« Le gisant Noir au zizi poli », c’est le nom que je donne à la sculpture, sur la tombe de Victor Noir, au Père-Lachaise.

Les touristes qui visitent le cimetière veulent « voir » Édith Piaf, Chopin… et Victor Noir.

Tout le monde veut voir Victor Noir, le toucher. Bizarre culte païen.

Il (le gisant) a été sculpté par Jules Dalou, qui fut proscrit comme communard (il avait été élu à la commission fédérale des artistes le 21 avril, adjoint à l’administrateur provisoire du musée du Louvre le 16 mai) et, après son retour à Paris en 1879, réalisa un certain nombre d’œuvres républicaines, parmi lesquelles le bassin central de la place de la Nation. C’est pourquoi il y a aujourd’hui (juillet 2016) une brasserie qui s’appelle « Le Dalou » place de la Nation.

Le gisant en bronze a été sculpté vingt ans après la mort de Victor Noir. Dalou a représenté le jeune homme habillé, les mains gantées, comme en tenue de cérémonie, son chapeau haut de forme comme tombé à côté de lui. La sculpture est réaliste et une protubérance révèle la présence de son sexe sous le pantalon de casimir. Elle le révèle d’autant plus que ce sexe est soumis à des attouchements et caresses incessantes, de touristes venues du monde entier, des femmes qui souhaitent avoir des enfants. De sorte qu’il brille, bien poli au milieu d’un bronze plus terne. Il me semble qu’il serait plus efficace de caresser le sexe d’hommes vivants. Je ne sais pas de quand date cette pratique étrange et d’où elle provient. Je ne crois pas que Victor Noir ait eu beaucoup d’enfants. Les pointes de ses pieds (de ses chaussures) sont, elles aussi, polies. Peut-être par des gens qui ne réussissent pas à prendre leur pied?

Oui, je sais, les historiens, les vrais, n’écrivent pas comme ça.

Je profite de ces allusions (sexuelles) pour glisser un commentaire sur la vie (sexuelle) vue par les historiens, oui, les auteurs qui apparaissent (ou qui apparaîtront) dans ma « liste de livres ». Il y a

  • les historiens versaillais, évidemment frustrés, qui y vont de leurs « orgies rouges »,
  • les historiens communistes et leur « pureté »,
  • tous les autres, qui omettent de mentionner cette composante de la joie du printemps 1871, embrasse-moi, camarade, comme dit Vallès
  • sauf l’un ou l’autre de nos contemporains, que je qualifierais de légèrement constipés, qui emploient des expressions choisies comme « indiscipline sexuelle » pour résumer (c’est le mot) l’assouvissement joyeux des désirs sexuels des ouvrières et ouvriers parisiens objets de leurs études.

Mais oublions le zizi poli et revenons au gisant Noir.

Le journaliste Victor Noir avait vingt et un ans lorsque, à la fin de l’Empire, Henri Rochefort, alors très célèbre journaliste d’opposition, fonda le journal La Marseillaise. Comme les statuts de ce journal le disent explicitement, c’était le journal de Rochefort et c’est lui qui en choisissait les rédacteurs. Jean-Baptiste Millière était le gérant.

Victor Noir a tenu quotidiennement la rubrique « Boulevards et Faubourgs », dès le premier numéro le 19 décembre 1869. Le journal a eu du succès, il a rapidement tiré à cent mille exemplaires.

Au bout de seulement trois semaines, c’en était fini de « Boulevards et Faubourgs ».

Le journal annonça sur toute sa une la mort de Victor Noir, vingt et un ans, assassiné le 10 janvier 1870 par un « prince », Pierre Bonaparte, un cousin de l’empereur.

L’histoire de cet assassinat commence comme une histoire corse. Deux journaux corses, L’Avenir de la Corse et La Revanche, deux hommes, tous deux corses, ledit Bonaparte et Paschal Grousset, représentant La Revanche à Paris et journaliste à La Marseillaise. Grousset est républicain et Pierre Bonaparte qui, évidemment, avec un nom pareil, ne l’est pas, a écrit que les républicains corses sont des mendiants et des traîtres et qu’il va leur mettre les tripes au soleil.

La Marseillaise touche un mot de cette histoire corse.

S’ensuit ce qui aurait dû être une scène de vaudeville: Bonaparte veut se battre avec Rochefort et croit le voir arriver chez lui, mais ce sont Victor Noir et Ulric de Fonvielle, les témoins de Paschal Grousset, qui veut, lui, se battre avec Bonaparte qui arrivent (ce qui explique la tenue soignée du gisant). Bonaparte tire, espérant tuer Rochefort, tue Victor Noir et blesse Ulric de Fonvielle.

Plus de cent mille personnes participent aux obsèques, qui ont lieu à Neuilly le 12 janvier et sont une immense manifestation contre l’Empire.

Je vous en dis un peu plus. Certains veulent en faire une insurrection — deux cent mille travailleurs (sans armes) tenteraient de s’emparer de Paris — d’autres pas — Paris est occupé par soixante mille soldats (armés). Flourens et Vallès veulent. Rochefort non. C’est non. Le cortège se dirige vers Auteuil. Flourens se retire (brièvement) du journal et Vallès aussi.

Et ensuite?

Le journal lance une souscription pour un monument, qui cohabite bientôt dans ses colonnes avec une collecte pour les grévistes des usines Schneider du Creusot.

Il n’est pas impossible que les deux caisses de ces deux collectes se soient mélangées à la caisse (tout court) du journal — c’est un bruit qui a couru à l’époque.

L’histoire tumultueuse qui suivit (acquittement du symbole Pierre Bonaparte, arrestation de presque tous les membres de la rédaction de La Marseillaise, suspensions du journal, guerre, siège, Commune, assassinat de Millière, déportation de Rochefort) ne me permet pas de vous certifier que les sommes recueillies en janvier 1870 ont bien servi à payer le monument de 1891.

Outre le chapeau et le zizi de Victor Noir, celui-ci porte une inscription disant qu’il a été payé par une souscription nationale. Et ce monument est édifié au Père-Lachaise, où le Conseil municipal a décidé de lui accorder une concession et où les restes de Victor Noir ont été transférés, vingt et un ans après sa mort.