… enfin, pas tous.

Le 24 mai, devant l’avancée des troupes versaillaises dans Paris, la Commune abandonne l’Hôtel de Ville. Le feu est mis à ce bâtiment historique (« néorenaissance »).

Oui, l’Hôtel de Ville a été incendié. Oui, le palais des Tuileries aussi, et volontairement. Oui, il y a eu des incendies, dont beaucoup dus aux obus Versaillais et même certains dus aux propriétaires des maisons incendiées — les fraudes à l’assurance existaient déjà.

Et non, bien entendu, non, les pompiers de la Commune n’ont pas utilisé des lances à incendie pour jeter du pétrole au lieu d’eau sur le feu — essayez, voir! vous n’essaierez pas deux fois!

Mais oui, Paris a brûlé. Oui, l’incendie est une arme de guerre. Il l’a été à Paris en 1871 comme il l’avait été à Moscou en 1812.

Et oui, au cours de l’incendie de l’Hôtel de Ville, de même qu’au cours des incendies causés par les obus versaillais (au ministère des finances, par exemple), de nombreux papiers — manuscrits ou pas — brûlèrent.

Ceci contribua à faciliter l’entreprise versaillaise d’écriture de l’histoire, mais permit peut-être aussi à quelques combattants de survivre.

Par exemple, ceux qui ont fait brûler les états des compagnies et des bataillons ont évité des poursuites et des condamnations à certains de ceux qui figuraient sur ces listes (en tout cas à ceux qui n’avaient pas déjà été assassinés).

D’autres pourtant, essayèrent de préserver certains documents.

On a raconté qu’Amouroux, un des secrétaires de la Commune, avait lui-même brûlé les papiers de son secrétariat avant de quitter les lieux. C’est l’autre secrétaire de la Commune, Vésinier, qu’il n’est sans doute pas exagéré de qualifier de langue de vipère, qui diffusa cette histoire. Il ajoutait qu’Amouroux avait ainsi rendu un fier service aux communards en détruisant, avec les procès verbaux des séances de la Commune, un monceau d’inepties dont la divulgation aurait considérablement nui à la mémoire des combattants de 1871.

Il est clair que ces documents auraient considérablement nui à la vie des membres de la Commune jugés en août 1871.

Ou peut-être pas. Car, ce que l’on n’avait pas, on le fabriqua. Par exemple un compte rendu d’une séance de la Commune, daté du 20 mai, fut « retrouvé » chez Amouroux: ce jour-là, notez bien, le 20 mai, avant l’entrée des Versaillais, la Commune avait décidé d’incendier Paris!

Amouroux a été arrêté dès la nuit du 21 au 22 mai. Il a réussi à dissimuler son identité jusqu’au 31 août (c’est pourquoi il n’a pas été jugé avec les autres membres de la Commune par le Conseil de guerre qui s’est ouvert en août 1871). Il est très invraisemblable qu’il ait brûlé ses papiers avant son arrestation.
Il n’est pas vrai que les manuscrits ne brûlent pas — une citation du Maître et Marguerite utilisée un peu n’importe comment.

Mais il ne brûlent pas tous. Et les procès-verbaux des réunions de la Commune n’ont pas brûlé. Ils ont été emportés et sauvés par Gustave Mayer, qui travaillait avec Amouroux et qui les lui conserva jusqu’à son retour de Nouvelle-Calédonie. Oui, Amouroux fut jugé et condamné…

Il fut alors convenu que Mayer les donnerait à la ville de Paris le moment venu. C’est ce qu’il fit, en 1894. Il était alors conseiller du quartier Sainte-Marguerite (onzième).

C’est ainsi que ces documents nous sont aujourd’hui connus.

Ici je précise ce « nous ». Les documents ont été publiés par Georges Bourgin et Gabriel Henriot au cours de la première moitié du vingtième siècle, dans deux gros volumes, avec des commentaires passionnants. Toutes les informations données ici viennent de l’introduction de ce livre. Ce sont les morceaux de ces volumes qui sont numérisés sur le site archivesautonomies.org et auxquels j’ai renvoyé dans certains des articles du présent site.

Mais ils étaient consultables à la bibliothèque historique de la ville de Paris depuis 1894. Maxime Vuillaume, par exemple, les a demandés et consultés. Et Lissagaray aussi, pour écrire la deuxième édition de son Histoire de la Commune.

À quoi j’ajoute trois commentaires.

Il a existé, dès 1871, une édition des « 31 séances officielles de la Commune de Paris » — il s’agit des séances publiées dans le Journal Officiel. La première est celle du 13 avril, parue dans le JO du 15 avril. Le livre est donc très incomplet. Il a pourtant été réédité plusieurs fois depuis.

À ceux (dont je suis) qui ne croient pas que « la » vérité se sait toujours, la survivance de ces documents est un grand réconfort.

Ce n’est ni un accident de guerre (un obus tombé là où il ne fallait pas) ni un acte volontaire (le feu mis à un bâtiment) mais la pure bêtise qui fit que, au cours du vingtième siècle, plusieurs milliers de dossiers des Conseils de guerre qui ont jugé les communards ont été détruits au fort de Vincennes… Décidément, les propres archives de l’armée sont des choses trop importantes pour être confiées aux militaires.

*

Je ne sais pas qui a pris la photographie que j’ai reproduite en tête de cet article. L’ombre du photographe et de son appareil y figurent pourtant au premier plan. C’est l’après-midi. Il fait beau. Les gardes nationaux posent — il fallait garder la pose plusieurs secondes. On y voit l’Hôtel de Ville « Renaissance » tel qu’il était pendant la Commune (le bâtiment n’a pas été reconstruit à l’identique). Sous l’horloge, la statue en bronze d’Henri IV, qui a été dissimulée (drap blanc, drapeaux rouges et tricolores, buste de la République) pendant la proclamation de la Commune et même démontée en mai…

Henri IV, après la colonne Vendôme.

Demain, la façade de l’Hôtel de Ville sera veuve de l’effigie du roi de « la poule au pot. »

Les démolisseurs ont commencé.

Pendant leur travail, la musique jouait la Marseillaise et le Chant du départ.

Le Cri du peuple daté du 22 mai 1871

ce qui fait qu’elle n’a pas brûlé, elle non plus, et qu’elle se trouve aujourd’hui dans un musée parisien.

(à suivre)

Livres cités

Boulgakov (Mikhail), Le Maître et Marguerite, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard (2004).

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).

Vuillaume (Maxime)Mes Cahiers rouges Souvenirs de la Commune (avec un index de Maxime Jourdan), La Découverte (2011).

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Les 31 séances officielles de la Commune de Paris, membres de la Commune, discours d’ouverture, comptes rendus officiels, annexes aux procès-verbaux, projets de lois et de décrets, rapports des commissions, [fac-similé de l’édition Lachaud de 1871], Maspero (1970).