Après avoir été fait prisonnier le 5 avril 1871, Élisée Reclus est passé par quatorze (oui quatorze) prisons différentes, avant d’être libéré (et expulsé) à la suite de la protestation de nombreux scientifiques européens. Le géographe est un témoin précis et responsable. À la demande de Lissagaray, il a relaté son odyssée de prisonnier. Lissagaray en a fait un appendice de son livre.  Cet appendice ne figure pas dans l’édition de 1876, on peut donc imaginer que le témoignage est postérieur…

Les quatorze étapes sont Satory (près de Versailles), les wagons à bestiaux jusqu’à Brest, Quélern (en face de Brest), Tréberon (une île à proximité), Fontenoy (un ponton, c’est-à-dire un bateau), la prison militaire de Brest, le Chenil de Saint-Germain (si, si), la prison de Chatou, les casemates du Mont-Valérien, la Maison de correction de Versailles, la Conciergerie, Sainte-Pélagie (les deux dernières à Paris), la prison de Pontarlier.

De sa relation, j’ai extrait la partie consacrée aux wagons à bestiaux. Décidément, les Versaillais ont inventé pas mal de choses…

Vous avez sans doute aussi entendu parler des wagons à bestiaux dans lesquels nous avons été transportés à Brest. Nous étions quarante empilés dans le wagon, jetés les uns sur les autres. C’était un fouillis de bras, de têtes et de jambes. Les bâches étaient soigneusement fermées autour de la cargaison de chair humaine, nous ne respirions que par les fentes et les interstices du bois. On avait jeté dans un coin un tas de biscuits en miettes; mais jetés nous-mêmes sur ce tas, sans savoir ce que c’était, nous l’avions bientôt écrasé, réduit en poussière. Pendant vingt-quatre heures, pas d’autres vivres, pas de boisson; à Lorient seulement, on nous donna un morceau de pain de la grosseur du poing. Mais, de tout le voyage, pendant trente et une heures, nul de nous ne put descendre et respirer. Les excréments des malades se mêlèrent à la boue de nos biscuits; la folie s’empara de plusieurs d’entre nous: on se battait pour avoir un peu d’air, un peu de place; plusieurs d’entre nous, hallucinés, furieux, étaient autant de bêtes fauves.

Livre cité

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).