Puisque ce blog doit contenir des articles sur les sources d’information, puisque déjà Le Rappel a été cité (à propos des éléphants), et puisqu’il a été question de Victor Hugo…

Le quotidien Le Rappel est souvent défini comme « le journal de Victor Hugo ». Victor Hugo lui-même n’y fait rien, sinon envoyer sa manne de temps à autre sous la forme d’un poème que le journal publie en première page. Mais c’est bien le journal des amis de Victor Hugo: Auguste Vacquerie, Paul Meurice en signent les éditoriaux. Vacquerie, vous savez, était le beau-frère de Léopoldine, le frère de son mari, mort avec elle, vous savez,

Demain dès l’aube à l’heure où blanchit la campagne

Pratiquement la famille Hugo.

Le journal occupe une place très originale dans la presse française de cette époque. Il commence à paraître en mai 1869. Il s’interrompt deux semaines en juin (par défaut d’imprimeur) et à nouveau en août 1870, pour reparaître le 6 septembre avec un « premier-Paris » (éditorial) au titre attendu, « La République est proclamée ».  Le journal paraît ensuite jusqu’au 23 mai, disparaît (par défaut de Commune) jusqu’au 1er novembre, tente de reparaître, redisparaît le 26 novembre avant de renaître vraiment le 1er mars 1872.

L’histoire versaillaise a considéré Le Rappel comme un journal communard. L’histoire « ouvrière » a eu vite fait d’oublier d’aller lire ce journal de conciliateurs — la position de Victor Hugo pendant, sinon après, la Commune, a été pour le moins ambiguë (j’y reviendrai peut-être). Disparition du Rappel dans ce qu’on a appelé les poubelles de l’histoire.

Pourtant… Le Rappel a pris position pour Paris (contre Versailles), il a continué à paraître jusqu’au mardi de la Semaine sanglante, alors que la plupart des journaux avaient été interdits dans les dernières semaines par le Comité de salut public. Il a disparu avec la Commune comme les journaux communards. Plusieurs des personnes qui y travaillaient ont été arrêtées au siège du journal pendant la Semaine sanglante — oui, par l’armée versaillaise. Gaston Lemay et Edgar Monteil, Barbieux. Le journal a eu bien du mal à reparaître après la Commune. Un des journalistes qui y avait collaboré, Albert Grandier, a été condamné, déporté en Nouvelle-Calédonie où il est mort. Les autres ont fait de la prison.

Le Rappel a donc été beaucoup plus « communard » que son célèbre parrain Victor Hugo. Tous les historiens versaillais l’on présenté comme « favorable à la Commune ». L’un dit même qu’on l’appelait « le Moniteur de la Commune » et un autre

Le Rappel s’offre comme journal officieux.

Si les premiers-Paris de Vacquerie, Lockroy et d’autres sont (presque) dans la ligne conciliatrice, les journalistes « aux remparts » rendent compte avec précision et honnêteté de la guerre civile — à laquelle ils participent, du côté parisien bien entendu. Monteil et Grandier étaient d’ailleurs officiers d’ordonnance de La Cecilia, général communard. Les Versaillais qui ont arrêté les collaborateurs du journal ne s’y sont pas trompés!

Pour cause de parrainage du grand homme, ou parce que le titre a existé jusqu’à la fin des années 1920, ou pour une autre raison qui lui est propre, la Bibliothèque nationale de France a choisi de mettre ce quotidien en ligne. On trouve la collection complète en cliquant ici, et l’année 1871 en cliquant là.

Au moment où j’écris cet article, aucun quotidien communard n’est sur Gallica, pas même Le Cri du peuple (sur lequel je reviendrai, bien entendu, mais que l’on peut trouver sur le site archivesautonomies.org, en cliquant ici). Sans parler du Journal Officiel… Profitez-en pour aller lire, aussi dans Le Rappel, une partie de l’histoire de la Commune.

 

Livre cité

Monteil (Edgar), Souvenirs de la Commune, Charavay frères (1883).