Le 10 avril, c’est Arthur Arnould qui préside la séance de la Commune de l’après-midi. Les élus votent à l’unanimité le décret sur les pensions:

La Commune de Paris, ayant adopté les veuves et les enfants de tous les citoyens morts pour la défense des droits du peuple, décrète:

Art. 1er. — Une pension de 600 francs sera accordée à la femme du garde national tué pour la défense des droits du peuple, après enquête qui établira ses droits et ses besoins.

Art. 2. — Chacun des enfants, reconnus ou non, recevra, jusqu’à l’âge de dix-huit ans, une pension annuelle de 365 francs, payable  par douzièmes.

Art. 3. — Dans le cas où les enfants seraient déjà privés de leur mère, ils seront élevés aux frais de la Commune, qui leur fera donner l’éducation intégrale nécessaire pour être en mesure de se suffire dans la société.

Art. 4. — Les ascendants, père, mère, frères et sœurs de tout citoyen mort pour la défense des droits de Paris et qui prouveront que le défunt était pour eux un soutien nécessaire, pourront être admis à recevoir une pension proportionnelle à leurs besoins, dans les limites de 100 à 800 francs par personne.

Art. 5. — Toute enquête nécessitée par l’application des articles ci-dessus sera faite par une commission spéciale composée de six membres délégués à cette effet dans chaque arrondissement, et présidée par un membre de la Commune appartenant à l’arrondissement.

Art. 6. — Un comité, composé de trois membres de la Commune, centralisera les résultats produits par l’enquête et statuera en dernier ressort.

Il est publié dans le JO du 11 avril.

Le plus remarquable, dans ce décret, c’est que tous les enfants sont traités de la même manière: la République attendra cent quarante ans avant d’y arriver. Ce que je trouve encore plus remarquable, c’est qu’aucun des mots « légitime » et « illégitime » ne figure dans le texte. Ni pour les femmes, ni pour les enfants.

Pour mesurer la portée de ce décret, il faut savoir qu’en ce temps-là, le tiers environ des unions, dans la classe ouvrière, étaient libres (ou illégitime, selon le point de vue que l’on désire adopter).

Voici ce qu’écrivit Arthur Arnould dans son livre, quelques années plus tard.

Ce fut peut-être une des plus grandes audaces de la Commune, car elle tranchait ainsi radicalement une question de morale, et jetait le jalon d’une modification profonde de la constitution actuelle de la famille.

Ce décret, en élevant la femme au rang de l’homme, en la mettant, aux yeux de la loi et des mœurs, sur un pied d’égalité civile absolue avec l’homme, se plaçait sur le terrain de la morale vraie, et portait un coup mortel à l’institution religioso-monarchique du mariage tel que nous le voyons fonctionner dans la société moderne.

C’était aussi un acte de justice, car il est temps d’en finir avec cet inique préjugé, cette barbarie de la loi, qui, dans ce qu’on appelle aujourd’hui le concubinage, par opposition au mariage légal, ne frappent que les faibles: la femme séduite, l’enfant innocent.

L’union de l’homme et de la femme doit être un acte essentiellement libre, accompli par deux personnalités responsables. Dans cette union, les droits comme les devoirs doivent être réciproques et égaux.

Quand un homme devient l’amant d’une femme et la rend mère, cette femme est sa femme, ses enfants sont les siens.

Puisque la société ne frappe point l’amant, pourquoi prétend-elle frapper la maîtresse, pourquoi frappe-t-elle les enfants qui, sans doute, n’ont point demandé à naître?

Un irrésistible commentaire anachronique: le mariage pour tous… enfin, tous ceux qui le veulent, et que les autres vivent en paix… Et un commentaire d’époque, toujours le livre d’Arthur Arnould, à qui je laisse la responsabilité de l’opinion et du style:

Du reste, aucun gouvernement, aucune Révolution, n’ont tendu une main aussi loyalement fraternelle à la femme que la Commune de Paris, que la Révolution sociale du 18 mars.

*

Les femmes représentées sur l’image sont de gauche à droite et de haut en bas,

Reine Cottin, Augustine Gamel, Marie-Jeanne Moussu, Victorine Brocher, Louise Bonenfant, Hortense David

Désirée Dumont, Clara Fournier, Pauline Bourrette, Louise Michel, Victorine Loubet

Paule Minck, Marie Ferré, André Léo.

La plupart de ces photographies viennent du site de Jean-Paul Achard.

Livres cités

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).

Arnould (Arthur)Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, Bruxelles, Librairie socialiste Henri Kistemaeckers (1878).