponses, Châtelain continue à hisser le drapeau rouge… comme le raconte Florent Rastel. Un exemple du pouvoir de la littérature…

Livres cités

Chabrol (Jean-Pierre)Le Canon fraternité, Paris, Gallimard (1970).

Choury (Maurice)La Commune au cœur de Paris, Éditions sociales (1967).

Cet article a été préparé en mai 2020.

[Ajouté le 8 décembre 2020. Voir aussi la belle et excellente page des archives de Paris sur les cent cinquante ans de la guerre franco-prussienne et plus précisément son article sur le 4 septembre 1870.]