Un drapeau du 143e bataillon de la Garde nationale se trouve au musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis. Il se présentait comme ceci:
- Il est grand. Il mesure 111 cm sur 115: c’est un carré de 107 cm de côté, plus la frange en passementerie dorée, qui court sur trois côtés — pas de frange du côté de la hampe,
- il y a les trous, qui n’ont peut-être pas été faits par des balles mais par des mythes (euh… des mites) ou simplement par le temps,
- il y a l’inscription, qui est imprimée.
Si je dis qu’il se présentait ainsi, au passé, c’est qu’il a été restauré. Oui oui, on peut restaurer un drapeau. Une autre fois, je vous raconterai le drapeau du 145e, qui a aussi été restauré et se trouve à Lausanne… et celui du 164e, qui est dans les Pouilles…
Celui-ci, celui du 143e, est à Saint-Denis. Il n’est pas exposé actuellement dans la magnifique collection sur la Commune du musée, mais j’ai eu la chance d’être invitée à aller le voir dans les réserves, il y a quelques jours, le 31 août 2017. Grâce à la photographie utilisée sur la couverture de Comme une rivière bleue, qui en fait un peu « mon » drapeau.
Je ne sais pas s’il a servi comme drapeau de parade ou de bataille, pour défiler en allant au combat ou en en revenant, ou pour se faire photographier avec…
Il y a l’histoire de ce drapeau après la Commune. Certainement, il a été caché (ici je pense à Victorine B., qui avait entouré celui des Défenseurs de la République autour de son corps à la fin des combats de la Semaine sanglante). Caché et conservé précieusement jusqu’à l’amnistie des communards, puis leur mort et celle de leurs enfants… jusqu’à ce que quelqu’un en fît don au musée. Ceux de Lausanne et des Pouilles ont une histoire bien différente, mais ce sera pour une autre fois…
Mais assez parlé de ces bouts de tissu, de ce bout de tissu.
Très beau pour faire une couverture de livre.
Mais… comme dans le livre, derrière le drapeau, il y a, il y a eu des hommes, et même des femmes.
Le 143e bataillon, donc. Un bataillon du dixième arrondissement, qui avait son siège à proximité de la mairie, 76 rue du Faubourg-Saint-Martin. Je n’en sais pas plus: je n’ai pas vu de bataillon cité, ni pour faits de vaillance, ni pour mauvais comportement…
… mais je connais le nom, et même un peu plus, d’un capitaine de ce bataillon.
Il s’appelait Marchand, ses prénoms étaient-ils Jules Auguste ou Jules Denis, ce n’est pas clair, disons Jules Marchand. Il a eu vingt ans le 23 mai 1871. Il était commis d’architecte et habitait dans le dixième arrondissement, 270 rue du Faubourg-Saint-Martin, tout en haut (entre les métros Stalingrad et Jaurès, pour les lecteurs d’aujourd’hui).
Il s’est sans doute caché après la Semaine sanglante, puisque qu’il a été condamné par contumace le 24 octobre 1872, arrêté en 1874 et condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée, peine commuée en quatre ans de prison en 1876 et remise en 1878.
Mais, pour une fois, son nom ne nous est pas connu seulement parce qu’il a été condamné (même s’il l’a été).
De lui je peux vous dire que, au matin du 16 mai 1871, jour où les foules se pressaient pour voir joyeusement chuter la colonne Vendôme, il est allé passer un concours pour devenir officier d’état-major.
C’était un concours difficile, et il dut « plancher », comme on ne disait peut-être pas, sur le sujet:
Du rôle de la Garde nationale dans les différentes révolutions parisiennes
et il ne s’en tira pas trop mal, évoquant — avec la vigueur de ses sentiments républicains et socialistes, vigueur qu’il s’agissait de démontrer — les rôles très différents joués par la Garde nationale en Juin 1848 et le 31 octobre 1870. Il obtint la note de 6 sur 10, ce qui était plutôt bien.
Le 16 mai… Il n’eut certainement pas le temps de devenir officier d’état-major.
Sa copie a été conservée, et elle a été reproduite par Jacques Rougerie dans un article de 1961 (qui est aujourd’hui lisible sur le site de cet historien) intitulé « Comment les communards voyaient la Commune ».
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Le drapeau et son image appartiennent au musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis. Mille mercis à Lucile Chastre et Anne Yanover pour la visite!
C’est Bertrand Tillier qui m’a fait connaître l’existence de « mon » drapeau, celui du 143e et de Saint-Denis. Je l’en remercie!
Pour ceux du 164e et du 145e, dont je n’ai pas encore vraiment parlé, je remercie déjà Jean-Pierre Theurier et Marianne Enckell.
Éloi Valat m’a envoyé l’image de couverture aussitôt après avoir vu un exemplaire de Comme une rivière bleue, le 11 juillet 2017. Qu’il soit remercié!
Livres et articles cités
Rougerie (Jacques), Comment les communards voyaient la Commune, Le Mouvement social n°37 (1961).
Audin (Michèle), Comme une rivière bleue, L’arbalète-Gallimard (2017).