Où en sommes-nous?

Que fait Jules Mottu, maire du onzième arrondissement, le 18 mars?

Thiers a envoyé l’armée récupérer plus de deux cents canons à Montmartre et à Belleville. Douze mille soldats sont répartis dans le nord et l’est de Paris,

  • une division à Montmartre,
  • une à Belleville,
  • une pour défendre l’Hôtel de Ville,
  • et une quatrième autour de la Bastille, pour contrôler les ponts, isoler la rive gauche, neutraliser le Faubourg-Saint-Antoine et le onzième.

Une des nombreuses maladresses de ce matin-là a lieu à la mairie du onzième arrondissement. Le matin du 18 mars, Mottu apprend que son arrondissement est occupé militairement. Il y a la cavalerie, la gendarmerie, les lignes, sur les places et dans les rues. Chacun fait alors ce qu’il a à faire:

  • la Garde nationale se réunit et prend les armes,
  • le maire se rend chez le ministre de l’intérieur, Ernest Picard.

Le dialogue qui suit est paru dans Le Rappel. Il a dû être transmis par Mottu, il est certainement authentique. Picard proteste de ses sentiments républicains.

— Alors ne défiez pas le peuple! Pourquoi et contre qui ce déploiement de forces? Je réponds de l’ordre dans mon arrondissement si vous ne provoquez pas vous-mêmes au désordre et à la guerre civile.

— Le commandement général est dans la main du général Vinoy.

Jules Mottu, pendant que Picard s’occupe à son départ pour Versailles, va donc trouver Vinoy.

Déjà sans doute les premiers avis sur les dispositions de la troupe sont arrivés au général Vinoy,

écrit Le Rappel. Voilà une phrase dont le sens était absolument clair pour les lecteurs de l’époque. Elle signifie que des fraternisations de la troupe avec le peuple étaient à craindre… Ce que Le Rappel ne savait pas, c’est que Vinoy connaissait parfaitement l’état de la troupe: il avait lui-même fui les abords de Montmartre, abandonnant le général Lecomte à son sort (ce sort était d’être exécuté par ses propres soldats, ayant en effet fraternisé avec le peuple, avec le général Clément Thomas).

En tout cas, Vinoy signe un ordre d’évacuation du onzième arrondissement que Jules Mottu fait exécuter.

De sorte qu’il n’y a pas d’effusion de sang dans le onzième arrondissement le 18 mars 1871. Il s’y passe pourtant beaucoup de choses.

Avec neuf autres maires d’arrondissement, Jules Mottu tente de rencontrer le gouvernement. On leur répond que

le gouvernement est sorti.

À la mairie, on s’occupe de l’état civil. C’est Pierre Blanchon qui officie. Il enregistre deux naissances et vingt-quatre décès. On mourait beaucoup, à Paris, après le siège. Il célèbre même deux mariages.

Dans les rues, on élève des barricades.

On prend le temps de remonter un drapeau rouge et de mettre sa hampe dans la main du génie de la Bastille — le 67e, un des bataillons de Vinoy, s’était donné l’inutile peine d’enlever celui qu’on avait placé là en février!

Le Comité central de la Garde nationale se réunissait dans cet arrondissement (et il se réunit ce jour-là, même si certains de ses membres ont quelques difficultés à passer les barricades pour parvenir au local de la rue Basfroi).

Mais il n’y a pas d’effusion de sang ce jour-là. Vinoy reviendra dans deux mois, avec une troupe mieux endoctrinée…

Jules Mottu est ensuite un des premiers maires à s’accorder avec le Comité central sur la date des élections communales. Raison sans doute pour que l’auteur d’un livre récent, qui n’a pas lu le journal (ou alors il s’est contenté de lire le clérical L’Univers) et ne raconte pas l’action de Mottu le 18 mars, exécute Mottu d’un

inféodé au Comité central.

Il est un peu étonnant qu’un maire aussi populaire n’obtienne pas davantage de voix aux élections communales, moins de six mois après son élection triomphale en novembre. Les électeurs sont des gardes nationaux, ils ont discuté entre eux, entendu des mots d’ordre, des consignes, ils votent pour les candidats… de la Garde nationale.

Mottu n’est pas élu. C’est le cas de bien d’autres.

Le Comité central n’a pas attendu les élections pour occuper la mairie du sixième (Tony-Moilin a remplacé Hérisson pendant quelques jours). Les choses semblent se passer beaucoup plus simplement à la mairie du onzième, puisqu’on y voit Mottu et Blanchon continuer à agir en officiers d’état civil jusqu’au 31 mars. La Commune décide que, à partir du 31 mars, ses membres sont les officiers d’état civil. Le règlement change, le membre de la Commune qui va faire les mariages est Augustin Verdure.

