Gustave Courbet est « jugé » avec les autres membres de la Commune — ceux qui ne sont ni morts, ni cachés, ni en fuite — par un Conseil de Guerre, au cours d’un procès spectaculaire, qui se tient dans le Manège des Grandes Écuries, à Versailles.

Comme les autres accusés — à l’exception de Théophile Ferré, pour l’attitude duquel je renvoie à un article précédent — Gustave Courbet tente de minimiser son rôle dans la Commune. Il nous est bien facile de trouver ces accusés lâches ou pusillanimes… il faut quand même se souvenir qu’ils ont vécu en direct, à peine deux mois plus tôt, la terreur de mai, qu’ils ont été arrêtés, interrogés, incarcérés et détenus dans des conditions difficiles à imaginer. Et qu’ils essaient, simplement, humainement, de sauver leur peau.

Les « débats » ont été publiés très rapidement dans les journaux et dans divers fascicules, le livre que j’utilise est paru immédiatement, grâce à de nombreux sténographes.

Le défenseur de Courbet est Maître Lachaud (1817-1882), un avocat d’assises très célèbre à l’époque, par exemple pour avoir défendu Jean-Baptiste Troppmann, le « massacreur de Pantin » (qui fut quand même guillotiné le 19 janvier 1870). Il ne travaille pas gratuitement et nous verrons, dans un article ultérieur, Gustave Courbet tenter de rendre ses honoraires raisonnables.

Le procès commence le 7 août 1871. Outre le rapport général lu par le Commissaire du gouvernement, il y a un rapport sur chacun des dix-sept accusés. Voici celui concernant Gustave Courbet, qui comparaît, malade,

pissant le sang par derrière sur un rond de cuir en face d’un tribunal de soldats qui frappe à la tête et veut voir couler la cervelle

— c’est du Vallès, bien sûr (à part cette courte citation, dans cet article, les parties en bleu me sont dues, le reste est le rapport — in extenso).

Courbet

Le sieur Courbet, nommé directeur des Beaux-Arts le 4 septembre, fut maintenu à ce poste par le gouvernement de l’insurrection; élu à la Commune comme délégué à la mairie du 4e arrondissement [c’était le 6e, et il n’a pas été élu comme délégué…], il y entra vers le 26 avril [il y entra, comme tous les élus des élections du 16 avril, sans doute le 21, il était en tout cas présent à la séance du 22 avril].

Le 1er mai, il vota contre la dénomination de Comité de salut public donnée au nouveau comité formé dans la Commune, préférant le nom de Comité exécutif. A la fin de la discussion engagée à ce sujet, il protesta contre ce titre, qui ne convenait plus au mouvement social républicain.

Le 12 mai, il demanda ce qu’il devait faire des objets d’art pris dans la maison de M. Thiers: s’il devait les envoyer au Louvre ou les faire vendre publiquement; il fut alors nommé membre de la Commission nommée à cet effet.

Le 30 avril, il avait signé la déclaration de la minorité [comme nous le savons, il s’agit du 15 mai] contre l’enlèvement de la responsabilité aux membres de la Commune en faveur du Comité de salut public [le soutien politique de Flaubert ne semble pas avoir eu d’effet sur le style de ces messieurs]; on y trouve les phrases suivantes: « La Commune doit au mouvement révolutionnaire politique [en réalité: « révolutionnaire, politique et social »] d’accepter toutes les responsabilités et de n’en délivrer aucune, quelque[s] dignes que soient les mains à qui on voudrait les abandonner. »

Et plus loin: « La question de la guerre prime en ce moment toutes les autres; nous irons prendre dans nos mairies notre part de la lutte décisive soutenue au nom du droit des peuples. » [en réalité: « la question de la guerre prime en ce moment toutes les autres, le temps que nos fonctions municipales nous laisseront, nous irons le passer au milieu de nos frères de la garde nationale, et nous prendrons notre part de cette lutte décisive, soutenue au nom des droits du peuple. »]

La parole, l’acceptation par le sieur Courbet de son mandat de membre de la Commune et ses fonctions de délégué du 4e [6e] arrondissement pendant toute l’insurrection prouvent suffisamment la part active prise par lui dans la révolte du socialisme contre la société établie.

