Suite de mon introduction à La Semaine de Mai de Camille Pelletan et  de l’article précédent (les notes de bas de page de cette introduction sont reproduites entre crochets, [comme ça]).

La publication du « feuilleton » La Semaine de Mai dans La Justice provoque de nombreuses réactions dans la presse. Dès le 17 février, on peut lire dans Le Français :

Les journaux radicaux continuent la détestable campagne d’excitation à la haine qu’ils ont commencée sous prétexte de réclamer l’amnistie. Ils racontent dans le plus grand détail, l’un après l’autre, les tristes incidents de ce qu’ils appellent la « semaine sanglante », ayant soin de donner un rôle odieux aux officiers et aux soldats qui ont combattu pour la répression de l’insurrection. On nous dit que dans l’armée on est fort ému de ces outrages. À l’étranger, on comprend mal qu’un gouvernement régulier laisse ainsi diffamer et livrer à la haine l’armée française.

Voici la réponse de Camille Pelletan (le 18 février) :

Ce n’est guère la peine de répondre au journal que dirige le fils du très honnête président de la Commune [Ce directeur est François Beslay, fils de Charles Beslay qui fut, en effet, le premier président, comme doyen d’âge, de l’assemblée communale de 1871 il doit le qualificatif « honnête » au grand respect qu’il a montré pour la Banque de France.]. Nos lecteurs savent que nous ne voulons pas « livrer à la haine l’armée française ». On pourrait plus justement faire ce reproche à ceux qui, comme les historiens du parti de l’ordre, font retomber sur l’armée seule la responsabilité d’horreurs exigées par l’Assemblée du jour de malheur, commandées par le gouvernement et par certains chefs, encouragées par les passions versaillaises, et accomplies en partie par la population civile.
Au compte du Français, il faudrait se taire sur le 2 Décembre [Le coup d’état bonapartiste du 2 décembre 1851.] par égard pour l’armée.
Quant au reproche de diffamation, que le Français y prenne garde : nous avons l’intention d’emprunter à ses collections un certain nombre des faits les plus graves.
Au reste, nous ne cherchons pas à établir « des responsabilités », mais à faire la lumière sur des faits que le pays doit connaître. Nos lecteurs verront que nous nous bornons à écrire une page d’histoire, sans passion, et avec des documents certains. Un gouvernement « régulier » peut-il avoir la prétention de créer un nouveau crime, le crime de récit historique? Nous en doutons un peu, et, si cela arrivait, qu’importe? Les témoignages et les pièces seraient produites devant un tribunal après l’avoir été dans les colonnes de la Justice.
Qui est-ce qui y gagnerait ? 

La Justice et Camille Pelletan ne sont pas seuls dans la presse à lutter pour cette amnistie. La Lanterne, par exemple, publie, dès le 15 février, un feuilleton « La Répression de 1871 » signé par « un témoin désintéressé ». Je n’en fais pas une liste exhaustive, mais on verra, tant dans le texte de Camille Pelletan que dans les notes, que les réactions des journaux ont été nombreuses…

Le livre La Semaine de Mai paraît, chez l’éditeur Dreyfous, le 31 mai. Ce n’est pas le premier livre à entrer dans le combat de l’amnistie. La fin de l’année 1879 a vu paraître le quatrième et dernier volume des Convulsions de Paris de Maxime Ducamp [Comme Pelletan, j’écris Ducamp, contrairement à Ducamp, qui écrit Du Camp.] un ouvrage violemment anti-communard. Camille Pelletan a déjà critiqué cette façon de raconter l’histoire dans un bel article « La Répression de 1871 », paru dans Le Rappel le 18 février 1879 et que nous reproduisons ici en appendice [et sur ce site à la suite de cette introduction]. Il y réfutait notamment le décompte minimisant des morts de la « semaine de mai » (6667 exactement, selon Ducamp !) et annonçait qu’il avait réuni une documentation importante. Ses Convulsions ont valu à Ducamp, justement en février 1880, le fauteuil d’académicien dont il rêvait une élection éminemment politique, comme l’a souligné la presse. C’est le vote de l’amnistie plénière qui était le rêve et qui fut la récompense de Camille Pelletan. Son livre, ajouté à l’élection au conseil de Paris d’un bagnard communard, Alexis Trinquet, à l’intérieur même de la circonscription du député Gambetta, dota ledit Gambetta d’ « une large et soudaine intelligence politique » (comme l’a écrit Camille Pelletan en 1889) qui le fit se prononcer enfin pour l’amnistie et à entraîner une majorité de députés derrière lui.

À suivre

Livres cités

Pelletan (Camille),  La Semaine de Mai, Maurice Dreyfous (1880), — La Semaine de Mai, présentation et notes de Michèle Audin, Libertalia (2022).

Ducamp (Maxime)Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette (1879).