Nous sommes arrivés au 18 mars. L’opération canons de Thiers a raté: à Montmartre les soldats ont préféré mettre crosse en l’air que de tirer sur le peuple. Thiers a quitté Paris et entraîné son gouvernement avec lui. Le Comité central a le pouvoir et hésite à s’en servir. Voir, en cas de besoin, la chronologie.

Dans Paris, on dresse des barricades.

C’est l’occasion de tester notre connaissance de Paris — et celles des auteurs que nous lisons (en complétant le Connaissez-vous Paris? imité dans le titre de cet article).

L’excellent livre d’Edmond Lepelletier dresse une liste des emplacements de ces barricades du 18 mars. Voici pour le onzième:

rues Saint-Sébastien, Sedaine, Saint-Sabin et Faubourg-Saint-Antoine à l’angle de la rue du Chemin-Vert.

Mais… la rue du Chemin-Vert ne coupe pas la rue du Faubourg-Saint-Antoine! C’est plutôt la rue de Charonne, ici…

Cet auteur n’est pas le seul à méconnaître le onzième arrondissement.

Anticipons ici grandement sur la chronologie.

La scène se passe le samedi 27 mai, à la fin de la Semaine sanglante. Le Faubourg-Saint-Antoine est enveloppé, les Versaillais y font une effroyable tuerie. Depuis longtemps les barricades du Château-d’Eau (place de la République) sont

abandonnées, le restant de leurs défenseurs ayant reculé jusqu’au canal, alors à découvert sur tout son parcours.

Exemple du membre de phrase inutile… et faux, écrit par Dubreuilh dans son texte sur la Commune  (dans l’Histoire socialiste de Jaurès). Il mentionne pourtant le boulevard Richard-Lenoir à la page suivante. De la place de la République, on n’a pas de mal à reculer jusqu’au canal — qui est à découvert, aujourd’hui comme en 1871, à partir du Faubourg-du-Temple (ou presque). Le reste était, depuis 1859, comme aujourd’hui, recouvert par le boulevard Richard-Lenoir (même si ce boulevard s’appelait, en 1859, boulevard de la Reine-Hortense). C’est justement pour pouvoir prendre plus facilement le Faubourg-Saint-Antoine que le canal avait été couvert… une des leçons que la bourgeoisie avait tirées de juin 1848.

Le onzième arrondissement, lieu important de la Commune, est bien méconnu… de la plupart des auteurs — et d’ailleurs aussi de celui de Connaissez-vous Paris? (sauf erreur de ma part, sur les 456 lieux envisagés dans ce livre, seuls 7 ou 8 sont dans le onzième).

Le (bien oublié et réactionnaire) romancier à succès Cécil Saint-Laurent (pseudonyme de Jacques Laurent, académicien français), qui a tenté de surfer sur la vague du centenaire en écrivant un mauvais roman sur la Commune, situe la mairie du onzième place de la République.

Celui-là n’était probablement jamais allé plus à l’est que la place de l’Opéra. Il aurait quand même pu ouvrir un plan de Paris…

Un autre (Armand Lanoux), toujours sur la même vague, a ouvert un plan. Il écrit que la rue Basfroi part du 69 de la rue de Charonne pour déboucher dans la rue de la Roquette au numéro 106. Quelle précision! Il ajoute:

C’est le XIIe arrondissement.

Nul n’est parfait!

Quelques pages plus loin, il parle du maire Mottu révoqué dans le deuxième. Jules Mottu était, avant la Commune, maire du onzième arrondissement (il a été nommé en septembre 1870, révoqué en octobre, avant d’être élu en novembre…). Sans doute Armand Lanoux a-t-il simplement lu IIe là où il y avais 11e, mais, au vu des différences sociales et politiques entre les deuxième et onzième arrondissements à ce moment de l’histoire, c’est un authentique contre-sens.

Ces messieurs n’allaient pas plus dans le onzième, cent ans après la Commune, que leurs collègues de 1871.

Puisque Jules Mottu (qui fut quand même le dernier maire élu du onzième avant… Alain Devaquet en 1986), a été mentionné, notons encore une erreur, qui prouve une mauvaise relecture de la « Grande histoire » par son auteur:

le XIVe a à sa tête Mottu, passionné des écoles sans dieu bien que républicain modéré.

Ce qui fait deux erreurs pour le prix d’une: quatorzième au lieu de onzième, et pas si modéré que ça, il faudra revenir à Jules Mottu. Toujours Georges Soria et toujours le onzième, à moins que ce soit le vingtième:

Vallès se battra jusqu’à sa toute dernière cartouche devant la mairie du IXe arrondissement.

Oui, les dernières cartouches ont été tirées, après la mairie du onzième, devant celle du vingtième.

Bon, d’accord, il n’y a pas que le onzième. Un haineux déjà mentionné décrit la façade sans toiture du Palais de l’industrie (à l’emplacement, plus ou moins, de notre Grand Palais) après les combats et qualifie ce palais d’

orgueil de l’Exposition de 1867.

L’exposition universelle de 1867 s’est tenue dans un palais construit sur le Champ de Mars — où ne se dressait pas la Tour Eiffel. Le Palais de l’industrie datait de l’exposition universelle de 1855. C’est l’utilisation d’un guide de l’exposition de 1867 (par H. de Parville), qui comporte une utile liste alphabétique des rues de Paris, qui m’a évité de faire cette erreur-là.

 

(à suivre)

Livres cités

Queneau (Raymond), Connaissez-vous Paris?, Folio Gallimard (2011).

Lepelletier (Edmond), Histoire de la Commune en trois tomes, Paris, Mercure de France (1911).

Dubreuilh (Louis)La Commune, in Histoire Socialiste, dirigée par Jean Jaurès, Paris, Jules Rouff (1901).

Saint-Laurent (Cécil), La Communarde, Presses de la Cité (1970).

Lanoux (Armand), La Polka des canons, Grasset (1970), — Le Coq rouge, Grasset (1971).

Soria (Georges), La Grande histoire de la Commune, Livre Club Diderot (1971).

D’Almeras (Henri), La vie parisienne pendant le siège et sous la Commune, Albin Michel (1927).

Parville (Henri de), Itinéraire dans Paris, précédé de Promenades à l’Exposition, Garnier (1867).