Après quoi (voir l’article précédent), Baudin est enterré. Il n’est pas vrai, comme on le lit ici ou là (et qu’on le répète, et qu’on le copie-colle…), qu’il est enterré clandestinement. Son nom, avec le prénom Jean-Baptiste, qui est un de ses prénoms à l’état civil, est très clairement inscrit, le 5 décembre, dans le registre des inhumations du cimetière Montmartre, qui est l’endroit normal où sont enterrés les habitants de son arrondissement, le deuxième de l’époque (il habitait rue des Martyrs), il est arrivé là avec un acte de décès dont le numéro figure dans le registre, et l’endroit du cimetière où on l’a placé est tout aussi clairement indiqué — d’autres choses sont indiquées aussi, je vais y revenir. Et la presse le sait, le dit :

M. Baudin a été enterré aujourd’hui au cimetière Montmartre, en présence de quelques personnes,

tous les journaux datés du 6 décembre l’annoncent.

Pourtant… sautons dix-sept ans et ouvrons Le Réveil (de Delescluze) du 5 novembre 1868. On y lit:

de faux renseignements avaient fait croire que le corps de Baudin avait été transporté dans la Nièvre.

Pourquoi la Nièvre ??? Baudin était natif et député de l’Ain. Il semble vrai que sa tombe ait été redécouverte par hasard.

Le 2 novembre 68, jour des Morts, au cimetière Montmartre, ils découvrirent sous une pierre moisie la tombe du représentant Baudin tué les 2 décembre 51 au faubourg Saint-Antoine,

écrit Lissagaray.

Mais, où donc était-elle, cette tombe ? Le 5 décembre 1851, elle est, dit le registre, dans la « Pièce Cigalle », ligne 29, fosse 21. Très bien. Mais… ce n’est pas tout. Une autre mention nous informe que les restes de Baudin ont été déplacés… plusieurs fois. Les suivantes ont du sens, mais la première est étrange : le 13 février 1857, les voici amenés dans la 25e division, 15e ligne, 1ère fosse. Pourquoi ? C’est là qu’on « retrouve » la tombe en 1868, certes sous une pierre moisie, mais avec une inscription permettant de l’identifier.

Dans ce même numéro du 5 novembre 1868, Le Réveil lance une souscription

pour élever un monument à Baudin mort à la barricade Saint-Antoine le 3 décembre 1851

— même pas « assassiné », juste « mort », mais c’est trop pour l’empire qui se dit alors libéral et d’ailleurs a laissé le journal paraître, mais il ne faut pas exagérer.

L’Empire traduit devant son tribunal les journalistes et les orateurs du 2 novembre. Un jeune avocat défend Delescluze,

dit toujours Lissagaray. Il s’agit de Gambetta. Allez, une petite description élogieuse du futur politicien opportuniste,

Il ne s’attarde pas à glorifier Baudin, évoque le 2 Décembre avec des traits de Corneille, incarne la douleur, la colère, l’espoir des républicains, de sa voix torrentielle, submerge le procureur impérial et, crinière au vent, débraillé, apparaît pendant une heure le prophète du châtiment.

C’est ainsi que Baudin devient un symbole.

Le procès Baudin marqua la borne fatale pour l’Empire,

dit toujours Lissagaray.

C’est à cette époque que le peintre Ernest Pichio peint le tableau que l’on peut voir au musée Carnavalet et en couverture de l’article précédent — nous l’avons vu se plaindre, en 1870, que ce tableau n’était pas bien exposé au Salon. Il n’est pas très réaliste, du point de vue des personnages : ils étaient une quinzaine de députés sur place (je l’ai déjà remarqué dans l’article précédent). Mais le décor ressemble beaucoup à ce lieu sur le Faubourg-Saint-Antoine. Ici il faut noter que la « courbe charmante » du faubourg fait que, de cet emplacement, à l’angle du faubourg et des rues Sainte-Marguerite (Trousseau) à droite et de Cotte à gauche, on voit en effet la colonne de Juillet (et ce n’est plus le cas en avançant vers la Bastille, en particulier au carrefour Ledru-Rollin dont je vais reparler un peu plus bas). Il n’est pas indifférent, ni au peintre ni à celles qui regardent son tableau, que la scène se passe sous la protection du génie de la Liberté, même si, il faut bien le dire, celui-ci regarde de l’autre côté…

La popularité de Baudin était telle que les Appert en ont fabriqué et vendu des photographies. L’ombre de Baudin continue à flotter au-dessus de l’actualité des années 1870-72.

Ce qui s’est passé ensuite ? Eh bien, la première information est donnée, toujours par le registre d’inhumation du cimetière Montmartre. Les restes de Baudin sont à nouveau exhumés le 26 octobre 1872. Voici ce qu’en dit Le Rappel daté du 27 octobre (je rappelle que ce journal est daté du lendemain), sous le titre « Exhumation de Baudin » :

Hier matin, à huit heures, au cimetière Montmartre, on a exhumé le corps de Baudin.
Il a fallu d’abord extraire la bière de son frère, enterré dans la même fosse. Puis on a remonté la sienne, et on l’a ouverte.
Le cadavre n’était plus guère qu’un squelette. Le crâne avait à l’arcade sourcilière le trou d’une des balles qui ont assassiné le représentant du peuple ; il manquait un morceau de la mâchoire, qu’une autre balle a fracassée.
L’exhumation s’est faite sans manifestation d’aucune sorte. Il n’y avait presque que les personnes nécessaires. On a remis le corps dans une bière neuve, et on l’a transporté dans le caveau qu’il occupera définitivement.
Le monument est presque terminé. Il n’y a que la statue, pour laquelle M. Aimé Millet demande encore quelques semaines.
On compte que l’inauguration pourra avoir lieu le 3 décembre, anniversaire du meurtre.
L’inscription est déjà gravée sur le piédestal. Elle est très simple :

BAUDIN
Mort le 3 décembre 1851
en détendant la loi.

Nous espérons. qu’il sera permis à la République d’inaugurer dignement le monument de celui qui est mort pour elle.

C’est ce que nous verrons dans l’article suivant.

*

J’ai fait la photographie du monument, un gisant, le 30 août 2024 au cimetière Montmartre, au cours d’une promenade que j’ai racontée dans un article précédente.