Après le rapport de l’article précédent, j’avais pensé continué à écrire une série d’articles sur Courbet au Conseil de guerre — l’interrogatoire, les témoins, le réquisitoire, la plaidoirie, la condamnation… Tout ça est parfaitement lisible dans le compte rendu, disponible sur Gallica, et auquel je vous renvoie si vous voulez des détails. La défense de Courbet, comme celle de la plupart des accusés, consista à dire que ce n’était pas lui, qu’il avait démissionné, que tout s’était fait malgré lui…
J’ai finalement choisi de faire ce deuxième article avec des extraits (souvent très brefs) de lettres envoyées par Courbet juste avant, pendant et juste après le procès. J’ai sélectionné les commentaires liés au procès, à la prison, aux opinions politiques. En particulier, j’ai ignoré la mort de la mère de Courbet le 3 juin, qui tient bien sûr une grande place dans la correspondance familiale.
À Juliette et Zélie Courbet (celles des sœurs de Courbet qui sont à Ornans). De Versailles, le 27 juillet 1871:
[…] Je suis souffrant de mes hémorroïdes, et j’ai beaucoup maigri. Ce n’est pas un mal. […]
À Émile Joute (un ami). De Versailles, le 1er août 1871:
[…] Le commissaire de police va prendre un avoué. Voilà les frais, voilà la prison. Avec Versailles, j’en finirais bien d’un coup. Mais 6 mois de prison? C’est ce que je ne veux pas lui faire. Et pourtant, si je suis exilé en Suisse ou en Angleterre il faut bien que je vive dans ces pays; il faut que je paie mon procès, mon avocat, mes dépenses; que j’achète des habits. […]
Mon cher Joute, vous serez peut-être cité comme témoin pour déclarer que je ne me suis pas battu.
Joute ne fut pas cité.
À sa sœur Juliette. De Versailles, le 27 août 1871 (pendant le procès):
J’ai su par la sœur supérieure de l’hôpital militaire de Versailles que tu t’étais informée de ma santé. Je t’en sais gré. J’ai été très heureux d’être transféré dans cet hôpital où je suis très heureux. Je suis entièrement remis des souffrances des prisons cellulaires. La solitude affaiblit le cerveau. C’est trois semaines de gagné sur le malheur. Je suis mince comme le jour de ma première communion, tu seras étonnée. […]
Depuis quelques jours on plaide nos causes. Les avocats font tout leur possible. Quant à moi, j’ai le premier avocat de Paris. Puis ensuite il a le privilège d’avoir toutes les parties. C’est M. Grévy qui me l’a donné. Ma cause, je crois, arrivera mercredi prochain, ou jeudi [ce fut au cours de l’audience du mercredi 30 août]. Ensuite de cela, il y aura une réplique du gouvernement, puis une autre réplique de nos avocats et cela sera fini, enfin. Si je suis condamné à l’exil simple, je ne veux pas rappeler, et je veux faire ma peine sans leur demander de grâce, parce que je ne veux pas que ceux qui ont eu l’aplomb de me poursuivre, après avoir rendu un service aussi éminent que celui que j’ai rendu, puissent se libérer vis-à-vis de moi à si bon marché. Je veux me réserver la liberté de les accuser en tout temps. […]
La question de la colonne est entièrement disparue de dessus mon compte, ce n’est pas trop tôt. Il ne me reste plus que d’avoir été de la Commune afin de pouvoir remplir ma mission. Avec cette autorité j’avais cinq bataillons à ma disposition et je leur dis: manque-t-il quelque chose à tous les musées de Paris? Non. Alors, le moyen que j’ai employé pour arriver à mes fins me regarde et ne vous regarde pas. Du reste, je me fais honneur d’avoir appartenu à la Commune malgré les inculpations qui portent sur elle, car ce gouvernement, en principe ressemblant à la Suisse, est l’idéal des gouvernements. Il noie l’ignorance et rend les privilèges et les guerres impossibles. […]
Courbet écrit aussi à Me Louis Gatineau. De Versailles, le 28 août 1871. Louis Gatineau était l’avocat qui défendait Clément dans ce procès. Je ne cite pas la lettre, mais seulement sa signature:
Gustave Courbet
Accusé fédéré à Versailles, 28 août 1871
Il écrit à son avocat, Me Lachaud, pour le remercier, le 1er septembre, mais ne signe pas de même. Lachaud était un bonapartiste… et Gatineau un républicain. Il écrit à Me Léon Bigot, qui défendait Assi, et qui parla fort bien de l’Association internationale des travailleurs, il lui écrit même ce mot, sur un dessin, celui qui est reproduit ici si je comprends bien.
