Jules Mottu ne fut pas un communard. On n’en parle pas dans les histoires de la Commune. Pourtant, il était une des personnalités les plus populaires des quartiers ouvriers de Paris, et il a joué son rôle, avant et après la Commune…
Trois articles consacrés à ce républicain, premier maire élu du onzième arrondissement, dernier maire élu de cet arrondissement avant… 1983.
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Jules Mottu est né à Saint-Étienne le 17 octobre 1830. Son père avait trente-huit ans et était négociant. Sa mère s’appelait Adeline Marchand. Il a une épouse, Pauline Wittmann, née à Ulm en 1832. Ils se sont mariés à Annonay (dans l’Ardèche) en 1852 et leur fils, Georges, est né en 1853 dans cette ville. Ils ont peut-être vécu un moment à Annonay.
Je ne sais pas quand ils y arrivent mais, en 1858, lorsque nait leur fille Jeanne, ils sont à Paris.
Jules Mottu est bien connu comme républicain. Lorsque Charles Delescluze est revenu de Cayenne — où il avait été déporté — et est arrivé à Paris en 1860, Jules Mottu, qui était banquier, lui a trouvé un emploi de caissier dans son établissement. De même, Eudes, sortant de la prison de Sainte-Pélagie en 1869, a été employé, sur la recommandation de Louis Asseline, à la souscription de « l’Encyclopédie du XIXe siècle », toujours chez Mottu. Il est donc bien vu des blanquistes: Eudes était un blanquiste convaincu, même si Mottu lui-même est plutôt « associationniste ».
En septembre 1870, Jules Mottu a quarante ans, il est banquier boulevard de Sébastopol, il habite dans le neuvième, 84 rue Blanche. Un article du Figaro le décrit, en 1871, comme portant une moustache et son chapeau sur le côté. C’était peu, mais, pendant longtemps, je n’avais rien d’autre. J’ai fini par trouver une photographie. Il avait le front large, les cheveux en arrière, poivre et sel, et une belle moustache. Par contre, je n’ai jamais vu de portrait de Pauline et ne peux vous la décrire.
J’ai dit qu’il avait été élu maire. Mais avant cela, il a été nommé: après le 4 septembre, on a choisi un maire de Paris, Étienne Arago, et il a nommé des maires d’arrondissement. Dans le onzième, il a commencé par nommer Léonce Ribert, un professeur qui a été aussitôt nommé préfet de la Vienne, puis un Monsieur Coffard, qui a démissionné rapidement.
Le 17 septembre, Jules Mottu est déjà maire.
Il travaille en équipe avec les adjoints, Pierre Blanchon et Louis-Gustave Poirier, qui ont été amenés à la mairie par M. Coffard. L’arrondissement est très populaire et très peuplé. Depuis les quelques jours de Coffard, il y a une commission municipale de douze membres, tous (? ou beaucoup?) de l’Internationale, parmi lesquels Avrial et Tolain. Ils se mettent au travail immédiatement, avec trois urgences:
- la guerre,
- le ravitaillement
- et l’enseignement.
Côté guerre, ils ouvrent une souscription pour des canons.
Côté approvisionnement, ils créent des boucheries municipales et font distribuer des cartes de rationnement pour la viande le 8 octobre. Voulez-vous savoir comment on allouait la viande? Vingt-trois têtes de bétail par arrondissement: trois fois plus d’habitants, trois fois moins de viande!
Côté enseignement… Ce n’est pas indépendant de l’approvisionnement. Douze mille enfants de l’arrondissement comptent sur la municipalité et l’école aussi pour leur subsistance. Mottu et ses adjoints décident la laïcité pour l’arrondissement. C’est le 30 septembre. Le 1er octobre, Arago nomme une commission qui doit examiner l’enseignement communal à Paris. Il oublie d’y inclure des instituteurs, mais Mottu en fait partie.
