Nous voilà donc, après les 28 et 30 avril, le 1er mai. Toujours à l’Hôtel de Ville où la Commune tient séance.

Il est 3 heures et demie. Meilliet préside.

On commence bien sûr par se disputer sur des riens — ou presque — alors que la bataille continue à faire rage — des riens qui durent: la publication de la séance du 28 dans Paris-Libre — celle par l’Officiel d’autre chose (mais pas de rapport militaire sur le fort d’Issy) — la nomination de quatre substituts au procureur de la Commune (c’est Rigault) — ah! le fort d’Issy quand même — un article de Pyat contre Jourde qui déplaît à Jourde (et cela dure… il y a même un vote, après lequel on discute pour savoir ce que signifie ce qu’on a voté) — l’état d’esprit des populations du 17e (arrondissement) — le secrétariat des séances et l’Officiel — les moyens de défense…

Et puis on vote. La discussion n’est pas très amicale. On entend Arthur Arnould dire:

Ne recommençons pas les violences d’hier.

Plus tard, c’est Babick qui remarquera:

Je vois avec regret qu’il y a deux camps qui se forment dans l’assemblée. Mais cependant je ne comprendrais pas que l’on traitât d’ennemis ceux de nos collègues qui ne pensent pas comme nous.

Le résultat du vote? 45 votent pour — ils sont la majorité — et 23 votent contre — la minorité.

Tous ont motivé leur vote. Voici quelques arguments.

Félix Pyat: Attendu que le mot de salut public est absolument de la même époque que celui de Révolution française et de Commune de Paris, je vote pour.

Une puissante raison, comme le remarquera Lissagaray. Longuet devait être du même avis. Il déclare:

Ne croyant pas plus aux mots sauveurs qu’aux talismans et aux amulettes, je vote contre.

Il ne s’agit pas de deux groupes constitués et figés. Par exemple, Frankel vote pour:

Quoique je ne voie pas l’utilité de ce Comité, mais ne voulant pas prêter à des insinuations contraires à mes opinions révolutionnaires socialistes, et tout en réservant le droit d’insurrection contre ce Comité, je vote pour.

Mais il fera, comme la plupart des internationalistes, partie de la « minorité ». Celui qui s’exprime le plus longuement est Édouard Vaillant. Il vote pour.

Je vote pour sur l’ensemble du décret, tout en ayant voté contre l’article 3 et le nom de Comité de Salut public [c’est le vote de la veille, Vaillant a voté pour le « Comité exécutif »] […] Mais je ne partage pas l’illusion de l’assemblée […] Si l’assemblée voulait avoir un réel Comité exécutif, pouvant vraiment prendre la direction de la situation, parer aux éventualités politiques, elle devrait commencer par se réformer elle-même, cesser d’être un petit parlement bavard […]

Au Comité exécutif seraient renvoyées les affaires politiques, aux commissions diverses toutes les affaires du ressort de ces diverses commissions, et les séances se passeraient, sans incidents inutiles, à prendre des résolutions et non plus à discourir.

Pour un Comité exécutif de cet ordre, et seul pouvant vraiment porter le titre de Salut public, qui n’a d’ailleurs pas d’importance et qui a le désavantage d’être une répétition, je voterai oui sans phrases.

En un mot, il faut organiser la Commune et son action, faire de l’action, de la révolution, et non de l’agitation, du pastiche.

Ont voté pour (même si le compte n’y est pas): Amouroux, Allix, Bergeret, Billioray, Blanchet, Brunel, Champy, Chardon, E. Clément, Cournet, Demay, Dereure, Cl. Dupont, J. Durand, Ferré, Frankel, H. Fortuné, C. Gérardin, Géresme, Grousset, Ledroit, Lonclas, Martelet, Meilliet, Miot, Oudet, Parisel, Pillot, Pottier, Philippe, Pyat, Ranvier, Régère, Rigault, Sicard, Trinquet, Urbain, Vaillant, Vésinier, Viard, Verdure.

Ont voté contre: Andrieu, Arnould, Avrial, Babick, Beslay, Clémence, V. Clément, Courbet, E. Gérardin, Jourde, Langevin, Lefrançais, Longuet, Malon, Ostyn, Pindy, Rastoul, Serraillier, Tridon, Theisz, Vallès, Varlin, Vermorel.

Il y a une petite suspension de séance. On reprend à 7 heures 20.

Un Comité de Salut public est élu. Ceux qui ont voté contre s’abstiennent. Les élus sont

  • Antoine Arnaud, 33 voix
  • Gabriel Ranvier, 27 voix
  • Léo Meilliet, 27 voix,
  • Félix Pyat, 24 voix,
  • Charles Gérardin, 21 voix.

Pas pour très longtemps.

Le procès verbal complet de la séance, qui s’est terminée à 8h35, comme toujours, en cliquant ici.

Pour conclure, je laisse encore une fois la parole à Lissagaray.

Le compte rendu de cette séance parut, très écourté, à l’Officiel qui inséra pourtant les votes motivés. Les amis de la Commune, les braves des tranchées, des forts, de la bataille, apprirent alors qu’il y avait une minorité à l’Hôtel de Ville. Elle s’affirmait juste au moment où Versailles démasquait ses batteries du sud. Cette minorité, qui contenait, à dix exceptions près, les plus intelligents, les éclairés de la Commune, ne put jamais s’encadrer dans la situation. L’illusion générale était qu’on durerait, à tel point qu’on prorogea de trois ans le remboursement des dettes antérieures à la Commune; la minorité, exagérant encore, ne voulut jamais comprendre que la Commune était une barricade. Quelques-uns portaient leurs principes en bouclier, comme une tête de Méduse, et n’eussent pas fait de concession même pour la victoire, disaient: « Nous étions pour la liberté sous l’Empire, au pouvoir nous ne nous renierons pas. » Jusque dans l’exil, quelques-uns ont prétendu que la Commune avait péri par ses tendances autoritaires. Au lieu d’appliquer leur intelligence à conquérir la majorité, de transiger avec les circonstances et les faiblesses de leurs collègues, ils se cantonnèrent dans leur autonomie, attendant que tout le monde vînt à eux.

L’histoire n’est pas terminée. Il faut, en même temps que la continuer, pour la continuer, en dire plus sur le fort d’Issy.

La séance du 1er mai est ici (cliquer).

Livres cités

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).