Suite de l’article précédent. Le mouchard Rotte a-t-il été tué par Alexis Trinquet?
Quelques jours après, le 22 août, voici un autre témoin à décharge, la « Femme Henri, lingère ».

— Le témoin n’a-t-il pas vu Trinquet à la mairie du 20e, un jour que quelqu’un fut fusillé ? demande Me Denis.
— En effet, je vis beaucoup de gardes qui tiraient sur un individu. L’un d’eux l’acheva d’un coup de revolver.
— Qui était-ce ? demande le président.
— Un garde que je ne connais pas.
— Vous connaissez Trinquet ?
— Oui, et ce n’était pas lui.
— Comment était cette personne ?
— Un peu grande.
— À quel moment ce coup de pistolet a-t-il été tiré ? demande le président.
— Quand l’homme était déjà par terre. 

Ici je me permets d’intervenir pour signaler que le « un peu grande », lu ici dans un compte rendu du procès, a été entendu comme « de moyenne taille » par le journaliste du Constitutionnel. Il va sans dire que, plus l’homme est grand, moins il est vraisemblable qu’il soit Trinquet !
Le président suggère de faire revenir les témoins qui ont déjà déposé. Trinquet demande alors à la témoin si elle ne pourrait pas trouver un autre employé.

— Je ne les connais pas.
— Mais quand vous avez eu vu cet assassinat, vous avez dû le raconter aux personnes qui étaient avec vous ? insiste le président.
— Oui; elles se sont levées pour voir.
— Savez-vous un seul nom des autres femmes employées avec vous ?
— Oui, Mme Godin [Boivin, selon Le Constitutionnel]; mais je ne connais pas son adresse. 

Selon Le Constitutionnel, le président a mentionné les témoins précédents, et la dame a dit

— Je ne les connaissais pas comme employés de la mairie. 

On ne manque jamais de signaler, et je le fais donc aussi, ce passage de L’Insurgé de Jules Vallès :

Jeudi. Mairie de Belleville.
Dans la cour, du bruit.
Je me penche à la fenêtre. Un homme, sans chapeau, en bourgeois, choisit une place commode, le dos au mur. C’est pour mourir.
— Suis-je bien là ?
— Oui.
— Feu !
Il est tombé… il remue.
Un coup de pistolet dans l’oreille. Cette fois, il ne remue plus.
Mes dents en claquent.
— Tu ne vas pas te trouver mal pour une mouche qu’on écrase, me dit Trinquet qui remonte en essuyant son revolver.

Alors…

Noter quand même que ce passage (Jeudi. Mairie de Belleville), comme les suivants (Vendredi. Rue Haxo et Samedi. Place des Trois-Bornes) des chapitres XXXIII et XXXIV de L’Insurgé n’ont pas été publiés du vivant de Jules Vallès ­— et encore moins du vivant d’Alexis Trinquet : dans le feuilleton du Cri du Peuple, la livraison du 29 décembre 1883 s’achève juste avant et la suivante, du 1er janvier 1884, commence le dimanche à la barricade en bas de la rue de Belleville).

À la décharge d’Alexis Trinquet, je cite un court article de Camille Pelletan, que, contrairement à ce bout de chapitre de Vallès, on ne cite jamais. Il est paru neuf ans après les faits, dans La Justice, datée du 13 avril 1880 (en complément de son « feuilleton » La Semaine de mai):

Deux mots sur M. Trinquet, actuellement au bagne, et que La Patrie insulte comme ayant tué à coups de revolver deux sergents de ville dans la semaine de Mai.
C’est, en effet, pour cela qu’il fut condamné : et rien ne prouve mieux quelle sorte de justice, se rendait à cette époque.
J’assistais au procès : M. Trinquet fut condamné sur la déposition de deux témoins, placés ensemble à distance, à la même fenêtre de la mairie, alors que les autres témoins affirmaient qu’il n’y avait aucune ressemblance entre Trinquet et celui qui avait tué les sergents de ville.
En aucun pays, en aucun temps, un homme n’a été condamné dans ces circonstances. Et, en effet, j’ai appris au moment même de la condamnation, le nom de celui qui avait tiré les coups de revolver. Ce n’était pas Trinquet.

À suivre

*

J’ai bien sûr déjà utilisé la photographie d’Alexis Trinquet, ici ou .

Livres utilisés ou cités

Troisième conseil de guerreProcès des membres de la Commune, Versailles (1871).

Vallès (Jules)L’Insurgé, Œuvres, Pléiade, Gallimard (1989).