Jules Mottu est donc élu maire du onzième le 5 novembre 1870.

Sa popularité s’étend, non, pas à tout Paris, mais au Paris des faubourgs. Écoutez comme on parle de lui au club Favié, à Belleville où, le 6 novembre, on fête l’élection de Gabriel Ranvier à la mairie du vingtième:

Patience! Notre jour viendra, notre revanche n’est pas loin. Tout nous l’annonce, l’échec de l’armistice et le triomphe de nos candidats, Mottu, Bonvalet, Ranvier. (Bravos. Oui! Oui! Il cause bien! Vive Ranvier! Vive Mottu!) […] Nous l’aurons donc, notre Commune, notre grande Commune démocratique et sociale. Nous ferons justice de la réaction, car nous avons Ranvier et Mottu.

Évidemment, il n’est pas tout seul. Trois adjoints ont été élus le 8 novembre. Blanchon, Poirier, déjà adjoints nommés, et aussi Tolain, qui faisait partie de la commission municipale et qui était un des membres fondateurs de l’Internationale — dont il sera exclu pendant la Commune mais n’anticipons pas. Je ne sais pas exactement quel rôle joue Tolain comme adjoint. Je peux dire qu’il ne fait rien à l’état civil: Blanchon signe tous les actes de naissance et de décès, Mottu célèbre la plupart des mariages, mais Blanchon et Poirier le font aussi: du 1er janvier au 23 mars, Mottu en célèbre cent vingt, Blanchon trente et un, Poirier vingt et un… et Tolain aucun. Tolain est élu député le 8 février et son nom disparaît des affiches municipales. Mais il a fait entrer des internationaux à la mairie, Zéphirin Camélinat, qui habite rue de la Folie-Méricourt, au bureau de l’armement, notamment.

Paris est assiégé, les entreprises ferment, de plus en plus de travailleurs s’enrôlent dans la Garde nationale. Mottu est très actif et à l’écoute des problèmes de ses administrés. Un registre est ouvert dans « sa » mairie, où s’inscrivent les ouvriers qui cherchent un emploi et les patrons qui cherchent des ouvriers.

Au club Saint-Antoine, où l’on discute, le 9 novembre 1870, le décret relatif à la mobilisation de la Garde nationale, un citoyen soulève la question des unions illégales, fréquentes à Paris où, dans le peuple du moins, dit-il, on obéit aux sentiments. Le tiers environ des unions n’ont pas été consacrées par la loi, estime Arthur Arnould. Les gardes nationaux qui en faisaient la demande recevaient 1,50 francs par jour (les fameux trente sous) et leurs femmes légitimes 75 centimes (ce qui fait 45 sous pour le chauffage, le pain et la viande, rationnée mais trop chère). Rangera-t-on les pères de famille non mariés dans la catégorie des célibataires? Un autre citoyen signale alors que

le maire Mottu a placé un garde national non marié père de trois enfants reconnus dans la catégorie des hommes mariés (Applaudissements).

Au fil des affiches, des articles de journaux et des souvenirs, on voit Mottu  s’occuper du ravitaillement de ses administrés.

Le 12 novembre, il s’attaque à la spéculation sur les denrées alimentaires.

Le « brouet national » est distribué aux indigents 144 rue de Saint-Maur.

En décembre, il essaie de conserver le bois disponible sur un chantier pour les pauvres de son arrondissement, contre un ordre de réquisition du maire Jules Ferry (et le peuple s’empare du bois). L’hiver a été très froid, si froid que le vin gelait dans les tonneaux.

En janvier, il intervient à la réunion des maires d’arrondissement pour demander et obtenir que l’on ajoute un demi-litre de vin à chaque bon de pain.

Le 19 janvier, il se réjouit que le Gouvernement ait enfin décrété le rationnement du pain, c’est-à-dire le partage entre tous, que la municipalité de l’arrondissement ne cesse de réclamer.

Le 29, il demande aux Parisiens des arrondissements bombardés (l’armée prussienne a bombardé la rive gauche à partir du 5 janvier) de rentrer chez eux: le bombardement a cessé et aucune livraison de farine supplémentaire n’est plus attribuée aux arrondissements qui les ont recueillis.

Le 4 février, il réclame par affiche, publiquement, des rations de farine que l’arrondissement n’a pas reçues. Le même jour, il explique dans une autre affiche qu’il est trop occupé par ces questions de ravitaillement pour se rendre à Bordeaux et qu’il n’est donc pas candidat aux élections législatives.

Je reste Maire dans la Ville Captive, et je décline toute candidature.

Son adjoint Pierre Blanchon se consacre à l’équipement des gardes nationaux. Le 28 février, dans une affiche encadrée de noir, la mairie du onzième s’exprime sur l’Occupation de l’ouest de Paris par les troupes prussiennes, demandant à la population de rester calme.

Attentif à la situation dramatique dans laquelle les habitants dont il est l’élu se trouvent, il fait même, à la date du 17 mars, alors que l’Assemblée vient de supprimer le moratoire sur les loyers, une proposition de loi sur les loyers… annulant tout simplement le terme.

Pendant tout ce temps, Mottu et son équipe subissent (mais peut-être n’ont-ils pas le temps de s’en apercevoir) une violente campagne de la presse réactionnaire et en particulier du journal clérical L’Univers: le maire anticlérical du onzième affamerait les catholiques — c’est du point très sensible de la répartition de la nourriture pendant le siège qu’il est question. L’Illustration du 11 février publie un article « Les maires de Paris », qui ne contient ni son portrait ni même son nom, alors que tout un paragraphe allusif lui est consacré:

Là c’était l’esprit antireligieux qui essayait de se faire jour dans les humbles établissements de l’enseignement primaire, comme si la persécution avait jamais abouti à autre chose qu’à rendre plus vivace l’idée qu’on voulait déraciner!

Et après…

Livres cités ou utilisés

Gaumont (Jean)En marge de la Commune de Paris Jules Alexandre Mottu (1830–1907), L’Actualité de l’histoire 28 (1959).

Molinari (Gustave de), Les Clubs rouges pendant le siège de Paris, Garnier (1871).

Claretie (Jules), Murailles politiques, Publications de la librairie illustrée (s.d.)