Dans l’article précédent, j’ai mentionné l’article du Maitron sur cet « autre » Millière. Où j’ai aussi appris sa date et son lieu de naissance, 20 mai 1831 à Semur-en-Auxois. L’état civil de cette commune de la Côte-d’Or connaît une unique naissance d’un Millière dans la décennie 1823-1832 (et une unique autre dans la décennie suivante).
François Millière a 24 ans et il est boulanger (ouvrier boulanger?) lorsqu’il va déclarer la naissance de son fils aîné, qu’il appelle François (un seul prénom, malgré le « Frédéric » insistant et l’avalanche de prénoms que contient la notice en question). La mère s’appelle Catherine Émilie Bourgeois, sa profession n’est pas indiquée. L’acte indique, de façon assez baroque, que les parents se sont mariés « il y a environ deux ans » (à supposer que François Millière ait oublié la date de son mariage, l’officier d’état civil aurait pu consulter les registres sur l’étagère derrière lui… les jeunes parents s’étaient mariés le 13 mai 1829). Comme j’ai lu l’acte de mariage, je peux vous dire que ce François père de François était aussi fils de François — et que son beau-père s’appelait aussi François. Deux ans et un jour plus tard, le même père déclare un petit Denis (et c’en est fini des naissances Millière à Semur pour la décennie 1833-1842), lui aussi avec un seul prénom, qui est le prénom de son frère aîné (qui était témoin à son mariage). Pour en finir avec ces trois actes d’état civil, j’ajoute que le deuxième témoin de François Millière (père) à son mariage était un beau-frère peintre en bâtiment nommé Jacques Maigriot… ce qui ne manque pas de nous rappeler que le Maitron nous a indiqué un pseudonyme « Maigrio » pour notre Millière…
Quand, comment, pourquoi, François Millière fils arrive à Paris, je ne sais pas.
Il est capitaine du 166e bataillon pendant le siège prussien, il en est commandant le 18 mars et son bataillon est de ceux qui occupent la place Vendôme, il y reste jusqu’au 1er avril où il remplace Josselin comme chef de la 18e légion.
Il y était encore le 22 mars lors de la manifestation pacifique qui s’y était réunie dans l’intérêt de l’ordre public
— c’est ainsi que le rapport de police déjà mentionné dans l’article précédent parle de la manifestation des « amis de l’ordre »!!! (voir cet article, celui-ci, et aussi celui-là). La suite de cette prose dans l’image de couverture!
Continuons à lire ce que la presse nous en dit. Nous avons vu qu’il était supposé « perquisitionner » le Moniteur universel le 22 mai — un peu surprenant pour le chef de la 18e légion, qui devait plutôt être en train de défendre Montmartre. Nous le voyons maintenant le 23 mai à 11 heures du soir, en civil (le soir de la prise de Montmartre…), avec Sérizier, à la prison de la Santé, lors du procès en conseil de guerre de celui-ci. C’est pour l’affaire dite des dominicains d’Arcueil (il faudra que j’y consacre un article un jour) que celui-ci est « jugé », avec douze autres accusés (et qu’il est condamné à mort), la présence de Millière est un peu « à côté ».
— Avez-vous été le 23 mai à la prison de la Santé?
— Oui, j’étais avec Millière. Je demandai au greffier combien il avait de détenus, puis le directeur Cauliet étant venu, je m’informai s’il avait des ordres relativement aux otages; il me répondit que non, et je partis, toujours accompagné de Millière et de deux gardes armés de chassepots qui nous, escortaient.
(Je lis Le Constitutionnel du 10 février 1872.) Sérizier nie ensuite avoir donné l’ordre ce soir-là de fusiller les otages. Comme toujours, les témoins disent ce que l’on veut qu’ils disent. Le célèbre « je n’ai rien vu, je n’ai rien entendu, mais on a dit que… »), cette fois dans L’Opinion nationale du 15 février:
M. Tixier, greffier à la prison de la Santé. — J’ai vu Sérizier, Millière et un autre garde de haute taille; ils ont parlé au chef de poste. Je n’ai rien entendu; mais on m’a dit aussitôt après que l’ordre venait d’être donné de fusiller les prisonniers.
Faut-il, fallait-il déjà, rappeler qu’aucun otage n’a été fusillé à la prison de la Santé, qu’aucun otage n’a été fusillé avant le lendemain après-midi?
Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, il a été condamné à mort (par contumace) le 30 juillet 1872.
Et je ne sais rien de ce qu’il a fait, voir l’article du Maitron, avant son retour à Paris, amnistié.
Pour en rester à l’état civil, un François Millière est mort dans un hôpital que l’on appelait la Maison Dubois, et qui est aujourd’hui l’hôpital Fernand-Widal, 200 rue du Faubourg-Saint-Denis. Il habitait 24 rue Bonaparte (alors « grand hôtel de Paris »). L’acte de décès comporte deux prénoms, François et Germain (ce qui est deux fois plus que l’acte de naissance, mais deux fois et demie moins que le Maitron), aucun autre renseignement d’état civil (ni la date de naissance ni les noms des parents) si ce n’est la commune de naissance (Semur-en-Auxois, donc), le fait qu’il était célibataire, et l’âge, 77 ans. Ce qui n’est pas l’âge exact de « notre » François Millière, qui avait 79 ans. Mais la naissance à Semur supprime tout doute. C’est bien lui et il devait être assez solitaire pour que personne ne sache, même, son âge exact.
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Le document dont j’ai reproduit quelques centimètres carrés en couverture de cet article et du précédent est dans le dossier Ea 104 aux archives de la préfecture de police.