Les cimetières parisiens contiennent beaucoup de l’histoire de la Commune.

Le Père-Lachaise avec son mur des Fédérés, son monument aux généraux Lecomte et Clément-Thomas (voté et programmé par Versailles dès mars 1871), son non moins monumental tombeau de Monsieur Thiers. Passer par là et dire

allons cracher sur sa tombe,

est une violence verbale, que je n’arrive pas toujours à éviter. Le célèbre

À nous deux maintenant,

à la fin du Père Goriot, c’est là. Et ça tombe assez bien, puisque Balzac s’est inspiré de Thiers, jeune et férocement ambitieux, pour son Rastignac.

Je vais souvent au Père-Lachaise. Le monument aux généraux se trouve à l’endroit du cimetière d’où l’on a la plus belle vue sur Paris. On y voit la colonne de la Bastille, avec son génie doré — les drapeaux rouges ont disparu depuis 1871, les chaînes brisées de la liberté sont toujours là mais on ne les voit pas d’ici — et le Panthéon sur lequel le drapeau tricolore apprit aux Fédérés la prise du cinquième arrondissement.

Comme au Père-Lachaise,

  • il y a un « lieu de mémoire » au cimetière Montparnasse, où de nombreux fédérés (mille six cent trente-quatre officiellement) ont été inhumés.

Mais il y a de nombreux autres cimetières à Paris.

  • Il y a le cimetière Montmartre.
  • Il y a, ou il y avait celui de Bercy, avec son puits,
  • celui de Batignolles,
  • le cimetière Marcadet, celui-là a été remplacé vers 1880 par une école de filles,
  • celui de Vaugirard et
  • celui de Belleville. Celui-ci contient un monument aux otages, qui est, en ce lieu, une quasi-provocation.

Certains de ceux qui étaient fermés ont été rouverts pendant la Commune: trop de morts, même avant la Semaine sanglante.

Mais il y a aussi le cimetière de Charonne. J’y suis allée une fois, si je me souviens bien, c’était en août 2014. Rue de Bagnolet j’ai tourné rue Stendhal et j’ai monté l’escalier. Il y avait de gros travaux autour de l’église, je suis arrivée rue du Parc-de-Charonne, j’ai marché à droite le long du mur et je suis entrée. C’est un endroit assez secret et plutôt charmant, en tout cas quand il fait beau (et il faisait beau). Sur le mur du bas, une plaque assez neuve que j’ai photographiée:

Ici en 1897
furent réinhumés
sans épitaphe de nombreux
Fédérés
fusillés sommairement en 1871
et enterrés à la hâte
avec leurs uniformes
dans les fosses communes du cimetière
alors situées à l’emplacement
des actuels réservoirs

Il y avait une employée.

Je lui ai demandé où étaient les réservoirs et elle me l’a dit (de l’autre côté de la rue du Parc-de-Charonne).

Il y avait aussi avec elle le type qui sait tout (et d’ailleurs attendait des visiteurs pour les guider dans le cimetière). Il a donc mis son grain de sel. Il m’a expliqué qu’il ne fallait pas confondre communards et communistes, puis m’a dit qu’il possédait un livre (c’est déjà ça, ai-je pensé) dans lequel il était dit qu’il y avait trois cents corps à cet endroit mais que, bon, bien sûr, ce n’était pas possible.

L’employée a fait remarquer que, quinze ans après, ça prenait moins de place.

Je n’ai pas dit que, vingt-six ans après, c’était même encore moins volumineux. Mais j’ai signalé au guide que, à l’époque de la macabre découverte (pour parler comme les journaux), la presse a fait fait état de huit cents corps. Je ne lui ai pas dit qu’il pourrait lire, par exemple, Le Matin du 29 janvier 1897. Mais à vous, je vous le dis, il est sur Gallica, là (en page 3).

Une fois de plus, la réalité est trop incroyable pour qu’on la croie.

Il a conclu que c’était bien dommage que les auteurs de la plaque n’aient pas mis de nombre précis.

Cette plaque est beaucoup trop récente pour que ça ait un sens et puis, de toute façon, elle est mal rédigée: on ne sait pas si ces gens ont été fusillés ou si leurs corps ont été ramassés dans la rue après des batailles pour défendre telle ou telle barricade.

De plus il n’est pas vrai qu’ils ont été fusillés « sommairement », ils ont été bel et bien fusillés. C’est la décision de les fusiller qui fut sommaire.

J’ai laissé le guide à ses clients qui venaient d’arriver et je suis partie de mon côté.

Livre cité

Balzac (Honoré de), Le Père Goriot,  Furne (1842).