Cet article est le premier d’une série de quatre qui constituent une présentation de La Marseillaise, quotidien qui parut du 18 décembre 1869 au 24 juillet 1870, avec une interruption de quelques jours en février 1870 (toute la rédaction était en prison) et de deux mois, de mai à juillet (le journal était « suspendu »).
On le verra tout au long de l’année — puisque nous suivrons son activité quotidiennement — La Marseillaise est un journal vivant et actif, d’opposition à l’empire et même « socialiste » — on y verra les luttes des travailleurs, et notamment les grèves de mineurs et métallurgistes du Creuzot, y monter peu à peu jusqu’à occuper la première page.
On le verra aussi, la prétendue « libéralisation » du second empire avait ses limites: amendes et prison. Comme l’écrivit Victor Hugo en août à L’Éclaireur de Saint-Étienne, sanctionné après ses prises de position dans l’affaire de La Ricamarie:
À l’oppression de la presse qui était le régime de l’asservissement a succédé la persécution de la presse qui est le régime actuel. L’amende, plus la prison, telle est liberté octroyée.
Dans ces quatre articles de présentation, il y aura:
- Une présentation très rapide du contexte de l’automne 1869.
- Une description, rapide elle aussi, du rédacteur en chef Henri Rochefort.
- Une très clairvoyante explication, par Eugène Varlin, de ce qu’est La Marseillaise, du point de vue du militant ouvrier.
- Une liste complète mais rapide des rédacteurs et de leurs relations avec la Commune (et la répression de la Commune), un an et demi plus tard.
Commençons donc par le contexte politique de l’année 1869.
Élections législatives, premier acte. En 1869 ont eu lieu des élections au « Corps législatif » — ce qui serait aujourd’hui l’assemblée nationale. Elles se sont tenues le 24 mai (premier tour) et le 7 juin (deuxième tour). Les deux tours ne sont pas tout à fait suffisants : certaines circonscriptions ne sont pas pourvues. Par exemple, Gambetta, avocat républicain, a été élu à la fois par Marseille et par la première circonscription de la Seine. Il a choisi Marseille. Il y aura donc des élections partielles à Paris (quatre circonscriptions de la capitale sont concernées).
Ces élections sont suivies à Paris d’une série de provocations policières qui permettent l’arrestation de nombreux citoyens connus comme républicains (il y a une amnistie le 15 août).
Fusillade de La Ricamarie. Une mine près de Saint-Étienne. Les mineurs se mettent en grève. Le 16 juin, l’armée, utilisée comme force de police (ce n’est qu’un début…) tue au moins treize personnes, dont une enfant de dix-sept mois (… mais c’est un beau début). Justement, ces jours-là, Le Rappel est saisi, il nous resterait à lire Le Figaro (sous le titre « Troubles de Saint-Étienne ») pour y apprendre comment ces soldats (armés) ont été lâchement agressés par ces civils (désarmés)… ou alors à lire notre article « maison ».
Cette grève n’est pas un fait isolé. Comme on le verra en lisant la Marseillaise, de nombreuses grèves ont lieu dans toute la France.
Congrès de l’Association internationale des travailleurs, à Bâle. Il s’est tenu du 5 au 12 septembre. Vingt-sept délégués « de France » y ont participé, parmi lesquels je retiens ici les noms de
- Émile Aubry, lithographe,
- Eugène Varlin, relieur,
- Jean-Louis Pindy, menuisier,
- Simon Dereure, cordonnier,
- Eugène Chemalé, maître-dessinateur,
- Michel Bakounine, publiciste, délégué par… les ouvrières ovalistes de Lyon (comme ça, même si aucune femme ne participe au congrès, au moins ces ouvrières sont représentées), et qui apparaît aussi comme délégué des mécaniciens de Naples,
- Henri Tolain, graveur, qui est délégué par les boulangers de Marseille.
Il y a aussi, parmi les délégués francophones, celui qui fait le grand rapport en français (dont nous avons lu l’extrait sur La Ricamarie), Fritz Robert.
Fusillade d’Aubin. Le 5 octobre, les mineurs d’Aubin (Aveyron) ont déclenché une grève, qui a commencé à s’étendre le 6. Des « forges » (sidérurgie) accompagnent ces mines et les mineurs tentent d’inciter les « forgerons » à se joindre à eux. Le 8 octobre, l’armée, utilisée comme force de police (ce n’est plus tout à fait le début…) tire sur les grévistes, faisant quatorze morts dont un enfant et vingt-deux blessés dont trois vont mourir eux aussi (… mais c’est quand même fort). Plusieurs des survivants sont emprisonnés. Des députés républicains se rendent sur place, Victor Hugo écrit un poème… et les Sociétés ouvrières écrivent, elles aussi :
Les délégués des Sociétés ouvrières, réunis pour conclure un pacte fédératif, protestent de toute leur énergie contre les actes sanglants commis sur les travailleurs des mines d’Aubin. En présence de pareils attentats contre la vie et le droit du peuple, nous déclarons qu’il nous est impossible de vivre sous un régime social où le capital répond à des manifestations, parfois turbulentes, mais toujours justes, par la fusillade. Les travailleurs savent ce qu’ils ont à espérer de cette caste, qui n’a exterminé l’aristocratie que pour hériter de ses injustes prétentions. Était-ce pour aboutir à de tels résultats que le peuple scella de son sang la déclaration des droits de l’homme ? Les faits accomplis nous autorisent à affirmer de nouveau que le peuple ne peut attendre que de ses propres efforts le triomphe de la justice.
Parmi les signataires, on trouve notamment Augustin Avrial, Albert Theisz et Eugène Varlin.
Élections législatives, deuxième acte. La première circonscription englobe Belleville, La Villette, La Chapelle, Montmartre et même un peu plus (en termes d’aujourd’hui, dix-huitième, dix-neuvième et vingtième arrondissements). Faubourgs et quartiers populaires. Henri Rochefort, journaliste d’opposition, polémiste très populaire se disant parfois même socialiste, qui avait été battu par Jules Favre dans une autre circonscription en juin, est élu triomphalement le 22 novembre. Voir les résultats dans Le Rappel du 24 novembre.
C’est ce mouvement qui vit la création de La Marseillaise. Il semble difficile de ne pas consacrer quelques lignes à Henri Rochefort, ce qui fera l’objet de l’article suivant.
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La gravure est parue dans Le Monde illustré du 27 novembre 1869.