Et puis c’est la guerre.
Mottu est un des « témoins » que Vacquerie appelle à l’aide dans Le Rappel du 4 avril, témoins, comme dans un duel, ceux qui s’interposent lorsque le sang a coulé. Allers et retours à Versailles, tentatives de conciliation, il joue un rôle qui paraît vite ambigu.

Encore une petite citation, si vous voulez bien. Il y a des nuances à établir, écrit Arthur Arnould, entre ceux qui ne furent que les agents de Versailles et

Plusieurs au contraire, tels que MM. Mottu et Bonvalet [maire du troisième élu en novembre 1870], apportèrent à ces démarches une véritable sincérité, s’efforcèrent sérieusement, loyalement, d’empêcher un conflit sanglant, de trouver un terrain neutre où l’on pût mettre d’accord, par des concessions mutuelles, les prétentions opposées de Paris et de Versailles.

Ils échouèrent, ils devaient échouer, et leur bonne foi amena les mêmes résultats que la perfidie et la trahison de leurs collègues.

C’est un ancien membre de la Commune qui écrit ça, en 1878.

C’est cohérent avec la haine montrée par les Versaillais dès 1871.

Oui, revenons à 1871.

Mottu est dénoncé, assimilé aux communards, par la presse et les écrivaillons versaillais. Je passe sur ce vicaire de Saint-Ambroise qui le qualifie de

circoncis

puis de

juif

— parce qu’il se serait attaqué au « crucifié ».

Est-il vrai que Mottu soit encore maire?

demande Le Figaro le 29 juin. Ce qui semble prouver que ce journal n’est pas capable d’envoyer un journaliste dans le onzième arrondissement voir ce qui s’y passe! Je vais répondre à l’intéressante question

Que se passe-t-il à la mairie du onzième?

La mairie, qui a été un des hauts lieux de la fin de la Commune, a un nouveau maire. Il s’appelle Thomas Charles Ruinet. Pourquoi lui? Par exemple, Charles Hérisson, le maire du sixième a repris sa place — nous avons vu qu’il a marié Tony-Moilin le 28 mai avant son exécution. Mais non, Jules Mottu n’a pas repris la sienne comme maire du onzième.

Deux mots sur ce pauvre Monsieur Ruinet. Pauvre, c’est une façon de parler. L’essentiel de son activité comme maire a été de « bâtonner » (c’est-à-dire de barrer d’un bâton, d’un trait) les actes d’état civil enregistrés par Augustin Verdure et ses camarades de la Commune (les bâtonnages ont été mentionnés, pour le dix-septième arrondissement, dans un autre article). Ainsi Monsieur Ruinet a écrit, de sa main, dans les marges de chacun des soixante-quinze mariages, cinq cent soixante et une naissances et mille cent quatre vingt-dix-neuf décès la formule

Les actes inscrits ci-contre reçus par autres que les officiers publics compétents ont été bâtonnés en exécution de l’article 1er de la loi du 19 juillet 1871. Il n’en pourra être délivré aucune expédition. La présente mention a été faite par nous maire du XIe arrondissement officier de l’état civil. Paris le 27 juillet 1871.

Sa gloire fut de courte durée puisqu’un autre maire fut nommé à sa place à la mi-septembre, un dénommé Félix Delpire. C’est la loi votée le 14 avril à Versailles qui fit que les maires d’arrondissement ont été nommés, de 1871 à 1975, avant de disparaître, puis de renaître sous la forme de maires élus en 1983. Les délégués de la Commune n’avaient pas le titre de maire. Jules Mottu fut donc le dernier maire élu du onzième arrondissement avant 1983.
Il y a eu pourtant des élections les 23 et 30 juillet, mais pour le conseil municipal de Paris. Pas de maire d’arrondissement, mais un élu par quartier, quatre quartiers par arrondissements, quelle que soit leur taille, ce qui fait quatre-vingts conseillers.

Jules Mottu a été élu trois fois (et il était le seul dans ce cas): à la Folie-Méricourt, à Saint-Ambroise et au Père-Lachaise (ce sont deux quartiers du onzième et un du vingtième). Le onzième resta d’ailleurs républicain, malgré la disparition de nombre d’électeurs, puisque la Roquette élut Lockroy (qui habitait là, juste derrière la mairie, 101 boulevard Voltaire) et Sainte-Marguerite Ranc (celui-là dut bientôt fuir, mais c’est une autre histoire).

Mottu choisit Saint-Ambroise, ce qui excita, après la haine, l’ironie de la presse réactionnaire, à cause du « Saint » — « presse réactionnaire » est, en juillet 1871, un pléonasme: il n’y en a plus d’autre.

