Même s’il n’y a pas eu de décret en ce sens, le drapeau rouge est devenu le drapeau de la Commune. On le voit flotter sur les édifices parisiens, on le voit aussi « ses longs plis au combat déployés ». Ce qui fait l’objet de cet article (les édifices) et du suivant (le combat).
*
Il flotte sur le campanile de l’Hôtel de Ville où il a remplacé le drapeau tricolore, depuis le 18 mars à minuit (Le Français, 22 mars).
Il est bientôt arboré à plusieurs endroits. Par exemple, il flotte « toujours » sur la mairie du sixième, annonce Le Moniteur universel le 26 mars. Noter qu’une date de publication dans un journal raconte une chose qui s’est passée deux (ou même trois, penser à tous les journaux qui sont datés du lendemain, Le Rappel, Le Cri du peuple, etc.) jours plus tôt.
Le voici arboré place Beauveau (sur le ministère de l’intérieur) (Le Messager de Paris, 28 mars), et plus généralement « sur les ministères, le Palais de justice, le tribunal de commerce, la Sainte-Chapelle, la préfecture de police et l’hôtel de ville » (Journal des Débats daté du 29). Pour le Palais de justice, le drapeau rouge a été placé au sommet de la tour de l’horloge le samedi 25 mars entre 4 et 5 heures, selon une lettre adressée au Garde des sceaux par le vice-président du tribunal civil de 1re instance de la Seine (Archives nationales).
Je passe sur la proclamation de la Commune et sa profusion de rouge.
Il y a présentement devant l’hôtel des Monnaies du quai Conti, sur le bassin qui a été ménagé entre l’écluse, la presqu’île du Vert-Galant et le Pont-Neuf, toute une flottille de chaloupes canonnières portant le nouveau drapeau rouge de la Commune de Paris. (JO, 2 avril.)
Simultanément (31 mars), il est hissé au sommet de la coupole du Panthéon (on a commencé par couper les bras de la croix pour en faire une hampe, l’illustration montre la suite de l’installation du drapeau, je renvoie à un article qui raconte cette histoire) (La Patrie, 2 avril).
S’il y a peu de doute qu’il ait flotté sur les mairies des arrondissements populaires (11e, 12e, 13e, 19e, 20e…), il tarde un peu dans les arrondissements du centre, comme on va le voir dans la liste qui suit. Le 5 avril, il est hissé au balcon de la mairie du 1er arrondissement (JO, 6 avril). Le 7 avril, la Commission municipale du 12e arrondissement arrête, comme je l’ai déjà dit :
1° Le drapeau de la Commune, drapeau rouge, sera immédiatement arboré sur tous les monuments publics de l’arrondissement.
et répudie le drapeau tricolore,
devenu la bannière flétrie des assassins de Versailles (JO daté du 9 avril).
C’est bien la guerre versaillaise qui fait disparaître le drapeau tricolore. Le 13 avril, un drapeau rouge est monté sur le clocher de l’église Saint-Leu (rue Saint-Denis, dans le 1er) (Musée de Saint-Denis). Le 21 avril, Le Cri du peuple annonce, tenez-vous bien, que la mairie du huitième s’est débarrassée, non pas de ses drapeaux tricolores, mais
de ses drapeaux à aigle et à chiffre impérial
… comme si le 4 septembre n’avais pas eu lieu… et que
le drapeau rouge a été placé au fronton de la mairie.
Je ne sais pas à quelle date il y est arrivé, mais il y avait un drapeau rouge sur la succursale du Mont-de-Piété 16 rue Bonaparte — je l’ai déjà signalé, la cravate en est conservée par les Archives de Paris. Le 26 avril, Le Cri du peuple rend compte d’un émoi dans le deuxième arrondissement, où tous les bataillons réunis plantent le drapeau rouge sur la Bourse. Le 27 avril, L’Écho du soir nous apprend qu’il est planté sur la barricade Saint-Florentin. Et non loin de là, selon Le Réveil du peuple du 27 avril, il
a été arboré au mât de pavillon de l’hôtel de la place de la Concorde [il s’agit du ministère de la marine].
Je ne parle pas des drapeaux échangés avec les francs-maçons. Le Cri du peuple daté du 30 avril nous le dit, il flotte sur le donjon de Vincennes. Le même journal, le 1er mai, nous apprend que le 181e (un bataillon du 2e), à Passy depuis un mois, a (fait bonne contenance face aux obus versaillais et) planté le drapeau rouge sur les écoles de l’arrondissement (le 16e, donc). La Vérité, le 2 mai, rapporte qu’il est arboré sur le fronton de l’église Saint-Nicolas des Champs (rue Saint-Martin, troisième arrondissement). Mais toutes les mairies n’ont pas encore le leur… Enfin, Le Cri du peuple daté du 5 mai annonce que
Depuis hier, par le fait de l’arboration du drapeau rouge sur la mairie du neuvième arrondissement, il n’est plus un seul édifice public à Paris sur lequel ne flotte le glorieux emblème de la revendication populaire.
Ouf.
Le Rappel daté du 7 mai se réjouit de le voir flotter à la grille de la maison de Thiers — mais ce journal ne croit pas que M. Thiers lui-même qui l’a arboré.
*
L’illustration utilisée est parue dans Le Monde illustré le 8 avril 1871.
J’ai utilisé la presse et les sites mentionnés, mais aussi le catalogue de l’exposition tenue au musée de Saint-Denis en 1935.