Certainement les lecteurs de ce site ne vont rien apprendre en lisant cet article et les lecteurs de La Semaine sanglante encore moins… si, quand même: on parlait de « la barricade des femmes  » — ou, au moins, Gilette Ziegler en parlait — en 1971. Voici donc, après la Marmite, la Bastille, la Corderie, les rues du Croissant et Saint-Sébastien, la place Blanche.

Lundi, 22 mai. — La veille, les Versaillais ont attaqué. Paris, surpris dans la douceur d’une journée printanière, s’est réveillé. La Commune a appelé toute la population aux armes:

Que les femmes elles-mêmes s’unissent à leurs frères, à leurs pères, à leurs époux. Celles qui n’auront pas d’armes secourront les blessés et monteront des pavés dans leur chambre, pour écraser l’envahisseur…

[Cette citation vient, via le livre d’Édith Thomas, Les Pétroleuses, du Bulletin communal, dont seul le numéro 1, daté du 6 mai, semble exister (sur Gallica)]

Les Parisiennes ont répondu à cet appel. Jeunes et vieilles, élégantes ou en guenilles, elles remplissent les sacs de terre, manient la pioche, construisent les barricades, guidées parfois pas des femmes fédérées, qui portent une grande écharpe et une cocarde rouge sur leur jupe noire.

Le Comité de l’Union des femmes de Paris s’est réuni une dernière fois à la mairie du IVe arrondissement, sous la présidence de Nathalie Lemel, la relieuse qui, avec Varlin, avait fondé la Marmite, mais il n’y a pas eu de discussion. Désormais, il faut se battre. L’ordre a été donné aux femmes des comités de se rassembler et de se rendre aux barricades les plus proches. Les membres du bureau directeur sont parties, drapeau rouge en tête, vers les Batignolles.

Place Blanche, les militantes n’ont pas attendu les ordres. Dans la nuit, elles ont construit elles-mêmes leur barricade et la défendent. Elles sont environ 120, toutes armées de fusils. Un journaliste du Salut public, qui passe, à l’aube, est arrêté par une jeune fille qui se détache de l’encadrement d’une porte cochère. Elle a le bonnet phrygien sur l’oreille, le chassepot à la main, la cartouchière aux reins [ici la source est le livre de Lissagaray, pour ceci voir mon article déjà évoqué].

— Halte-là, citoyen, on ne passe pas !

Dans la journée, les troupes du général versaillais Chinchant, après avoir pris la barricade de la place Clichy, se trouvent devant celle de la place Blanche, surpris de voir ces soldats en robe, qui se battent comme des démons. Qui sont-elles ? Des filles publiques, dira la presse gouvernementale. Les procès montreront plus tard qu’il s’agit de ménagères, d’ouvrières, d’institutrices. À 11 heures, manquant de munitions, elles doivent reculer et celles que saisit l’ennemi sont massacrées sur place. Parmi elles tombe la modiste Blanche Lefèvre, du Comité de l’Union des femmes « qui aimait la révolution comme on aime un homme » [cette citation vient elle aussi, avec ses guillemets, du livre d’Édith Thomas]. Les survivantes s’échappent vers la barricade de la place Pigalle, où elles tiendront encore, avec les hommes, pendant trois heures. Nathalie Lemel est auprès d’elles : « Plus âgée, dans un groupe de jeunes filles armées », elle ne fait pas le coup de feu, mais soigne les blessés.

La barricade tombe, mais quelques combattantes rejoignent celles du boulevard Magenta, arrachant les armes des mains des morts, tirant les dernières cartouches. Mais peu survivent [Aucune ne survécut, dit Lissagaray dans son premier livre sur la Commune]. C’est pour elles qu’Arthur Rimbaud écrira Les Mains de Jeanne-Marie.

Elles ont pâli, merveilleuses,
Au grand soleil d’amour chargé,
Sur le bronze des mitrailleuses
À travers Paris insurgé !

[Gilette Ziegler continue idi à suivre le livre d’Édith Thomas, qui se termine sur des citations de Victor Hugo, Paul Verlaine et trois strophes de ce poème d’Arthur Rimbaud et se demande

Quelles reines peuvent s’enorgueillir d’avoir réuni autour d’elles de tels poètes de cour?] 

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Moins connue que celle de Moloch, la barricade des femmes de Dupendant vient du musée de Saint-Denis, qui m’en a naguère confié une reproduction et que j’ai déjà publiée à l’intérieur de mon premier article à ce sujet.

Livres cités

Audin (Michèle)La Semaine sanglante. Mai 1871, Légendes et comptes, Libertalia (2021).

Thomas (Édith)Les Pétroleuses, Gallimard (1963), — réédition L’Amourier (2019).

Lissagaray (Prosper-Olivier)Les huit journées de mai derrière les barricades, Bureau du Petit Journal, Bruxelles (1871), — Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Rimbaud (Arthur)Poésies, Bibliothèque de la Pléiade (1972).