Puisqu’il a été à nouveau question de conseil de guerre

L’article présenté ici causa la condamnation à mort, par un conseil de guerre, de son auteur. Et sa mort.

Il est paru dans le journal La Montagne daté du 21 avril 1871, après le refus de Versailles d’échanger le prisonnier Blanqui contre le prisonnier Darboy (archevêque de Paris).

Pour des raisons qui m’échappent, cet article magnifiquement écrit (le passage sur les nonnes est vraiment formidable!) est souvent mentionné mais rarement cité en entier. Ou alors, recopié dans le livre de Da Costa, qui contient quelques erreurs. Je précise que je l’ai copié dans le journal original (ou du moins le microfilm qu’en a fait la BnF), en particulier j’ai respecté la (non-)capitalisation de Maroteau (pas de majuscule à archevêque, évangile… mais une majuscule à Révolution — il reste celle de Dieu).

C’est un article violent. Mais le contexte était violent, comme le dit Louise Michel:

Maroteau avait écrit au premier numéro de la Montagne, j’ai fait le serment de Rousseau et de Marat : mourir s’il le faut, mais dire la vérité. Cette vérité était qu’il était impossible dans les circonstances horribles créées par Versailles d’écrire comme d’agir autrement.

Je consacrerai un autre article à Gustave Maroteau (1849-1875), poète et journaliste, auteur de ce brulot.

Mgr l’archevêque de Paris

En 48, pendant la bataille de juin, un prélat fut tué sur une barricade.

C’était Mgr Affre, archevêque de Paris. Il était monté là, dit-on, sans parti, en apôtre, pour prêcher l’évangile, pour lever, du bout de sa crosse d’or, le canon fumant des fusils.

On le ramassa, on épongea sa blessure, on embauma son cœur. Il fut enterré en grande pompe, comme un martyr et comme un saint. L’Histoire lui a consacré une page émue, et, sur son tombeau, la bourgeoisie jura haine éternelle aux hommes de la Révolution.

Cette mort excusait, pour elle, les cruautés de Cavaignac. On feignit de trouver, dans les mains qui saignaient sous le fer du bagne, des lambeaux de robe violette.

C’était faux. On ignore encore aujourd’hui de quel côté vint le coup : on ne sait point si la balle partit du fusil d’un soldat ou de la canardière d’un insurgé.

Les républicains baissèrent la tête comme des maudits sous cette aspersion de sang bénit. En ce temps on croyait encore aux missions divines, aux hommes providentiels, et la charogne d’un évêque pesait plus dans la balance de la justice qu’un cadavre d’ouvrier.

L’instruction nous a rendus sceptiques; nous avons vu Sibour [l’archevêque qui succéda à Affre en 1848] choquer son saint ciboire au verre fêlé de Bonaparte [Napoléon III], nous savons de quoi est rouge le talon de la mule du pape. C’est fini! nous ne croyons plus à Dieu; la Révolution de 1871 est athée, notre République a un bouquet d’immortelles au corsage.

Nous menons, sans prières, nos morts à la fosse et nos femmes à l’amour.

Nos mères, nos filles, n’iront plus s’agenouiller, balbutiantes, dans l’ombre de vos confessionnaux.

Vous ne fesserez plus nos marmots.

Notre grande cité de travail proscrit les paresseux et les parasites.

Partez; jetez vos frocs aux orties; retroussez vos manches, prenez l’aiguillon, poussez la charrue.

Chanter aux bœufs est mieux que chanter des psaumes. Quittez-moi la burette pour la cruche où le vin bleu mousse. Laissez le rosaire pour les longs chapelets d’andouilles. Oubliez les amours de sacristie. Laissez la robe des enfants de chœur pour chiffonner un peu le fichu blanc des belles filles.

Que les nonnes s’envolent, qu’elles donnent un coup de ciseau dans le cordon de leurs tabliers, laissent rouler leurs cheveux, ouvrent leurs guimpes.

Leurs doigts blancs ne sont pas faits pour les paresses du couvent; leurs bouches roses, pour les baisers de sainte Thérèse.

Il y a dans leurs seins ronds de quoi allaiter des hommes.

Partez, partez vite, demain il serait peut-être trop tard.

Prenez garde aux colères du peuple. Si, par hasard, il se mettait à feuilleter vos dossiers, s’il comptait vos crimes, s’il pensait à ses filles que vous avez déshonorées ou rendues folles, à ses enfants que vous avez hébétés, flétris, il ne resterait point debout une pierre de vos églises; il mettrait votre chair jaune en lambeaux.

Chaque jour on découvre une infamie mortelle, en fouillant les souterrains de vos couvents.

Hier encore, le citoyen Protot a enfoncé une prison où vous reteniez toute une couvée de jeunes filles. Et pourquoi? De quel droit? Au nom de quelle justice? Quelles fautes avaient-elles commises? Elles avaient voulu aimer; elles avaient refusé de courber leurs têtes fraîches sous la canne d’un père imbécile ou sous la verge d’une marâtre bigote.

Prenez garde.

On pourrait bien vous faire expier Léotade [prêtre condamné en avril 1848 pour le viol et l’assassinat d’une jeune fille de 15 ans]  et Torquemada [grand inquisiteur espagnol du quinzième siècle], Alexandre VI [pape au quinzième siècle (de la famille Borgia)] et Trestaillon [assassin de protestants, pendant la « terreur blanche » qui suivit 1815].
Dent pour dent, a dit la Commune.

Si l’on allait se souvenir de Galilée et de Jean Huss, si l’on vous mettait dans les lèvres la fiole des Médicis, si l’on vous plantait dans les épaules le poignard de Lucrèce Borgia?
Dent pour dent! Vous nous les avez cassées par centaines pendant les Saint-Barthélemy. — Œil pour œil! Voilà des siècles que nous sommes aveugles!
Et ne parlez pas de Dieu. Ce croquemitaine ne nous effraye plus. Il y a trop longtemps qu’il n’est qu’un prétexte à pillage et à assassinat!
C’est au nom de Dieu que Guillaume a bu à plein casque le plus pur de notre sang; ce sont des soldats du pape qui bombardent les Ternes.

Nous biffons Dieu!

Les chiens ne vont plus se contenter de regarder les évêques, ils les mordront; nos balles ne s’aplatiront pas sur les scapulaires; pas une croix ne s’élèvera pour nous maudire le jour où l’on fusillera l’archevêque Darboy.

Il faut que M. Thiers le sache ; il faut que M. Favre, le marguillier, ne l’ignore pas.

Nous avons pris Darboy comme otage et, si l’on ne nous rend point Blanqui, il mourra.
La Commune l’a promis et, si elle hésitait, le peuple tiendrait le serment pour elle.
Et ne l’accusez pas!
— Que la justice des tribunaux commence, disait Danton au lendemain des massacres de Septembre, et le peuple cessera…
… Ah! j’ai bien peur pour monseigneur l’archevêque de Paris.

Gustave Maroteau

*

J’ai photographié la manchette du numéro 1 de La Montagne dans un lecteur de microfilms de la Bibliothèque nationale de France, ce qui explique la mauvaise qualité de l’image (mais je n’en connais pas d’autre!). Comme c’est une image « nouvelle » soyez gentil(le)(s) de mettre un lien vers ce site si vous l’utilisez.

Livres cités ou utilisés

Da Costa (Gaston), La Commune vécue (trois volumes), Ancienne Maison Quantin (1903-1905).

Michel (Louise), La Commune, Stock (1898).