Quoique la signature du sieur Courbet ne se trouve pas au bas des décrets de la Commune, et qu’après la déclaration de la minorité il se soir occupé particulièrement de sa mairie et de ses fonctions de directeur des Beaux-Arts, il n’en a pas moins eu, dans certaine limite, sa part de responsabilité, n’étant pas démissionnaire.

Le 13 avril [le 12] avait été décidé le renversement de la colonne Vendôme; dans une séance de la Commune, le 27 du même mois, le Moniteur de l’insurrection [voilà un terme baroque pour désigner le Journal Officielrapporte une discussion dans laquelle le sieur Courbet prit la parole pour demander l’exécution du décret.

Il nie énergiquement cette accusation, s’appuyant d’abord sur ce que ce décret avait été voté avant son admission à la Commune, et sur les démarches qu’il avait faites sous le gouvernement du 4 septembre, non pas, dit-il, pour demander le renversement de la colonne, mais son transfèrement sur l’esplanade des Invalides, l’emplacement actuel ne lui étant pas favorable. Il avait, du reste, en cette circonstance, employé l’expression de déboulonner, et non pas de démolir. Il affirme aussi que l’Officiel a dénaturé ses paroles à la Commune. Enfin, il dit avoir proposé au gouvernement de rétablir la colonne à ses frais, si on peut établir qu’il a été cause de sa démolition [ce fut une parole malheureuse… mais évidemment Courbet pensait qu’on ne pourrait pas établir qu’il avait été cette cause].

L’accusé explique sa conduite à l’époque de la démolition de la maison de M. Thiers de la manière suivante:

Je suis arrivé trop tard à la maison de M. Thiers pour que mon intervention fût utile; les objets étaient déjà emballés par les hommes du Garde-Meuble et les délégués à cet effet. Je reprochai à ces messieurs de n’avoir pas fait d’inventaire. En parcourant les appartements vides, j’aperçus dans les plâtras de la démolition qui commençait deux petites figurines en terre cuite, d’origine antique.

Supposant que ces objets pouvaient être la matière d’un souvenir pour leur propriétaire, je m’en emparai en les enveloppant dans du papier, afin de les sauver de la destruction, me réservant de les rendre à qui de droit lorsque ça me serait possible, les autres objets étant déjà à destination.

Un rapport du chef des gardes nationaux placés à la porte du musée de Cluny signale la sortie de ce musée, à la date du 2 mai, de six colis contenant tableaux, statues et objets d’art.

Le sieur Courbet s’opposa au départ de ces colis avant vérification faite par des gens compétents.

L’accusé répond à notre demande d’explications en nous disant: « Que M. Dusommerard [Du Sommerard] étant à Londres, et voulant faire une exposition des œuvres d’artistes modernes avait eu la malheureuse idée de faire emballer ces œuvres dans la cour du musée de Cluny; que lui [Courbet] étant responsable des musées n’avait pas voulu laisser partir ces colis sans avoir dument constaté leur provenance. »

Au moment où les troupes régulières entrèrent à Paris, le sieur Courbet se retira chez un ancien ami, où il resta trois semaines.

En conséquence, notre avis est que le nommé Gustave Courbet soit traduit devant le conseil de guerre pour avoir: 1° participé à un attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement et d’exciter les citoyens à s’armer les uns contre les autres; 2° d’avoir usurpé des fonctions civiles; 3° pour s’être rendu complice de la destruction d’un monument, la colonne Vendôme, élevée par l’autorité publique, en aidant ou assistant avec connaissance les auteurs de ce délit dans les faits qui l’ont préparé, facilité et consommé, crimes prévus par les art. 87, 88, 91, 96, 237, 238 du Code pénal et la loi du 27 février 1858.

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Certainement, le Christ, l’indispensable Christ (qui était capable de tenir la pose aussi longtemps que nécessaire) et la disposition de la salle sont authentiques, sur la « photo », que l’on voit au Musée Carnavalet, qui est un montage, et que j’ai utilisée comme couverture de cet article.

Livres utilisés

Troisième conseil de guerreProcès des membres de la Commune, Versailles (1871).

Vallès (Jules)Courbet, portrait-charge, article paru dans Gil Blas le 9 mai 1882, reproduit dans le recueil d’articles Le Cri du peuple, Éditeurs français réunis (1953).

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).