Le Rappel d’hier publiait cette protestation:

Les soussignés, compositeurs de la Marseillaise, protestent contre l’arrestation en masse des rédacteurs, laquelle mettant le journal dans l’impossibilité de paraître, équivaut à une confiscation.

Ils déclarent s’être mis néanmoins à la disposition de ceux des employés de la Marseillaise qui ne sont pas arrêtés.

Ils protestent contre les prétentions et la conduite de M. Towne, imprimeur, qui, sans aucun droit, s’est opposé à la continuation de la composition du journal, quoique le matériel, cédé et vendu par lui aux propriétaires de la Marseillaise, ne lui appartienne plus.

Ils font à cet égard toutes réserves, au nom des propriétaires de la Marseillaise.

Paris, 8 février 1870, onze heures du soir.

Piéron, Costet, Briard, Penot, Euvrie,

Lionnet, Favroy, Pichon, Despouy,

Fourniol, Escoffon, Breuillé, G. Dacosta

Et l’article d’Albiot se terminait par ces lignes:

Le journal ne pouvant paraître aujourd’hui mercredi, par suite du refus de M. Towne de le faire composer et tirer, les rédacteurs actuellement en liberté préviennent leurs lecteurs que la Marseillaise reprendra sa publication à dater de jeudi matin.

Il faudra un jour de plus. Nous n’avons donc toujours pas de Marseillaise aujourd’hui. 

Le Rappel daté du 11 février publie un bilan des arrestations. Voici donc ce que nous savons de nos amis de la Marseillaise:

Les arrestations

Voici, aussi exactement qu’il nous est possible de la dresser, la liste des rédacteurs de la Marseillaise qui ont été arrêtés et de ceux qui ne le sont pas encore. Pour quelques-uns de ces derniers, sur l’arrestation ou la mise en liberté desquels il y a doute, on comprendra que nous sommes tenus à une grande réserve. Mais, sauf deux ou trois qui sont dans ce cas, les renseignements sur tous les autres sont d’une exactitude rigoureuse.

Sont arrêtés:

MM. Millière, Arthur Arnould, Ch. Habeneck, Germain Casse, Dereure, Collot, Ulric de Fonvielle, Paschal Grousset, G. Puissant, Humbert, Bazire, Raoul Rigault.

On aurait arrêté aussi Mme Paschal Grousset.

Sont actuellement en liberté, malgré les bruits accueillis par plusieurs journaux:

MM. Arthur de Fonvielle, Dacosta, qui, d’abord arrêté, a été relâché, Achille Dubuc.

Aucun renseignement précis sur:

MM. Ranc, Boursin, Francis Enne, Varlin, Verdure.

Parmi les journalistes étrangers à la Marseillaise, on cite comme arrêtés:

MM. Mathorel, du Rappel; Gromier, de la Réforme; Passedouet, de la Misère; A. Lévy, organisateur des réunions de la salle Molière.

Quant à Gustave Flourens, le bruit court qu’il a quitté Paris. Dans tous les cas, il n’est pas sous les verrous.

M. Terrail, de la Réforme, est à Bruxelles.

Le nombre des personnes arrêtées s’élèverait à 300.

Pour finir cette deuxième journée sans Marseillaise, un article de Vermorel, dans la Réforme.

LA TERREUR

L’empire s’est établi par la terreur.

Il ne peut se maintenir que par la terreur.

Le 2 décembre n’a pas été une bataille contre des insurgés, ç’a été la mitraillade des passants et des curieux inoffensifs.

On a étouffé la résistance en jetant la terreur dans les esprits.

Envahir la ville par la terreur! — voilà quel fut le mot d’ordre donné par M. de Morny aux exécuteurs du coup d’État.

Tel est encore le mot d’ordre donné par MM. Ollivier et Pietri à leurs agents.

Le sang a coulé hier; mais ce n’est pas le sang des révolutionnaires; c’est le sang des femmes, des enfants, des vieillards, des citoyens inoffensifs attirés par la police dans le piège de l’émeute.

Nous assistons à une répétition des journées sanglantes de décembre.

Depuis dix-huit ans le sang des innocents égorgés pour la satisfaction de l’ambition criminelle de quelques hommes a crié vengeance contre l’empire autoritaire, et c’est sous cette réprobation que l’empire autoritaire est tombé.

L’empire libéral et parlementaire a voulu employer, dès son début, les mêmes pratiques odieuses et violentes. Le sang ne cimente pas les gouvernements. Mais si la raison d’état peut servir de justification à certaines nécessités, le sang des innocents est sur le front de ceux qui le répandent un stigmate ineffaçable qui les désigne irrévocablement à la haine des peuples.

L’empire libéral et parlementaire tombera sous la même réprobation que l’empire autoritaire et personnel.

A. Vermorel