Parce que j’ai commencé à mettre des articles sur ce blog (site) au mois de mai et que cet article-là, celui que vous lisez, je le « publie » le 28 mai, je l’illustre par une image représentant Eugène Varlin, membre de la Commune, membre de l’Internationale, assassiné le 28 mai 1871, et je le consacre à une des premières expressions publiques d’hommage à la mémoire de la Commune de Paris, en incluant ici une vue de la dernière page de l’hebdomadaire socialiste L’Égalité du 18 mars 1880.

L'Égalité du 18 mars 1880, dernière page

Il y a eu d’autres expressions publiques, dont la première fut peut-être un banquet organisé par le même journal en 1878.

Un hebdomadaire socialiste? En 1878?

Leur éloignement géographique avait empêché Jules Guesde et Paul Lafargue de participer directement à la Commune (même si Lafargue était venu quelques jours à Paris en avril 1871). Il ne les avait pas empêchés de la soutenir avec force. De sorte qu’ils avaient été poursuivis et avaient dû fuir, l’un en Suisse, l’autre en Espagne et au Portugal. Mais ils ne furent pas condamnés à mort, ils ne furent pas déportés en Nouvelle-Calédonie, et ils purent rentrer en France avant l’amnistie des communards. Bref, en 1877, Guesde commençait à publier L’Égalité, à Paris (plus exactement en région parisienne). Le journal dut s’interrompre plusieurs fois — il ne faut pas croire que publier un journal socialiste à Paris six ans après la Commune était une chose facile.

Nous arrivons à 1878, où comme je le disais un banquet fut organisé pour le septième anniversaire. Plus de trois cents convives se sont réunis le 27 mai dans une salle, 40 avenue de Saint-Mandé. En plus du prix du repas (3F50), il y eut une collecte au dessert, dont la moitié des bénéfices alla aux condamnés de la Commune.

Mais, en 1880, après la timide amnistie partielle votée en 1879, après neuf ans d’exils et de déportations, il fallait frapper plus fort.

Le 18 mars 1880, donc, L’Égalité est imprimé à l’encre rouge, avec une impressionnante dernière page, sur trois colonnes et sous le titre « Les Vainqueurs »: le début d’une liste alphabétique d’officiers versaillais (elle se termine, au bas de la page, par « Etc., etc. ») encadrant un (le) beau portrait d’Eugène Varlin.

Le journal est dédié

Aux morts anonymes de mars, avril et mai 1871.

Il comporte

  • un éditorial « Le 18 mars »
  • un article historique « Les précurseurs »
    • La conjuration des égaux
    • L’insurrection de la faim (Lyon 1831)
    • Juin 1848
  • un article théorique « Constitution du prolétariat »
  • un article historique « Le radicalisme bourgeois et le 18 mars »
    • Les paroles
    • Les votes
    • Les écrits
  • le 18 mars à l’étranger
    • Londres
    • Belgique
    • Espagne
    • Italie
    • Russie
    • États-Unis
  • Nos morts — Duval, Flourens, Raoul Rigault, Millière, Delescluze, Vermorel, Tony-Moilin, Varlin, Ferré (ce sont des extraits de presse de 1871)
  • et la dernière page, « les Vainqueurs ».

Voici quelques extraits de l’éditorial (les articles ne sont pas signés, mais il est forcément dû à Lafargue ou à Guesde). Le contexte précis est celui où les radicaux, qui sont les politiciens les plus à gauche de l’Assemblée, se prononcent (et encore, même pas tous) pour l’amnistie des communards et réduisent (déjà…) la Commune à ses aspects « républicains ».

Tous les efforts des radicaux bourgeois pour le réduire après coup à une simple affirmation républicaine ou à une revendication municipale — d’aucuns disent à un accès de fièvre obsidionale — n’empêcheront pas le 18 Mars d’être ce qu’il a été et ce qu’il deviendra toujours d’avantage:

  1. Une Révolution ouvrière […]
  2. Une Révolution économique et sociale […]

Le 18 mars est presque exclusivement prolétarien. Pour ne rien dire de ses défenseurs anonymes recrutés en immense majorité dans les ateliers, le Comité central, qui est sa première sinon sa principale expression, ne se compose que de travailleurs manuels. L’uniforme de garde nationale peut recouvrir, il ne dissimule pas « la blouse » de ces gouvernants d’une semaine. Et si la Commune est moins exclusive, si la bourgeoisie s’y trouve représentée, c’est par ses « déclassés » par ses prolétaires, pourrait-on dire, journalistes et étudiants qui vivent de leur travail, et dont l’activité cérébrale, comme l’activité musculaire de la classe ouvrière, est subordonnée dans son exercice et son application à un capital qui est possédé par d’autres. M. Louis Blanc, qui dans son entrevue avec les délégués de Toulouse, reprochait aux élus d’être « des inconnus pour la plupart », constatait sans s’en douter peut-être cet état de choses comme ce colonel préposé aux exécutions du 43e bataillon, qui avant de faire « abattre » un membre du Comité central, Lévêque, disait « d’un air goguenard » à ses soldats: « C’est un maçon et ça voulait gouverner la France! » Oui, c’étaient des maçons, des relieurs, des cordonniers, c’est-à-dire une nouvelle couche sociale qui entrait en ligne, le Quatrième-État qui émergeait à coups de fusil.

Le 18 Mars est social ou socialiste dans son programme […] L’autonomie communale […] n’est […] qu’un moyen destiné à… quoi? À universaliser la propriété [Déclaration au peuple français du 19 avril 1871].

L’outil à l’ouvrier, la terre à celui qui la cultive, lit-on dans une autre proclamation à l’adresse des départements.

Après avoir rappelé différentes mesures socialistes prises par la Commune et sur lesquelles je reviendrai dans de futurs articles (de même que je reviendrai sur les deux déclarations qui viennent d’être citées), l’article se conclut ainsi:

Et l’on voudrait qu’une révolution qui a ainsi bouleversé tous les partis politiques, ne laissant plus subsister dans le monde entier que deux classes en présence l’une de l’autre, ne soit pas une révolution de classe, la vôtre, ô travailleurs!

Allons donc!

Le 18 Mars vous appartient tout entier, comme 89 appartient au Tiers-État, ou, plus exactement, le 18 Mars est votre 89 — qui commence.

 

Je remercie encore une fois Yves C. pour m’avoir fait lire ce journal.