Si l’on doit ne lire qu’un seul journal de la Commune, ce journal est Le Cri du Peuple. Hélas, la Bibliothèque nationale de France n’a pas choisi de le mettre en ligne. On le trouve sur le site archivesautonomies.org, et précisément ici (les numéros parus avant la Commune ont été numérisés pour nous par la BnF à partir d’un microfilm).

C’est un quotidien politique.

Rédacteur en chef: Jules Vallès.

Journalistes: Pierre Denis, Casimir Bouis, Eugène Vermersch, Henri Bellenger, Jean-Baptiste Clément, et d’autres.

Le numéro 1 porte la date du 22 février. Le journal est interdit par Vinoy (enfin une victoire d’un général! mais contre la presse républicaine…) le 11 mars, s’arrête au numéro 18 (daté du 12 mars), et reparaît dès le début de l’insurrection du 18 mars avec un numéro daté du 21 mars. Il paraît tous les jours sans interruption jusqu’à la Semaine sanglante. Le dernier numéro est daté du 23 mai.

Le journal porte la marque de son rédacteur en chef, même si le dernier article signé de Vallès paraît dans le numéro daté du 19 avril. Pierre Denis prend la suite. Et parvient parfois à imiter le style à la fois réaliste, ironique et lyrique du patron.

Il est un des journaux les plus lus, ou même le journal le plus lu pendant la Commune. Il tire à cent mille exemplaires. Ce qui signifie, avec la pratique de la lecture à voix haute dans une population souvent illettrée, qu’il touche probablement quatre fois plus de monde.

Je citerai de façon détaillée tel ou tel article du Cri du Peuple ici ou là.

Pour cet article, je me concentrerai sur les peu politiques questions de dates.

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Les nombres cités plus haut posent quelques questions:

  • si les journaux sont interdits le 11 mars, pourquoi celui du 12 mars paraît-il?
  • pourquoi le numéro du 12 mars porte-t-il le numéro 18 et pas 19 (je compte sur mes doigts!)
  • pourquoi « dès le début de l’insurrection » et date du 21 mars?

Il y a plusieurs causes différentes à ces différentes « anomalies ».

Je commence par revenir à la question, posée dans un autre article: que se passe-t-il entre le 28 février et le 1er mars 1871?

Le début de la réponse est simple: les journaux parisiens ne paraissent pas pendant l’occupation de Paris par les Prussiens (en signe de deuil).

Concrètement, voyons Le Rappel, par exemple. Ce journal paraît le 28 février et le 1er mars (au matin). L’occupation prussienne commence le 1er mars à 10 heures du matin. Le Rappel ne paraît pas le lendemain 2 mars mais reparaît le 3 mars : les Prussiens sont partis.

C’est plus compliqué avec Le Cri du peuple pour au moins trois raisons :

  • la plus étonnante est que c’est un journal daté du lendemain comme un journal du soir (mais c’est un quotidien du matin), ce qui répond aux questions « 12 mars » (journal paru le 11) et « 21 mars » (journal paru le 20 et donc écrit le 19),
  • il y a deux éditions différentes datées du 1er mars (sur la première, pour tout arranger, une erreur de fabrication fait porter la date « 1er février » au lieu de « 1er mars »),
  • enfin il y a un jour de retard dans la reparution (pour une raison de changement d’imprimeur).

Bilan, donc :

Le numéro 8 daté du 1er février (erreur, 1er mars), marqué « édition du matin », contient la déclaration de l’Internationale et des sociétés ouvrières sur les Prussiens et un extrait du procès verbal d’une réunion présidée par Vallès à la Corderie le 27 février. Il s’agit d’éviter provocations et effusion de sang. Il y a dans ce journal des lettres datées du 27 février. Le journal annonce une deuxième édition, paraissant « ce soir à quatre heures », contenant les dernières nouvelles.

Cri1mars

Le numéro 9 daté du 1er mars, marqué « nouvelle édition », bordé de noir. Il y a un errata sur la une, une correction à « notre édition du matin ». Donc les numéros 8 et 9 sont bien parus le même jour, l’un le matin et l’autre le soir. Il semble complètement exclu que le journal soit paru à quatre heures « du soir » si les Prussiens étaient entrés dans Paris à 10 heures du matin. On peut donc tenir pour acquis le fait que les numéros 8 et 9 datés du 1er mars sont bien parus le 28 février.

Il n’y a pas de numéro daté du 2 mars.

Le numéro 10 est daté du samedi 4 mars. Le Vengeur (et Le Cri avec lui) a changé d’imprimeur, d’où l’absence de numéro daté du 3 mars. « Les Prussiens doivent avoir évacué Paris aujourd’hui 3 mars », lit-on en tête de la première colonne, ce qui semble confirmer que ce journal est bien paru le 3 mars (sinon, on aurait « les Prussiens ont évacué »). Et confirme que le journal est bien daté du lendemain.

À toutes les évidences que le journal paraissait le matin, j’ajoute une phrase de Lissagaray, dans son Histoire de la Commune:

C’est le premier levé; il chante avec le coq. Si nous avons du Vallès ce matin (…) 

(il n’aimait pas les articles de Pierre Denis!).

Livre cité

Lissagaray (Prosper-Olivier), Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).