Il y a quelque temps, un lecteur de ce site m’a écrit pour me demander de lui conseiller un livre sur l’histoire de la Commune. En lui répondant, j’ai réalisé qu’il y avait de sérieux manques dans la rubrique « livres » de ce site.

J’ai donc décidé, c’était avant le confinement, d’y remédier, avant le cent cinquantenaire de la Commune. Et j’ai écrit cet article.

L’actualité n’a fait que me confirmer qu’il manquait des livres sur ce site. J’ai proposé, dans les dernières semaines, plusieurs articles pour combler ces manques.

Voici « le » livre. Celui de Prosper-Olivier Lissagaray (1838-1901).

En bref: après un appel à témoignages constitué par le petit livre Les Huit journées de Mai derrière les barricades, paru dès 1871, Lissagaray publie une première version de son livre en 1876 (il est alors proscrit et à Londres), il la remanie sérieusement et publie la version définitive en 1896 (il est à Paris).

Le livre est disponible

Puisque nous sommes toujours confinés… En ligne, sur Gallica, dans l’édition Dentu de 1896, mais aussi dans l’édition de la librairie du Travail de 1929, avec une superbe notice d’Amédée Dunois sur Lissagaray. En ligne aussi, à l’Université du Québec à Chicoutimi, dans la série les classiques en sciences sociales. On peut aussi trouver l’édition de 1876 en ligne (mais je ne fais pas de publicité gratuite).

Sur papier, dans une jolie, pratique, pas chère édition de poche, à La Découverte, héritière de l’édition par François Maspero en 1967, avec sa préface de Jean Maitron, datée du… 18 mars (1967).

Pour qu’on sache

J’avoue être un peu désemparée à l’idée d’écrire quelque chose qui rende vraiment compte de ce livre.

Peut-être les titres de son premier chapitre

— Prologue du combat. La France avant la guerre, Comment les Prussiens eurent Paris et les ruraux la France —

et du dernier

— L’Assemblée de malheur. Le Mac-Mahonnat. Les grâces Le Grand retour — ?

Ou alors une liste d’adjectifs:

  • passionné
  • honnête
  • partisan — il écrit après des centaines d’auteurs versaillais qui écrivent l’histoire des vainqueurs
  • ironique et féroce
  • brillant — un livre très bien écrit, dont certains passages sont de véritables morceaux d’anthologie, par exemple le récit de la mort de Delescluze — nous sommes loin du style universitaire!
  • insurpassé

Ou ce que je préfère? Le chapitre XXV, Paris la veille de la mort, que j’ai d’ailleurs copié, sans vergogne, dans le chapitre… 25 de Comme une rivière bleue.

Les défauts?

  • Même si le livre est très documenté, à quelques endroits, des sources plus précises auraient été les bienvenues.
  • La façon de parler des femmes est très datée… Par exemple, pourquoi Lissagaray a-t-il fait disparaître les deux mentions de viols que l’on trouvait dans Huit journées de Mai derrière les barricades? On le sait, il n’y a jamais de viols pendant les guerres, la preuve: on n’en parle pas.

Je reviens sur l’adjectif « insurpassé ». Ce n’est pas moi qui le dis, mais « l’éditeur » de l’édition La Découverte, dans une note de 1990:

Contrairement aux espérances de Jean Maitron (1910-1987), les travaux sur la Commune n’ont pas été profondément renouvelés après la réédition de l’ouvrage de Prosper-Olivier Lissagaray en 1967.

Pour être complète, je dois dire qu’il dresse ensuite une liste de livres parus depuis 1967. Oui, il y a eu des travaux.

Et puisqu’ils n’ont pas été profondément renouvelés, autant donner la parole à l’auteur! Voici la deuxième moitié de la

Préface de la deuxième édition (1896)

Pour qu’on sache

[…]

D’où jaillirent les inconnus du 18 mars 1871 ? Qui a provoqué cette journée ? Qu’a fait le Comité Central ? Quelle a été la Commune ? Comment tant de milliers de Français patriotes, républicains, ont-ils été, par des Français, massacrés, jetés hors de leur patrie, longtemps reniés par des républicains ? Où sont les responsabilités ? Les actes vont le dire.

Résumés par un ancien combattant sans doute, mais qui n’a été ni membre, ni officier, ni fonctionnaire, ni employé de la Commune, un simple du rang qui a connu les hommes de tous les milieux, vu les faits, traversé les drames, qui pendant de longues années a recueilli, vanné les témoignages, sans autre ambition que d’éclairer pour la génération nouvelle le sillon sanglant tracé par son aînée.

L’avènement graduel, irrésistible, des classes laborieuses est le fait culminant du XIXe siècle. En 1830, en 1848, en 1870, le peuple escalade l’Hôtel de Ville pour le céder presque aussitôt aux subtiliseurs de victoires ; en 1871, il y reste, refuse de le rendre, et, pendant plus de deux mois, administre, gouverne, mène au combat la cité. Comment, par qui il fut encore précipité, il faut qu’il le sache, il peut l’entendre dire, être patient devant la vérité, puisqu’il est immortel.

L’ennemi serait qui flatterait, bâtirait de fausses légendes soi-disant révolutionnaires, aussi criminel que le cartographe qui, pour les combattants de demain, ferait des graphiques menteurs.

Mai 1896.

Bref,

lisez l’Histoire de la Commune de 1871, de Lissagaray!

Même si vous n’aimez pas tout, vous aurez appris beaucoup.

*

Dans le style de ce que j’ai reproché au livre, l’éditeur a choisi une couverture avec à peine une femme — sur la couverture d’un tirage précédent de la même édition (achevé d’imprimer en 2001, qui est celui que je possède), il y avait une femme plus… active, mais c’était une image du premier siège, celle que j’ai utilisée pour illustrer un article sur Adolphe Clémence.

Les livres

Lissagaray (Prosper-Olivier)Les huit journées de mai derrière les barricades, Bureau du Petit Journal, Bruxelles (1871), — Histoire de la Commune de 1871, Bruxelles, Librairie contemporaine de Henri Kistemaeckers (1876), — Histoire de la Commune de 1871, (nouvelle édition précédée d’une notice sur Lissagaray par Amédée Dunois), E.S.I (1929), — Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).