L’abbé Vidieu (mais le vit-il vraiment?) est un des très rares historiens (versaillais ou pas, anciens ou modernes), qui citent le petit JO. Le « Çà et là » du numéro daté 4 avril l’a sans doute énervé.

L’Officiel de la Commune fut confié à Longuet, qui y fit une véritable révolution. Jusqu’alors, cette feuille avait affecté un air solennel, Longuet y introduisit un élément tout français, le calembour.

« On assure, écrivait-il […] »

Eh bien non, citoyen abbé! Il est vrai que Charles Longuet fut délégué à l’Officiel — jusqu’au 13 mai. Il est plus que probable qu’il appréciait les calembours. Mais l’article que vous citez n’est pas de sa plume. Il est pourtant signé. L’auteur s’appelle Floriss Piraux. Voici un extrait de ce même article:

Le capitaine de gendarmerie à M. le préfet.

Creusot, 27 mars, minuit 38 m.

L’attitude des cuirassiers, de l’infanterie et de la gendarmerie, a été ce qu’elle doit être.

Le commandant,

POUGNET.

L’attitude a dû être infecte, c’est certain. En pensant aux victimes de ces braves amis de l’ordre, le mot me révolterait s’il ne me ré-pougnet.

Que des communards aient été tués ici ou là — il est question de la répression de la Commune du Creusot, à Paris la guerre a commencé (nous sommes le 3 avril) — que des massacres aient été en préparation, cela ne fait pas des Parisiens de 1871 des êtres désincarnés et sans humour. Ils rient, ils font la fête, ils font l’amour, ils boivent, ils chantent, ils se battent.

Les calembours et les jeux de mots ne manquent pas (lisez les « Çà et là » du petit JO). Nous avons vu aussi un tailleur prendre des mesures dans Le Cri du peuple. N’en déplaise à Monsieur l’abbé, il y a même souvent des blagues (plus discrètes que celles de Piraux) dans le grand JO — je pense au général « vainqueur de la journée de Nuits », par exemple. Tous les renseignements pour consulter les deux éditions du Journal Officiel se trouvent dans notre article sur ce journal.

Il n’y a pas que la presse. Un membre de la Commune était particulièrement célèbre pour ses jeux de mots. Il s’appelait Jules Johannard, il avait vingt-huit ans, il était ouvrier en fleurs, membre de l’Internationale et même de son Conseil général, il a été condamné au troisième procès de l’Internationale, il était signataire de l’affiche rouge, il a été élu à la Commune par le deuxième arrondissement lors des élections complémentaires du 16 avril (dont je parlerai certainement un jour). Bref, quelqu’un de tout à fait « sérieux » — et joyeux. Un plumitif versaillais lui attribue la liste de jeux de mots (certainement apocryphe, mais il n’y a pas de feu sans fumée):

En Avrial ou en Ranvier, quand les Jourde s’allongent, on voit les Amouroux se promener dans la Vallès ou près Delescluze Dupont; s’ils ont le Grousset garni, on les voit Assy sur la Verdure ou Courbet sur la folle Avoine, manger des Gambon, des Eudes sur le plat et Trinquet sans Miot dire.

On aura reconnu dans les mots en rouge des noms de membres de la Commune. Le « sans Miot dire » de la fin semble assez peu réaliste. Le même « historien » raconte que Johannard fut fusillé le 2 juin dans les fossés de Vincennes. En réalité, Jules Johannard avait pu fuir et se réfugier à Londres, et je peux même vous dire qu’il chanta une abominable scie de café-concert un soir où il fut invité à une fête chez les Marx. N’empêche, quelqu’un a peut-être été fusillé parce qu’il lui ressemblait. De plus en plus apocryphe, ce que ce fusillé aurait dit au moment où on lui disait de se mettre à genoux:

Oh! s’écria-t-il, je ne puis me Vésinier à Courbet. Je Dereure Assy.

Et le Versaillais, décidément jovial lui aussi, de conclure:

Tant de calembours méritaient une peine capitale.

(à suivre)

Livres cités

Vidieu (Abbé), Histoire de la Commune de Paris en 1871, Dentu (1876).

Morel (Henry), Le Pilori des communeux, Lachaud (1871).

Marx (Karl) et Engels (Friedrich), Correspondance, Éditions sociales (1985).