Pourtant, le 19 octobre, Mottu et ses adjoints sont révoqués par le maire de Paris. Tout simplement. Sur la demande du curé de Sainte-Marguerite, appuyé de son seigneur archevêque (je n’invente pas, c’est un document quasi-officiel sur les élus au Conseil municipal un an plus tard qui le dit, je suppose que vous comprenez que ce « seigneur archevêque » est le pauvre Darboy qui a été « massacré » pendant la Semaine sanglante). Ce que Blanqui appelle (dans La Patrie en danger, le 24 octobre):
Exécution du citoyen Mottu sur l’injonction impérieuse de la sacristie.
Je vous cite aussi Gustave Flourens:
Jules Simon, cet hypocrite, [c’est Flourens qui parle, bien sûr,] qui, sous l’Empire, se faisait une popularité en plaidant pour l’enseignement laïque, s’est bien gardé de le soutenir.
Remarquez, il n’avait pas d’autre légitimité que d’avoir été nommé, par « il », je veux dire Mottu — mais Jules Simon n’en avait pas plus. Cette histoire témoigne aussi de l’antagonisme entre le gouvernement et la capitale.
On nomme alors quelqu’un d’autre, un journaliste républicain qui s’appelle Arthur de Fonvielle. Mottu et ses adjoints protestent par une affiche: « Nous sommes révoqués ».
Révoqués, parce que nous avons voulu, dans nos écoles communales, l’instruction laïque qui fait les citoyens, et parce que nous avons repoussé l’instruction congrégationniste qui forme les esclaves.
À vous d’apprécier si nous avons fidèlement traduit les sentiments républicains qui animent le 11e arrondissement.
Notre seul regret, en quittant nos fonctions, est de laisser notre tâche inachevée.
Vive la République!
Le maire et les adjoints révoqués
Jules Mottu, Blanchon, Poirier
Une délégation des commandants de la Garde nationale proteste, il y a même une pétition. La Garde nationale défend son maire. Mottu est devenu vraiment très populaire dans son arrondissement. La souscription qu’il a ouverte pour les canons s’élève déjà à 15 484Fr 15c, ce qui n’est pas rien: la population de l’arrondissement est nombreuse, mais elle est aussi très pauvre.
Arthur de Fonvielle est nommé maire (son nom est déjà apparu dans l’histoire de la statue de Voltaire).
Quelques jours plus tard, Paris apprend la capitulation de Bazaine à Metz. Le 31 octobre, les gardes nationaux foncent à l’Hôtel de Ville, on peut appeler ça une émeute, on voit là Mottu avec les révolutionnaires Flourens, Delescluze, Blanqui, Millière… et ils ne prennent pas le pouvoir. Il va y avoir des élections, annoncées d’abord pour le lendemain, puis pour un autre jour. Beaucoup sont arrêtés, pas Mottu, bien que la (fausse) nouvelle de son arrestation ait d’abord été publiée dans Le Rappel, qui rectifie deux jours après. Les élections ont finalement lieu le 5 novembre, Mottu se présente dans le onzième contre Fonvielle et, bien sûr, il est triomphalement élu.
Pour finir ce premier article, je signale que Mottu a accepté de donner une salle de réunion aux délégués au Comité central des Vingt arrondissements. La plupart des autres maires sont hostiles. Celui du deuxième s’est même vanté, plus tard, d’avoir mis les délégués à la porte. Clemenceau a accepté aussi, dans le dix-huitième, mais ils sont les deux seuls, je crois. Je ne sais pas de quelle salle il s’agit. Il y a eu des réunions à Bataclan en novembre, mais c’était peut-être un autre comité.
Merci à Jean-Pierre Bonnet pour les renseignements sur l’état civil de la famille Mottu.
Livres et articles utilisés
Gaumont (Jean), En marge de la Commune de Paris Jules Alexandre Mottu (1830–1907), L’Actualité de l’histoire 28 (1959).
Blanqui (Auguste), La Patrie en danger, recueil d’articles préfacé par Casimir Bouis, Chevalier (1871).
Flourens (Gustave), Paris livré, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1871.
Paria (Adolphe), Le Conseil municipal de Paris: portraits et biographies des quatre-vingts conseillers de la Seine, Paris: Rodière (1871).