« Dégueulis » me semble le seul mot adapté à décrire le livre, les quatre longs tomes du livre que Maxime Du Camp a consacré à la Commune. À ce livre et à sa famille (il a même des descendants contemporains), je vais consacrer deux articles. Pas pour vous conseiller de les lire mais pour vous éviter de le faire.

Du Camp, donc. Arriviste. Ami de Flaubert. Jaloux.

Il a été élu membre l’Académie française, quelques mois avant l’amnistie des communards, grâce à ce livre — l’institution a eu ce qu’elle méritait, elle aussi. Je répugne à le dire, mais c’est le fauteuil qu’avait occupé Voltaire (celui de l’Académie, pas celui qui n’était déjà plus place Voltaire) qui a accueilli les fesses de ce monsieur.

Les écrivains ont été, très majoritairement, anticommunards. Voir quand même quelques exceptions dans cet article et les suivants. Flaubert a écrit qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune. Son ami s’étend davantage. Le mot « dégueulis » n’est pas dans son livre (je crois, mais je l’ai peut-être raté, j’avoue avoir tourné quelques pages un peu vite), il ne fait d’ailleurs pas partie du lexique utilisé par l’académicien en puissance. Le mot « mépris » non plus, qui n’est pourtant pas vulgaire.

Pourtant ces vomissures puent le mépris de classe.

Car l’ivrognerie était l’aliment de cette révolution crapuleuse,

écrit un collègue de Du Camp.

Et pue la trouille. Ne pas trouver d’autre argument contre un adversaire politique vaincu que le fait que cet adversaire est un ivrogne paresseux et un criminel bestial, c’est avoir eu la trouille.

On peut aligner et détailler les émotions éprouvées par les participants à la grande fête du 28 mars, la joie, l’orgueil, l’espoir… Pour la bourgeoisie, c’est beaucoup plus simple: la seule émotion, ce fut la peur.

« L’ignorance communarde » qui appelle « indistinctement » des curés tous les ecclésiastiques semble hérisser Du Camp encore plus que l’exécution de quelques-uns de ces curés (je me place du côté de l’ignorance communarde).

Son arrogance est telle que, pour dénigrer les communards dont il parle, il se contente d’ajouter leurs métiers. Je choisis au hasard:

  • près de Dombrowski, Dereure, cordonnier;
  • près de La Cécilia, Johannard, fleuriste;
  • près de Wroblewski, Léo Meillet, clerc d’avoué.

Un autre, plus au fait de l’actualité musicale, désignera comme « le timbalier de la Commune » le « remplaçant » (successeur?) d’Auber au Conservatoire, sans même écrire le nom du musicien Salvador Daniel.

Ce mépris de classe englobe Vallès, qui est pauvre, ambitieux (littérairement) et plus brillant que lui (toujours littérairement), et Courbet, qui n’est pas un bourgeois parisien et dont la peinture le dépasse évidemment (l’évocation et la non-description du tableau L’Origine du monde dans Les Convulsions de ce Monsieur le prouvent amplement, j’ai déjà reproduit ce tableau et ce qu’en dit Du Camp dans un autre article).

Ces déclassés ne sont, hélas pour Du Camp, ni des ratés ni des exclus!

Il faut dire qu’il n’est pas le seul à jalouser Vallès. Chacun des innombrables auteurs et autoproclamés historiens versaillais a pris la peine de signifier qu’il jalousait Vallès. On ne compte pas les

Vallès écrivain sans valeur,

seul,

aigri par une jeunesse misérable, affolé d’orgueil, ulcéré d’envie,

ou collectivement,

Vermersch, Vallès et Vésinier, bouffons sinistres, lettrés du monde de la fange.

Eh oui. C’est que, être insurgé ou courtisan, le littérateur doit choisir. Et que ces messieurs n’ont pas fait le même choix que Vallès.
Un mot quand même pour Du Camp. À la fin de la Semaine sanglante, il a croisé Vallès qui, à peine déguisé en infirmier par un brassard à la croix de Genève, tentait de fuir. Il l’a reconnu. Il y avait alentour toute la soldatesque désirable. Il n’a pas dénoncé Vallès.

Dire que c’était un pourri n’aurait pas été politiquement correct et m’aurait obligée à ajouter que ce n’était pas un salaud, ce qui aurait fait deux incorrections (politiques) — c’est pourquoi je ne l’ai pas fait.

Cette non-dénonciation a peut-être ajouté à sa hargne contre Vallès.

Il l’a raconté lui-même, je cite de mémoire:

Ah! Vallès! Ce déclassé! Sans cesse ressassant ses échecs… Ce langage sans grâce! Le fracas de ses cadences! Le vacarme de ses crachats! De sa hargne espérant ébranler prêtres et cathédrales… Ses charges, telles les taches d’encre de Manet. Ce bâtard de Marat, parlant à la terrasse des cafés, le geste cassant! Barbare déclamant place de Grève. Marchant devant ses camarades en levant des fragments de draps écarlates. Et, après la bagarre, arpentant le macadam. Hébété, pâle, hagard, sa barbe rasée, ses vêtements dérangés, sales et sanglants, Vallès me regarde en tremblant. Je le regarde. Je regarde les gendarmes. Je ne parle pas. Vallès s’en va. Vers, là-bas, les champs belges, la mer et l’Angleterre.

Ça ne doit pas être tout à fait ça. Je crains de m’être laissée aller à un autre de mes mauvais penchants… Oui, je crois qu’il se souvenait que Vallès était déguisé en prêtre ou en croque-mort…

Du Camp a toutefois a du mal à mépriser « M. Lissagaray », comme il dit (il appelle Vallès et Courbet « Vallès » et « Courbet »), parce qu’il pense que Lissagaray est du même monde que lui. Il le dit d’ailleurs moins stupide que ceux qu’il défend et le cite volontiers, généralement pour montrer qu’il est, quand même, stupide. La plus belle de ces citations, la voici (je cite Du Camp citant Lissagaray):

M. Lissagaray a écrit à propos du décret sur les otages: « Les membres du Conseil, dans leur emportement enfantin, n’avaient pas vu les vrais otages qui leur crevaient les yeux: la Banque, l’enregistrement et les domaines, la caisse des dépôts et consignations. Par là on tenait…. de la bourgeoisie, on pouvait rire de son expérience, de ses canons. »

Les quatre petits points s’accompagnent de la note infrapaginale:

Il y a ici une expression tellement grossière que je ne puis la reproduire, même par un équivalent.

Ah! Je voyais bien ce que Lissagaray avait pu penser, mais je ne me souvenais pas qu’il ait écrit un mot « tellement grossier » (ah! la belle rime à trouille). J’ai donc rouvert son Histoire de la Commune.

Par là on tenait les parties génitales de la bourgeoisie.

Je le trouve bien modéré dans l’expression! Mais oui, c’est vrai, quel bel otage que le capital!

Quant à la grossièreté, je donnerais la palme à Du Camp lui-même, qui jubile visiblement des scènes d’orgie et d’obscénités qu’il invente et aligne dans son texte. L’utilisation, par les ouvrières et ouvriers parisiens, « sexuellement indisciplinés » (comme dit un historien moderne que j’ai déjà qualifié d’un peu constipé), de leurs parties génitales, a visiblement laissé ces messieurs (et sans doute, forcément, leurs dames) frustrés. L’amour chez les amis de l’ordre doit être plein de raffinements que vous et moi ignorerons toujours (« Fermez les yeux, ma chère, et pensez à l’archevêque »).

(à suivre)

Livres cités

Du Camp (Maxime)Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette (1879).

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).