Suite des commentaires sur les Convulsions de Du Camp et ses descendants.

Une étude stylistique serait possible et a d’ailleurs été faite, commentant l’inflation des adjectifs, dont les plus fréquents sont « stupide » et « bestial », ou l’utilisation de l’adjectif placé avant le substantif (comme dans

le bouillant Achille

de La Belle Hélène, antéposition, disent les grammairiens),

la vile populace

ou

l’immonde Vermersch,

par exemple,

ces sanglants imbéciles

en admettant que sanglant est l’adjectif, ce qui n’est pas certain (celle-là est de Flaubert) ou encore

trois sinistres femelles

— le sort réservé aux femmes par l’infâme Du Camp et ses minables jeux de mots pourrait remplir un chapitre (les marchandes de mode à la tripe de Caen).

Une autre technique est le glissement de sens.

Exemple: les membres de la Commune sont des inconnus, ils sont obscurs — ici va se produire le glissement — comme des bandits masqués barbouillés de noir. Cette subtilité est due à un monsieur de Saint-Victor.

Dire que les communards ne savaient pas pourquoi ils se battaient, c’est tout simplement confesser qu’on n’en savait soi-même rien.

Les assimiler à des sauvages ou à des barbares (ou aux deux), ou encore à des fous, est un moyen simple de nier toute signification politique à l’événement dont l’écrivain eut tellement peur… Si les communards sont des fous, leurs actes sont pathologiques, un point c’est tout.

Vous pourriez croire que ceci est du passé.

Mais ce n’est pas vrai.

La peur, la haine, n’en finissent pas de s’exprimer. Quelques centaines de femmes viennent s’engager pour défendre la Commune. Le visage de ces amazones faisandées leur fournissait déjà une arme redoutable, écrit un « historien » des années 1920.

Et ça continue. Les mêmes offrent à l’œil le tableau le plus hideux que l’on puisse imaginer. Vulgaires, édentées, malpropres, mal peignées, bardées de poils et de moustaches, elles constituent le spécimen type de la faune des quartiers de l’est parisien.

Cette description-là vient elle aussi d’un livre « d’histoire », qui a même obtenu un prix de l’Académie française: nous sommes maintenant au vingt et unième siècle. Il n’y a pas de source citée pour ce passage, qui est bien dû à l’auteur du livre. Le titre du prix remporté, « Prix Guizot », semble bien adapté à cette œuvre d’imagination.

Le mot « faune » n’arrive pas par hasard sous la plume de ce monsieur, le type des « quartiers de l’est parisiens » non plus. Ces gens sont bien d’une autre espèce (animale), d’une autre race (humaine) — une phrase de plus et cet historien aurait qualifié ces ouvrières de « sauvages ».

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Pour finir ces quelques notes lexicales, voici deux listes. Oui, j’aime les listes.

D’abord quelques-unes des métaphores utilisées par Maxime Du Camp, non, pas pour désigner les gonades mâles de la bourgeoisie (voir l’article précédent), mais pour parler du drapeau rouge:

la guenille rouge, un torchon rouge, une loque rouge, l’emblème de sang, la loque couleur de sang qu’on appelle le drapeau rouge.

Oui, voilà, drapeau rouge, appelons-le ainsi.

La deuxième est plus jubilatoire. Du Camp n’y est pour rien. Je l’ai prélevée dans La Commune vécue, de Gaston Da Costa. C’est la liste des métaphores et des noms d’oiseaux que Da Costa utilise pour désigner Du Camp:

académicien mouchard [lequel est l’adjectif, y a-t-il antéposition?], historien de la rue de Jérusalem (c’est-à-dire policier), historien de préfecture (de police), arriviste des lettres, sycophante encoupolé, mouchard des lettres, calomniateur d’élite, qui voit avec l’œil de la police imprimé au fond de sa carte de l’Académie française comme au fond d’un pot de chambre…

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La gravure de couverture est parue dans Le Monde illustré le 8 avril 1871. Les femmes qui veulent se rendre à Versailles le 3 avril y ont l’air plutôt « normales ».

La gravure accompagne un article… essentiellement consacré à  la manifestation des femmes à Versailles le 5 octobre 1789! Qui se conclut par

Quant aux épisodes qui ont signalé le voyage des Parisiennes du 3 avril 1871, nous les ignorons complètement. Peut-être l’une d’elles se décidera-t-elle un jour à en écrire le récit; ce ne sera sans doute pas une des pages les moins curieuses de l’étonnante histoire de ce temps.

Je crains que l’auteur n’ait pas été entendu et que des sycophantes (encoupolés ou pas) aient écrit à la place des participantes.

Livres cités

Lidsky (Paul), Les écrivains contre la Commune, Paris, Maspero (1970).

Du Camp (Maxime)Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette (1879).

Saint-Victor (Paul de), Barbares et bandits, Michel-Lévy (1871).

D’Almeras (Henri)La vie parisienne pendant le siège et sous la Commune, Paris, Albin Michel (1927).

Debuchy (Victor), La Vie à Paris sous la Commune, Christian (2002).

Da Costa (Gaston)La Commune vécue (trois volumes), Ancienne Maison Quantin (1903-1905).