La question, celle qui fait le titre de cet article, se pose pour les drapeaux conquis par les versaillais, dont très peu nous sont connus aujourd’hui. Le seul qui soit arrivé au musée de l’armée est tricolore et avait été conservé (jusqu’en 1950) par la famille de celui qui l’avait enlevé. De même celui de Lausanne. Je crains que tous ceux de la Semaine sanglante n’aient été détruits par l’armée à un moment ou à un autre. Peu d’officiers ou de soldats ont conservé les « leurs ». Il est assez probable que le drapeau du musée de l’armée a été conservé parce qu’il était tricolore — un officier ne détruit pas un drapeau tricolore…
Parmi ceux des bataillons qui n’ont pas été conquis par l’ennemi, beaucoup ont été brûlés, comme celui des Défenseurs de la République: voir le récit de Victorine Brocher, elle dit d’ailleurs que c’est le sort normal d’un drapeau de vaincus. Certains ont sans doute été amassés ou ensevelis avec leurs défenseurs au cours de la Semaine sanglante. Cela a peut-être été le cas de celui venu de Louisiane apparu il y a peu. Allez, va, je vous raconte cette histoire. Elle est due à mon ami Jean-Pierre Theurier et se trouve sur le site des amis de la Commune depuis 2023 :
Fin mai 2023, un habitant de la Louisiane parcourt les antiquaires de La Nouvelle Orléans (USA) à la recherche de souvenirs militaires de la guerre de Sécession. Il remarque dans une boutique un chiffon rouge dans un vieux cadre. Le commerçant lui annonce qu’il s’agit d’un fanion soviétique, pris par un G.I. sur le cadavre d’un soldat russe pendant la bataille de Berlin. [Tel que c’est raconté, on croirait que la « bataille de Berlin » a opposé GIs et Russes… qui, je le rappelle, étaient alliés, mais il n’est bien sûr pas impossible qu’un Américain ait ramassé le cadavre d’un soldat russe.] Intrigué par ce fanion en partie brûlé, taché de sang et criblé de balles [s’il a été trouvé ainsi…], il demande à pouvoir l’examiner de plus près. Une fois déployé, le carré de tissu ne comprend aucune inscription mais dissimule un petit rectangle de papier sur lequel il est écrit
Drapeau de la Commune – Charnier de Charonne – 1897 !
Renseignements pris, c’est bien en janvier 1897 qu’un charnier de plus de 800 cadavres fut découvert sur l’ancien cimetière de Charonne à l’occasion de travaux de la construction d’un réservoir d’eau [oui, bien sûr, voir cet article ancien, ou ce livre un peu moins ancien]. Est-ce qu’un admirateur de la Commune y a récupéré un drapeau rouge ensanglanté pour le conserver précieusement chez lui ? Aurait-il immigré par la suite aux USA avec cette précieuse relique ? En tout cas, l’antiquaire signale que le drapeau provient de la succession d’une vieille personne d’origine française du Faubourg Marigny [un faubourg de La Nouvelle Orléans]. Ses biens étaient sous séquestre depuis 1929 pour une recherche d’héritiers et ce n’est que très récemment, après les conclusions rendues par la justice, qu’ils avaient figuré dans une vente publique.
Le drapeau est maintenant entre de bonnes mains, il est revenu en France auprès d’un de nos adhérents.
Donc, si je résume : un amoureux de la Commune récupère ce lambeau en 1897 au cimetière de Charonne. Il (ou elle, ou le drapeau, en d’autres mains) arrive chez une personne d’origine française (une tante ?) de la Nouvelle-Orléans assez âgée pour que, en 1929, elle soit morte « très vieille » et ses biens mis sous séquestre. Quelqu’un (la vieille dame ? le donateur ? un huissier ou notaire ?) a inscrit l’origine de la chose. Malgré le séquestre, le drapeau (avec son étiquette ?) est parti en Union soviétique, a fait un petit tour par Berlin autour du corps d’un soldat de l’armée rouge et est revenu à son séquestre grâce à un GI. Des années passent encore et il peut enfin être vendu dans une vente publique. Passe un amoureux de la guerre de Sécession (ou peut-être des guerres civiles en général ?) qui l’achète et sans doute le revend à un (officiel, encarté) ami de la Commune.
Ouf. Au moins, ça m’aura donné le plaisir de raconter cette histoire!
Revenons aux choses sérieuses. Certains drapeaux ont été cachés et conservés, comme on le voit (ceux qui sont à Saint-Denis, le 143e, ici en couverture, ou à Montreuil, couverture d’un article précédents. Ou comme on ne le voit pas : qu’est devenu celui du 22e bataillon (du quatrième arrondissement),
conservé, depuis les grands jours, comme une relique, par les vaincus…
qu’Alavoine tenait haut levé, le 1er juillet 1878, à Genève, lors des funérailles d’Eugène Razoua, selon Mes cahiers rouges (p.378)?
Livre cité
Vuillaume (Maxime), Mes Cahiers rouges, édition intégrale inédite présentée, établie et annotée par Maxime Jourdan, La Découverte (2011).