Cette série de quatre articles constitue une présentation de La Marseillaise, quotidien qui parut du 18 décembre 1869 au 24 juillet 1870, avec une interruption de quelques jours en février 1870 (toute la rédaction était en prison) et de deux mois, de mai à juillet (le journal était « suspendu »).

Henri Rochefort (1831-1913). Homme de lettres, journaliste surtout. Crée pendant l’empire l’hebdomadaire La Lanterne (30 mai 1868) qui lui vaut rapidement une condamnation, de sorte que c’est de Belgique qu’il continue à publier son journal.

Voici un portrait par Gustave Puissant, paru dans Le Réfractaire du 10 mai 1869:

Il est maigre et bilieux, la figure longue, pleine d’angles et de trous. L’os maxillaire dessine, à l’extrémité de sa base, vers le cou, la bosse propre aux carnassiers. Le front haut et carré est coiffé d’un toupet crépu pareil à un pompon d’artilleur. Le nez est pincé; la lèvre serrée semble surveiller et mesurer la parole. Moustache fine et rare; menton aigu plaqué d’une barbiche dont ses doigts effilés roulent le bout des poils qu’il mâche entre ses dents. L’œil brun, scrutateur, mais hésitant, fauve pour ainsi dire, un peu trouble et rayé de filets jaunes et rouges, ne jette que de rapides regards et s’abaisse aussitôt. La voix claire est aigre et brève; le rire sec et gelé; le teint livide et plâtreux.

Conspirateur solitaire! bouffon menaçant! Cassius enfariné!

Examinez sa démarche: au sautillement de la jambe, au dandinement convulsif du corps, vous supposeriez un timide, un gêné.

— Ce timide, ce gêné, possède les colères et les saintes audaces de l’honnêteté. Il a osé ce que personne n’osait: parler suivant sa conscience, sans arrière-pensée, sans ménagement, sans réserve, sans peur. Las de tourner dans la chronique ainsi que fait la rosse aveugle dans son manège, et d’essuyer sa plume sur le dos des drôlesses et des benêts, il se campe carrément en pleine place du Carrousel; et là, happant au passage ceux qu’il méprise, il leur tambourinait le cuir à les faire hurler. D’un mot il éventre un mannequin, crève un portefeuille, fauche un mensonge.

Oh! oui, il sait haïr, celui-là! et sa haine a le froid et le compact du marbre. Son trait coupe jusqu’à l’os; on sent, en le lisant, le glacial du canif ouvrant le doigt. Parfois aussi sa plume, devenue féroce, fouille l’entraille [entaille?], se retourne dans la plaie et taille la chair en copeaux, comme la gouge frise des papillotes dans le bois.

Ne lui demandez pas la rondeur de la forme. Il n’a pas le temps de la raboter son dire [de raboter son dire?]; — brode-t-on les lanières d’un fouet? — il est trop pressé de leur lancer aux reins ses poignées de phrases courtes et pointues comme des clous, et de leur arracher les contorsions ridicules d’une guenon qui s’est piqué le derrière contre une épine.

Type de probité, sobre comme un ascète, ne fumant pas, ne buvant que de l’eau, un bœuf pour le travail, il écrit ses fiévreuses hardiesses dans le calme et le silence. Les ennemis ne lui manquent pas; les autres l’estiment et le respectent plus qu’ils ne l’aiment. Les gens de sa trempe n’ont pas d’amis; ils sont tout à l’idée, ils marchent seuls, mais de loin le peuple les suit.

La Lanterne pénètre en France de manières plus ou moins rocambolesques (on le trouve sur Gallica, ici — le tout petit format de ce journal en rend la lecture assez pénible, mais souvenons-nous qu’il était adapté à l’entrée clandestine, dans des enveloppes ou… des bustes de Napoléon III, sur le territoire). Son dernier fascicule est daté de Bruxelles le 20 novembre 1869.

Rochefort a tenté de se rendre à Paris pour une réunion électorale le 7 novembre, mais a été arrêté à la frontière… juste quand il le fallait pour que ce puisse être annoncé au cours de la réunion électorale.

Il est élu député comme nous l’avons vu dans l’article précédent et, de retour à Paris, décide, sans doute pas tout seul, de créer son propre quotidien (il faisait partie des cinq journalistes qui avaient fondé Le Rappel en mai 1869).

On le verra au fil des articles de La Marseillaise et de son actualité, Rochefort est un polémiste brillant, courageux, qui va accumuler les peines de prison…

Plus tard ? Il accordera un soutien critique et légèrement distant à la Commune, quittera Paris le 17 mai 1871, plus pour fuir Raoul Rigault que la répression à venir, dit-il, sera arrêté à Meaux et traité comme s’il avait été un des chefs de la Commune, déporté en Nouvelle-Calédonie dont il s’évadera en compagnie de quelques-uns de ses co-détenus. Il fondera, à l’amnistie, le quotidien L’Intransigeant, fera ensuite des choix politiques de plus en plus douteux, boulangisme, anti-dreyfusisme…

Pourtant, toujours il soutiendra, en particulier financièrement, Louise Michel. Pourtant, Émile Eudes le nommera tuteur de ses enfants…

Ses mémoires, « Aventures de ma vie », sont un bel exemple de livre d’histoire autocentré. Sur La Marseillaise et sa fondation, lire ce qu’il en écrit à côté de ce qu’explique Varlin est assez impressionnant : on ne croirait pas qu’il s’agit bien du même journal…

Mais ce sera le sujet de l’article suivant.

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La gravure est parue dans Le Monde illustré le 20 novembre 1869.