Le Figaro en effet s’acharne contre Mottu, occupant des colonnes entières à dénigrer cet homme qui, dit-il, s’est toujours prononcé pour la minorité insurgée contre la majorité représentée à Versailles, qui n’a représenté que la violence et l’intolérance… Si certains ont trouvé la position de Mottu ambiguë pendant la Commune, ce n’est pas le cas de ce journal:

 les hommes que l’on n’a pas déportés quand nous rentrions dans Paris en flammes, les voilà qui nous gouvernent

et, dans son numéro du 10 août, au moment où s’ouvrait le conseil de guerre qui jugeait les membres de la Commune

voilà qui devrait donner grandement à réfléchir à ces messieurs du Conseil de guerre…

Jules Mottu peut ensuite créer un quotidien, Le Radical.

Encore un journal que je n’ai pu lire que dans les lecteurs de microfilms du rez-de-jardin de la BnF. Voici une très vilaine image du titre, obtenue de façon inavouable (je l’avoue).

Radical

Le premier numéro paraît le 15 octobre 1871 (avant la reparution du Rappel). On en parle peu, pourtant c’est un journal — et c’est le seul journal — dans lequel on trouve

  • dès le premier numéro, un article consacré aux enfants en bas-âge, emmenés avec leurs mères ou nés en prison
  • des interrogations sur les disparus de mai. Par exemple, le 8 novembre, cette information:

    Le fils d’un fusillé de mai devait se marier ces jours derniers. Par suite de circonstances exceptionnelles, il y avait urgence à ce que le mariage eût lieu à bref délai. Les deux jeunes gens se sont heurtés à une impossibilité légale. Sans le consentement du père ou la présentation de son acte de décès, point de mariage. Bien que nombre de connaissances aient constaté l’identité du père dans le tas, la situation n’étant pas régularisée par la mairie, il a fallu attendre… Jusqu’à quand?…

  • des informations sur les communards fugitifs,
    • Camélinat arrive le 4 septembre à Londres, Le Radical l’annonce le 20 octobre
    • Tous les jours on apprend, dit le journal, que de nouveaux communeux, c’est lui qui souligne, qui avaient été fusillés sont en sûreté.
      • Gambon, qui a été fusillé rue de la Banque, est actuellement à Villeneuve au bord du lac Léman.
      • Protot dont Le Figaro, toujours bien renseigné, annonçait avant-hier l’arrestation en Belgique, est à Genève depuis huit jours. Celui-là avait été fusillé à Belleville.
      • Le général La Cécilia, fusillé à l’École militaire, est en pleine santé à Londres. Il collabore au journal Qui vive!
    • Le gouvernement de M. Thiers voudra-t-il nous donner les noms des malheureux innocents fusillés à la place des personnes précitées, demandait-il enfin?
  • C’est certainement un fugitif, un proscrit, un communard réfugié à Londres, ce Harold dont le journal publie des « lettres anglaises ».

Bien entendu, Le Radical,

organe des bagnes et des pontons 

et son directeur étaient la cible de nombreuses insultes du reste de la presse. Il y avait même une rubrique « Boîte aux ordures », dans laquelle est jeté un petit florilège de ces insultes.

Mais voilà, la banque de Mottu ayant fait faillite, il a quitté toutes ses activités en avril 1872. Et Le Radical s’est arrêté en juin. Je ne sais rien de plus sur Jules Mottu, qui est mort en 1907, si ce n’est que sa fille s’est mariée en 1885 et qu’il est enterré au Père-Lachaise avec sa femme Pauline (1832-1919), son fils Georges (1853-1911), sa fille Jeanne Domicent (1858-1936) et son gendre Bertol-Graivil (pseudonyme d’Édouard Domicent, 1857-1910).

*

Comment je sais que la photographie date de mars 1871? Eh bien, regardez la (les) couleur(s) du drapeau. Les Versaillais ont fait abandonner aux communards le drapeau tricolore, qui flottait encore avec le drapeau rouge en mars. Alors disons que c’est la barricade du 18 mars. Ce jour-là, le cortège funèbre de Charles Hugo fit le tour de la colonne de juillet et prit la rue de la Roquette vers le cimetière du Père Lachaise. On ouvrit la barricade pour le laisser passer. La date exacte, je ne suis pas sûre, mais l’heure à laquelle la photo a été prise, vous pouvez certainement comme moi la déduire de l’ombre du lampadaire…

Les renseignements d’état civil qui ne viennent pas de l’article de Jean Gaumont m’ont été (cherchés, et trouvés, et) donnés par Jean-Pierre Bonnet, que je remercie, bien sûr!

Livres cités

Debuchy (Victor), La Vie à Paris sous la Commune, Christian (2002).

Arnould (Arthur)Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, Bruxelles, Librairie socialiste Henri Kistemaeckers (1878).

Gaumont (Jean)En marge de la Commune de Paris Jules Alexandre Mottu (1830–1907), L’Actualité de l’histoire 28 (1959).