Comme je l’ai annoncé dans l’article précédent, voici l’introduction que j’ai écrite pour l’édition de 2022 de La Semaine de Mai. Toutes les notes en bleu sont écrites pour ce blog (et remplacent ou complètent des notes du livre).

Ce livre, La Semaine de Mai, est une histoire de la « Semaine sanglante » qui a mis fin, du 21 au 28 mai 1871, à la Commune de Paris.

Mais il a aussi son histoire. Il est conçu, au début de 1880, pour servir de machine de guerre en faveur de l’amnistie des communards ceux qui sont encore au bagne ou simplement déportés en Nouvelle-Calédonie, ceux qui se sont réfugiés à Londres, Bruxelles, Genève ou ailleurs, qui tous attendent, depuis 1871, de pouvoir rentrer à Paris.

Camille Pelletan dans la bataille pour l’amnistie

Plusieurs projets de loi d’amnistie ont été repoussés au cours des années précédentes [la chronologie de ces projets fera l’objet d’un article ultérieur]. Le 14 février 1880, l’Assemblée nationale en repousse un nouveau, présenté par « l’extrême gauche ». Le lendemain, le quotidien La Justice publie un éditorial de son directeur Georges Clemenceau, sous le titre « L’Opposition », suivi de ce qui sera le début de La Semaine de Mai, signé du rédacteur en chef Camille Pelletan,

L’amnistie est repoussée une fois de plus…

Le livre paraît donc comme un feuilleton quotidien, du 15 février au 22 avril 1880. Son but affirmé est de rassembler les républicains dans de la bataille pour l’amnistie.

Son auteur, Camille Pelletan, s’il n’a pas encore trente-quatre ans, est un journaliste expérimenté. Je passe sur ses relations avec la bohème parnassienne et la franc-maçonnerie. Il a travaillé au quotidien Le Rappel, sur la recommandation de Victor Hugo lui-même, dès 1869, année où il a suivi l’inauguration du canal de Suez pour ce journal. Opposant à l’empire, comme l’ensemble de la rédaction du Rappel, il a été condamné l’année suivante à deux mois de prison et 1000 francs d’amende pour un article sur les blouses blanches (les provocateurs de la police politique) paru le 13 mai 1870 (après le dernier plébiscite napoléonien). Sa signature a cessé d’apparaître dans Le Rappel après le 23 janvier 1871, mais il a continué à travailler pour ce journal pendant la Commune et il est resté à Paris, comme le montre son témoignage en faveur de Courbet devant le conseil de guerre le 14 août

J’étais au bureau du Rappel quand…

(la suite désigne la date du 15 mai [voir Procès des membres de la Commune]). C’est lui, d’ailleurs, qui a rendu compte de ce procès dans le quotidien Le Peuple souverain la parution du Rappel, jugé trop proche de la Commune, a été interrompue le 23 mai (notamment par l’arrestation de ceux qui y travaillaient). Il a repris sa place dans « son » journal dès sa reparution le 1er novembre. Un de ses articles, « Est-ce un rêve ? », accusé « d’appeler la haine sur la justice » (« la justice » désigne le conseil de guerre qui a jugé le communard marseillais Brissy) a été un des prétextes de la suspension du journal le 25 novembre [voir cet article] (jusqu’au 1er mars suivant). Ses comptes rendus des séances de l’Assemblée nationale entre le 24 mai 1873 (arrivée au pouvoir de Mac Mahon et de la coalition monarchique) et le 15 février 1875 (instauration définitive de la République) ont été regroupés dans son premier livre, Le Théâtre de Versailles, paru en 1875.

Il s’affirme donc clairement comme un républicain militant. Mais il n’a jamais été favorable à la Commune, comme il l’a dit de nombreuses fois bien avant d’écrire La Semaine de Mai il ne s’agit pas que d’une affirmation destinée à donner du poids à sa parole et à son livre.

Il est engagé depuis longtemps dans la bataille pour l’amnistie. C’est à la suite de la campagne menée au Sénat par Victor Hugo en 1876 qu’il a écrit son livre, Questions d’histoire, cette fois consacré à la Commune.

Il quitte Le Rappel quand Clemenceau lui propose d’être le rédacteur en chef de son nouveau journal, La Justice, dont le premier numéro paraît le 16 janvier 1880.

Cette fois, c’est la bataille décisive. Une amnistie partielle (c’est en réalité une grâce amnistiante on a préféré le pardon à l’oubli) décidée en 1879 a déjà permis à de nombreux proscrits et déportés de rentrer à Paris. Mais les communards « les plus compromis » en sont exclus. En cohérence avec cette bataille, La Justice n’hésite pas à s’attacher la collaboration d’un de ceux-ci, qui signe Charles L…… (les six points forment avec le L un nom de sept lettres…) ses « Lettres d’Angleterre », dont la première datée du 12 avril, paraît dans le journal du 16. Les lecteurs n’ont aucun mal à identifier dans ce journaliste Charles Longuet, membre de la Commune, internationaliste, délégué au Journal officiel pendant la Commune (et gendre de Karl Marx).

À suivre

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Le tableau de Fantin-Latour date de 1872 et vient du Musée d’Orsay. On y reconnaît, à gauche, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud et, à droite, Camille Pelletan (les autres sont Elzéar, Blémont, Aicard (debout), Valade et d’Hervilly (assis entre Rimbaud et Pelletan)).

Livres cités

Troisième conseil de guerreProcès des membres de la Commune, Versailles (1871).

Pelletan (Camille), Le Théâtre de Versailles L’Assemblée au jour le jour du 24 mai au 25 février, E.Dentu (1875), — Questions d’histoire : le comité central et la Commune, Maurice Dreyfous (1879), — La Semaine de Mai, Maurice Dreyfous (1880), — La Semaine de Mai, présentation et notes de Michèle Audin, Libertalia (2022).