Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

54. Samedi 12 février 1870

Nos abonnés et nos lecteurs comprendront la difficulté qu’il y a pour reconstituer en quelques heures une rédaction complète.

Nous sollicitons d’eux beaucoup d’indulgence. Nous espérons toutefois que nous pourrons promptement leur offrir un journal bien fait et pourvoir ainsi de notre mieux à ce qui peut y faire défaut aujourd’hui.

Le Gérant : J. BARBERET

Car, en effet, en deux jours, une nouvelle rédaction a vu le jour, nous venons donc de faire connaissance avec le nouveau gérant (Dereure est hors course) ;

il reçoit une lettre de Rochefort ;  

Antonin Dubost, un jeune républicain, fait l’éditorial ;

c’est « Un Patient », qui fait « la Chambre », rubrique qui commence en caractères gras par

M. Rochefort n’est pas présent. — La première circonscription de la Seine n’est pas représentée au Corps législatif.

et dans laquelle nous apprenons que, débarrassée de Rochefort, la Chambre n’en est pas moins ennuyée par Kératry et ses questions sur les Archives ;

Dubuc est présent à la une et il nous explique gentiment pourquoi ;

c’est E. Morot qui signe les nouvelles politiques ;

Émile Clerc raconte la

razzia à l’aide de laquelle on a tenté de supprimer la Marseillaise après avoir supprimé son rédacteur en chef  

et précise qu’il ne peut pas faire connaître aux lecteurs les causes de ce coup de main ;

A. Ranche [?] signe « Les Journaux » ;

personne pour aucune nouvelle du travail ni même des réunions publiques ;

Barberet un unique « Faits divers » ;

dans le (long) compte rendu analytique du Corps législatif, on voit Emmanuel Arago, Gambetta et quelques autres députés républicains s’inquiéter de l’arrestation de Rochefort et d’autres atteintes aux libertés, mais c’est l’état de siège ! ;

on continue à souscrire pour les grévistes du Creuzot ;

la mention

Pour tous les articles non signés : Barberet

apparaît en bas du dernier article.

Une lettre du

CITOYEN HENRI ROCHEFORT

Pélagie (maison de détention)

Jeudi, 10 février 1870

Mon cher Barberet,

… Ayez des collaborateurs pour la Marseillaise ; peut-être pourrai-je écrire dans quelques jours. Actuellement mes articles passeraient au greffe et je ne puis me soumettre à cette censure.

À vous,

HENRI ROCHEFORT

P.S. Je vous donne une autorisation d’être gérant, séparée de l’autre autorisation.

Contrairement à tous les usages, le citoyen Henri Rochefort est tenu à la prison de Pélagie dans une sorte de secret. Sa famille seule a pu jusqu’à présent le voir. Quant à ses amis, à ceux qui ont des intérêts divers à agiter avec lui, il leur est complètement impossible de franchir le seuil de la prison.

Lorsque nous nous sommes présentés nous-mêmes à la Préfecture de police pour obtenir l’autorisation de le voir, le chef du cabinet du préfet nous a répondu:

Tant que les amis de M. Rochefort assassineront nos officiers de paix, ils ne le verront pas!…

En vérité, c’est à se demander si ces gens-là sont méchants, ou s’ils ne sont que fous? Les hommes de Décembre, nous accuser d’assassinat! Nous ne protestons que par le dédain.

Ce n’est qu’au prix de mille difficultés que nous avons pu faire savoir au citoyen Rochefort la situation dans laquelle la Marseillaise se trouve à la suite de l’arrestation de ses rédacteurs et de ses gérants. Nous y sommes enfin parvenus, et c’est ce qui nous permet de reprendre aujourd’hui l’œuvre interrompue par la plus insigne violation des lois.

Le gérant: J. BARBERET

Le gouvernement impérial a pensé qu’il suffisait d’envoyer à Mazas tous les rédacteurs de la Marseillaise, y compris ses deux gérants, pour en finir avec cet organe du parti républicain et pouvoir offrir ses dépouilles en partage à tous ceux qu’on s’efforce d’intimider et de provoquer à la haine des démocrates.

Les hommes de décembre se sont trompés comme tant de fois depuis dix-huit ans. Il se développe de plus en plus dans notre parti un esprit de solidarité qui ne permettra plus à l’arbitraire de produire tous ses résultats. Oui, il y a, dans tous les rangs de la démocratie française, des esprits généreux, des cœurs vaillants qui chaque fois que quelques-uns des nôtres tombent au champ d’honneur, sont là pour les suppléer et savent apporter à la défense de la cause commune une ardeur et une virilité qu’ils puisent dans des convictions profondes autant que dans la conscience d’un devoir à accomplir.

De notre temps, du reste, on n’attente plus impunément à la liberté individuelle et tous ceux qui, pour étouffer une idée, portent une main audacieuse sur la tête des citoyens ou sur la propriété du travail, tous ceux qui, dans un intérêt dynastique, violent sans pudeur la conscience des honnêtes gens, ne tardent pas à subir le châtiment qu’ils méritent. Ils voient l’idée qu’ils ont combattue se fortifier et grandir, devenir la loi, et ils tombent du pouvoir non pas sous des balles d’insurgés mais sous les coups de la risée publique.