De Versailles, sans doute à la fin du procès, en tout cas après la plaidoirie de Bigot.
Mon cher Bigot,
Je vous remercie. Vous avez parlé en homme de cœur, et, comme on dit dans le peuple, j’y suis allé de ma larme.
Gustave Courbet
Fédéré du procès de Versailles, 1871
La citation suivante ne vient pas d’une lettre de Courbet mais d’un article (tardif) de Jules Vallès, qui décrit Courbet
glissant à l’oreille de son avocat, quand il n’en a attrapé que pour six mois:
« J’les ai-t-i roulai! »
Reprenons le fil de la correspondance de Courbet.
À sa famille. De Versailles, le dimanche 3 septembre 1871 (lendemain du verdict):
Mes chers parents,
J’ai été condamné à 6 mois de prison, je ne sais toujours pas pourquoi. Ces gens-là veulent donner une satisfaction au public. Lorsqu’on a eu prouvé que je n’étais en rien pour la destruction de la colonne, ils ont maintenu quand même que j’y avais participé, malgré les assertions des accusés eux-mêmes et malgré le décret qui avait été rendu avant mon entrée à la Commune. […]
À Jules Castagnary (un journaliste et un de ses amis). De Paris, prison de Sainte-Pélagie, le 23 septembre 1871:
Mon cher ami,
Je suis à Ste-Pélagie depuis hier. On s’est obstiné à nous considérer en point de vue de droit commun, et non comme politiques. Nous sommes avec les voleurs jusqu’au cou. On a employé tous les moyens pour nous déconsidérer. Par conséquent, quand vous viendrez me voir, je ne pourrai vous recevoir autre part qu’au parloir. […]
Au directeur de la prison de Sainte-Pélagie. De Paris, prison de Sainte-Pélagie, vers le 23 septembre 1871:
Monsieur le Directeur,
Je vous serais obligé de vouloir bien me faire donner un bain de siège à demeure dans ma chambre, afin de pouvoir continuer le traitement qui m’a été ordonné par les médecins de Paris et de Versailles, pour une affection hémorroïdale.
Je désirerais aussi que vous m’autorisiez à faire acheter une bouteille de bière par jour, car je ne puis presque pas boire de vin à cause de ma maladie.
Veuillez aussi me faire passer le catalogue de votre bibliothèque, puis un bonnet de coton pour la nuit, puis un grand bain.
J’ai bien l’honneur de vous saluer.
G. Courbet
À sa sœur Juliette. De Paris, prison de Sainte-Pélagie, vendredi 29 septembre 1871:
[…] Je les défie de me déconsidérer. Ils peuvent écrire contre moi, publier à son de tambour dans les rues, prêcher en chaire tout ce qu’ils voudront sur mon compte, je ne leur répondrai même pas, tellement je suis sûr de moi et de ma réputation. De tout part je reçois des lettres de félicitations, d’Allemagne, d’Angleterre, de Suisse. Tout le monde me tend les bras, exceptés les réactionnaires et les hommes payés du gouvernement de Napoléon. […] Ainsi, ne vous inquiétez pas de moi. Il ne me manque rien ici. Tenez-vous bien tranquilles, ne bougez pas. J’ai déjà fait un mois, il ne m’en reste plus que cinq. J’irai vous voir le premier mars. Ça sera bientôt passé. […] Je vais tâcher d’avoir mes couleurs et de travailler un peu. […]
Je ne pourrai encore pas être à vendange cette année. Je songe à tout ce que vous faites continuellement.
