On peut écrire des bêtises, même avec les meilleures intentions du monde. Par exemple Louis Dubreuilh, dans l’Histoire socialiste dirigée par Jaurès, écrit:

Dumas, adjoint de l’Ordre à la mairie du XIIe […] sans procéder à la moindre constatation d’identité, laissa jeter les cadavres dans un puits.

Ce qui est, pour le moins, tendancieux. Ernest Dumas n’était pas exactement un « adjoint de l’Ordre ». Et il a raconté lui même l’histoire de ces quatre cents cadavres.

Voici quand et comment.

Le 10 avril 1877, le Conseil municipal de Paris discute de ce qui est arrivé à Michel François Popp, disparu dans le douzième arrondissement à l’âge de dix-huit ans, le 27 mai 1871. Le garçon a servi dans la marine en 1870, est rentré à Paris en mars 1871. Il est sorti acheter du tabac le samedi 27 mai. Lui et César Huberty, un ami qui l’accompagnait, sont arrêtés par un officier de marine qui décide que ce sont des déserteurs (comme beaucoup de Parisiens, ils portent des morceaux de leurs uniformes). Tous deux se retrouvent à la prison de Mazas. En août, Popp a disparu et Huberty est sur un ponton à Brest.

Il va sans dire que tout le monde sait très bien ce qui s’est passé. Pourtant, encore en 1875 le maire du douzième et en 1876 le préfet de police ont feint l’ignorance. On peut trouver les détails de cette histoire dans le livre de Camille Pelletan.

Dans la discussion du 10 avril, Ernest Dumas, conseiller de Paris, qui était avant la Commune maire adjoint du douzième arrondissement et qui est rentré dans « sa » mairie à la fin de la semaine sanglante, déclare:

qu’après la rentrée des troupes de Versailles il fut, en sa qualité d’adjoint au maire du XIIe arrondissement, appelé à donner des permis d’inhumation pour plus de quatre cents personnes fusillées dans la prison de Mazas. Tous ces cadavres, parmi lesquels se trouvait peut-être celui de M. Popp fils, furent jetés dans un puits du cimetière de Bercy. Ce qui est certain, c’est que l’identité des personnes n’a pas été reconnue, et qu’il n’y a pas eu d’actes de décès.

Cette déclaration a été citée aussi par Lissagaray dans son livre.

Comment les identités auraient-elles pu être reconnues? Comment aurait-on pu ne pas inhumer les corps de ces… disparus?

Parmi eux se trouvait sans doute Maurice Garreau, qui avait été fusillé, comme directeur de Mazas, le vendredi 26 mai. La femme de Garreau, Marie Mercier, a dit à Victor Hugo quelques semaines plus tard qu’elle avait reconnu le corps de son mari parmi « au moins six cents fusillés ». Toujours est-il qu’il a, lui, un acte de décès, à vrai dire assez faux et très incomplet, dont voici le début:

Du vingt-huit mai mil huit cent soixante onze à deux heures et quart du soir. Acte de décès de Maurice Garreau, mécanicien décédé ce matin [il est mort deux jours plus tôt] en cet arrondissement à une heure et en un lieu non précisés. Domicilié à Paris avenue de la Roquette [notre rue Godefroy-Cavaignac] 10. Né à Tours Indre et Loire, célibataire [lui et Marie Mercier n’étaient pas mariés], fils de… sans autres renseignements. […]

*

C’est toujours le même plan de Paris que l’on voit en couverture de cet article. Le cimetière de Bercy est en haut à droite. Un petit pan de mur des fortifications, en bas à droite au bord de la Seine, subsiste aujourd’hui — entre échangeurs du périphérique et de la voie expresse.

(à suivre)

Livres cités et utilisés

Dubreuilh (Louis)La Commune, in Histoire Socialiste, dirigée par Jean Jaurès, Paris, Jules Rouff (1901).

Pelletan (Camille), La Semaine de mai, Maurice Dreyfous (1880).

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Crozes (Abraham Sébastien), L’Abbé Crozes, otage de la Commune, son arrestation, sa captivité, sa délivrance, racontées par lui-même. Le capitaine fédéré Révol, E. de Soye et fils (1877).

Hugo (Victor), Choses vues, Quarto Gallimard (2002).