Ils ont touché à la souveraineté nationale en la personne du citoyen Rochefort, ils ont voulu frapper le parti républicain, la démocratie, le socialisme. — Leurs coups portent bonheur ; et c’est de la persécution des Républicains que naîtra la République.

Ils ont voulu tuer la Marseillaise, ils ne feront que rendre son succès plus éclatant. Il n’y a pas un homme de liberté en France qui ne soit à cette heure outré des inqualifiables procédés de la justice impériale à notre égard. Sans motifs avoués ni avouables, en l’absence de tout acte, trente ou quarante mandats d’amener sont décernés contre les rédacteurs du journal. Pendant deux jours la maison où s’imprime ce journal est une vraie souricière où tous les employés, tous les passants sont ou arrêtés ou fouillés ou brutalisés, où il n’y a de sûreté pour personne, et c’est par là qu’on a l’outrecuidance de vouloir fonder la liberté. — C’est par là, nous pouvons le déclarer, que le gouvernement parlementaire est jugé !

M. Gambetta nous a promis aujourd’hui même dans les bureaux de la Marseillaise qu’il interrogerait le ministère sur les motifs de ces diverses arrestations, en lui demandant compte des procédés insolites employés en cette circonstance.

Est-ce pour complot, est-ce pour délit de presse que les poursuites sont exercées ? Nous n’en savons rien.

M. Gambetta n’en saura probablement que le prétexte, car la cause pour nous n’est pas douteuse : on a tenu à se débarrasser d’écrivains disant des vérités gênantes et poursuivant un but plus gênant encore.

Quoi qu’il en soit, jusqu’à ce que justice ait été rendue, de quelque façon que ce soit, et que les anciens rédacteurs de la Marseillaise puissent y revenir prendre leur poste de combat, assuré du concours des hommes les plus dévoués de la démocratie parisienne, nous prenons en main dans ce journal le drapeau et la défense de l’idée RÉPUBLICAINE, DÉMOCRATIQUE ET SOCIALISTE.

ANTONIN DUBOST

LE COMPLOT

Il paraît qu’il y a complot.

S’il n’y a pas de complot on en imaginera un ; si on n’a pas assez d’imaginative [imagination?] pour cela, on mettra nos amis en liberté après quelques semaines ou quelques mois de prévention, ou l’on inventera quelque amnistie nouvelle.

Mais en attendant, il paraît qu’il y a complot.

Et l’on supprime d’un coup le journal qui a pris en main la cause des faibles et des opprimés, et le témoin de l’assassinat commis par le cousin de l’autre.

C’est là ce que le garde des sceaux appelle de la légalité.

Retenu chez moi à la suite de mes démêlés avec la brigade Villemessant [duel avec un journaliste du Figaro], j’ai échappé à la razzia du premier jour, et les collègues de M. Ollivier n’avaient pas mon adresse pour me pincer le lendemain.

Il a fallu que je la leur donnasse moi-même en envoyant ma carte à notre vaillant rédacteur en chef.

Ce matin, les collègues de M. Ollivier se sont rendus chez moi : je n’y étais plus.

J’avais fini de comploter, car lorsque je croyais m’appliquer des compresses d’eau fraîche, c’était une façon de comploter et lorsque je prenais de la tisane, c’était encore une façon de comploter ; de même que mes chers amis complotaient en rédigeant une feuille publique, vendue au grand jour, apprenant à la France entière les façons d’agir du ministre de la police et des cultes.

Donc, les amis de M. Ollivier se sont rendus chez moi, et en mon absence ont interrogé ma belle-mère et ma femme ; ils ont demandé l’âge et le nom de tout le monde, même de ma fille qui a 3 ans et de mon gamin qui a 6 mois. On ne les a pas emmenés, toutefois.

Voyez-vous ce nid de conspirateurs ! si jeunes et déjà compromis !

On a enlevé un tas de choses : un roman que je dédierai à M. Ollivier et une comédie que je dédierai à M. Piétri.

Il faut toutefois reconnaître que les collégiens de M. Ollivier sont plus polis que leur maître.

Eh bien ! je vais inspirer à M. Ollivier les craintes les plus grandes.

S’il veut arrêter tous les conspirateurs, c’est-à-dire tous ceux qui veulent le triomphe du bon sens, de la justice, de la probité, le triomphe de la République enfin, qu’il fasse mettre la France en état de siège, qu’il organise les fusillades dans tous les bassins houillers, dans tous les centres industriels, dans les villes et dans les campagnes.

Tous les Français doivent aller à Cayenne au lieu et place de M. Ollivier, qui n’a pu y arriver « par son siège au Corps législatif. »

ACHILLE DUBUC

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La photographie de Barberet par l’atelier Nadar est assez postérieure et vient de Gallica, là

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Le journal en entier et son sommaire détaillé sont ici (cliquer)

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).