À Lydie Joliclerc (une amie de Franche-Comté). De Paris, Sainte-Pélagie, « je ne sais plus quel jour »:
[…] Il est difficile de faire le bien et l’on peut avoir de singulières récompenses, quand on oppose l’honnêteté, le dévouement et le désintéressement à la marche égoïste de la société. J’ai été pillé, ruiné, diffamé, traîné enchaîné dans les rues de Paris, de Versailles, agonisé [sic] de sottises, d’injures. J’ai croupi dans les prisons cellulaires, qui font perdre la raison et les forces physiques. J’ai couché sur la terre empilé avec la canaille dans la vermine; transporté et retransporté de prisons en prisons, dans des hôpitaux avec des mourants autour de vous, dans des voitures cellulaires, dans des cases où le corps ne peut pas entrer, avec le fusil ou le révolver sous la gorge pendant quatre mois. Mais hélas, je ne suis pas seul. Nous sommes deux cent mille, tant morts que vivants. Des dames, des femmes du peuple, des enfants de tout âge, à la mamelle même, sans compter les enfants abandonnés vaguant dans Paris, sans père ni mère, emprisonnés par milliers chaque jour. […]
À Jules Castagnary. De Paris, Sainte-Pélagie, jeudi [?]:
[…] Il se présente une chose incompréhensible, on m’empêche de travailler, avec préméditation. Malgré les demandes que je fais et celles de ma sœur [Zoé Reverdy, celle des trois sœurs de Courbet qui était à Paris], M. Valentin [le préfet de police] ne veut pas. Il y a des gens que l’on met en prison parce qu’ils ne veulent pas travailler, tandis que moi, je suis en prison pour m’empêcher de travailler. Cela me gêne d’autant plus qu’il m’est venu une idée, c’est de faire Paris à vol d’oiseau avec des ciels comme je faisais des marines. L’occasion est unique: il y a sur le faîte de la maison une galerie qui en fait le tour […]. C’est splendide, ça serait aussi intéressant que les marines d’Etretat. […]
À Me Lachaud. De Paris, Sainte-Pélagie, mercredi 25 octobre 1871 (la vedette du barreau lui demande 5000 francs d’honoraires):
[…] Vous me traitez un peu comme si j’étais en pleine prospérité. La chronique a dû, je crois, suffisamment vous faire connaître que j’ai toujours fait de l’art au service de l’art et que par caractère j’aime peu thésauriser. C’est vous dire que, quel que soit le nombre des œuvres que j’ai vendues au public, il ne m’a pas enrichi. […]
J’ai interrogé mes amis et connaissances. Beaucoup émettaient l’idée que l’affaire se règlerait par un échange de talent. Je ne me suis jamais arrêté à cette supposition, attendu que mon genre de peinture n’est pas de ceux qui peuvent plaire à tout le monde.
Courbet propose de lui donner 2000 francs. Il conclut sa lettre:
On vient de m’autoriser à peindre dans ma cellule sans en sortir, sans jour ni modèle d’aucune façon. Leur autorisation est inutile, car dans cette situation je n’ai d’autre motif que le Bon Dieu et la Ste Vierge.
Puis il continue à purger sa peine dans la clinique du docteur Duval, à Neuilly, où il est opéré par le chirurgien Nélaton… c’est déjà 1872.
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J’ajoute une petite information. Me Léon Bigot défendit Gustave Maroteau, dans un procès suivant, en octobre. Le jeune homme fut condamné à mort. Grâce notamment à Victor Hugo et Léon Bigot, la peine fut commuée et Gustave Maroteau déporté en Nouvelle-Calédonie — où il mourut. Léon Bigot est mort en plaidant en août 1872 (il y a une petite erreur à ce sujet dans la Correspondance publiée).
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Chu (Petra ten-Doesschate), Correspondance de Courbet, Flammarion (1996).
Vallès (Jules), Courbet, portrait-charge, article paru dans Gil Blas le 9 mai 1882, reproduit dans le recueil d’articles Le Cri du peuple, Éditeurs français réunis (1953).