L’Association internationale des travailleurs est fondée à Londres le 28 septembre 1864, par des ouvriers de plusieurs pays (dont une délégation française) venus pour un meeting en faveur de la Pologne.

Elle commence aussitôt à se développer en France, notamment grâce au soutien qu’elle apporte aux travailleurs en grève — une loi du 25 mai 1864 a reconnu les « coalitions » et les grèves se sont développées. Ce soutien se manifeste de plusieurs façons, notamment

  • en informant les ouvriers des autres pays et en leur demandant de ne pas se laisser recruter comme « jaunes » (ce mot est un anachronisme)
  • et en lançant des souscriptions internationales, en facilitant les contacts et les prêts faits par telle ou telle organisation.

C’est le cas notamment pour la grande grève des bronziers de 1867. Des délégués des grévistes accompagnés par des responsables de l’Association se rendent à Londres et les Trade Unions britanniques leur prêtent de l’argent — qui leur permet de continuer la grève… et de gagner.

Dans un mouvement qui peut sembler contradictoire avec cette loi de 1864 et avec l’autorisation des réunions publiques, qui arrivera en juin, pendant le « deuxième procès », en 1868, l’empire « libéral » part en guerre contre cette association.

Comme ce sera le cas en 1870, on hésite entre les délits de « société secrète » et d’ « association illicite ». L’Association est aussi publique que possible…

Voici une chronologie de ces « deux » procès de 1868:

  • Le 30 décembre 1867, à six heures du matin, la police perquisitionne chez plusieurs membres du « bureau de Paris » de l’Association internationale, qui sont menacés de poursuites.
  • Ces membres, qui vont être inculpés, démissionnent et font élire un nouveau bureau (appel du 19 février), qui sera donc appelé le « deuxième bureau ». Les membres de l’association votent, soit par correspondance, soit sur place, 44 rue des Gravilliers, du 28 février au 8 mars.
  • Le « premier procès de l’Internationale » commence le 6 mars. Selon une lettre lue au conseil général (à Londres), la salle est pleine de membres de l’Association. Les quinze prévenus sont Félix Eugène Chemalé (architecte), Henri Tolain (ciseleur), Jean-Pierre Héligon (imprimeur sur papiers peints), Zéphirin Camélinat (monteur en bronze), André Murat (mécanicien), Blaise Perrachon (monteur en bronze), Joseph Fournaise (ouvrier en instruments de précision), Pierre Michel Gauthier (bijoutier), Irénée Dauthier (sellier), Jean-Victor Bellamy (tourneur-robinettier), Eugène Gérardin (peintre en bâtiments), Jean-Pierre Bastien (corsetier), Victor Guyard (monteur en bronze), Jean Delorme (cordonnier).

  • Le deuxième bureau est constitué de Antoine Bourdon (graveur), Eugène Varlin (relieur), Benoît Malon (teinturier), Amédée Combault (bijoutier), Gabriel Mollin (doreur), Émile Landrin (ciseleur), Jean-Baptiste Humbert (tailleur sur cristaux), Léopold Granjon (brossier), Pierre Charbonneau (menuisier en meubles sculptés).
  • Simultanément, ces ouvriers s’occupent de collecter de l’argent pour soutenir les ouvriers du bâtiment en grève à Genève, voyez cet appel:

Un appel aux ouvriers de toutes les professions, en faveur des ouvriers de Genève, dont la grève n’a pas encore cessé, circule en ce moment dans tous les ateliers de Paris.

L’appel en question fait connaître que ces ouvriers, appartenant à tous les corps de métier du bâtiment, demandent la réduction de la durée du travail à dix heures et un salaire de 4 fr. environ, soit 40 c. l’heure ; — qu’ayant épuisé tous les moyens de conciliation amiable, ils sont réduits à cette dure nécessité : la grève, — et qu’ils ont besoin, pour la soutenir, du concours de ceux qui comprennent la puissance de la solidarité.

Cet appel porte les signatures suivantes :

C. BAYLE, passementier. — X. BOUDON, boucheur à l’émeri. — ROLLET, corroyeur. — EVETTE (Edmond), tailleur. — E. VARLIN, relieur. — MOREL, bronzier. — GAUNIN, tisseur. — DEGRANGE, chapelier. — WANDRILLE (A.), nacrier tabletier. — COUTANT, imprimeur lithographe. — CHAMBRELENT, bijoutier en or. — HOCHU, typographe. — DORPEAUX, cordier. — HAROUD (E.), imprimeur sur étoffes. — BOULLET (J.), relieur.

N.B. –Les souscriptions sont reçues chez tous les signataires ci-dessus nommés, et chez M. Varlin, 33, rue Dauphine.

  • et, ce qui énervera beaucoup les juges, Eugène Varlin réussit à transmettre « dix mille et quelques cents francs » (comme il le dira au procès) à Genève.
  • Le 13 mars:

La commission parisienne vient de se constituer. Elle prévient les adhérents que tous les soirs, de huit à dix heures, un de ses membres se tiendra au bureau, rue des Gravilliers, 44, pour fournir et recevoir tous renseignements ; elle les invite instamment à venir prendre connaissance de la situation.

MALON, VARLIN, LANDRIN, correspondants ;

MOLLIN, CHARBONNEAU, GRANJON,

HUMBERT, COMBAULT, BOURDON.

  • 20 mars, nouvelle audience du « premier procès ». Les quinze membres sont condamnés à 100 francs d’amende (chacun!) — pour association illégale.
  • Le 31 mars, la section de Paris informe le conseil général (à Londres) que son activité va continuer comme si de rien n’était et que, si le gouvernement est enclin à persévérer dans ses poursuites, elle fournira de nouvelles victimes. Mais elle abandonne la rue des Gravilliers et loue un autre local, non loin de là, 19 rue Chapon.

  • 22 avril, deuxième « premier procès » (en appel).
  • 29 avril. Un arrêt confirmatif est prononcé contre le « premier bureau ».
  • Le même jour, au Conseil général, à Londres, il est dit que le nouveau comité se réunit sans se cacher, et que le gouvernement ne sait que faire.
  • Puis les neuf membres du deuxième bureau sont inculpés, eux aussi. Les papiers d’Eugène Varlin sont saisis (ce n’est pas la dernière fois), des lettres qu’il a reçues sont utilisées pendant le procès — ce qui fait que, conformément à ce que j’ai expliqué dans l’article précédent, nous pouvons les lire aujourd’hui.
  • Le deuxième procès, c’est le procès du deuxième bureau. Ils sont cités tous les neuf, le procès commence le 22 mai. Et c’est à la célèbre (voir l’article précédent) sixième chambre que ça se passe.
  • Une défense collective est présentée par Eugène Varlin. Il en fait une superbe « autobiographie de l’Association internationale des travailleurs à Paris ». Que je citerai intégralement un jour!
  • Le tribunal « déclare dissoute l’Association internationale des travailleurs, établie à Paris sous le nom de Bureau de Paris », condamne les neuf prévenus, « chacun en trois mois de prison, 100 francs d’amende ; fixe à trente jours la durée de la contrainte par corps. »

  • Un deuxième « deuxième procès », en appel, présidé par un M. Falconnet, commence le 19 juin.

  • Et confirme les condamnations le 24 juin.

Les neuf condamnés sont incarcérés le 6 juillet et passent trois mois à Sainte-Pélagie.

À suivre!

*

L’image de couverture, je l’ai trouvée dans un livre. Elle représente Zéphirin Camélinat, qui a vécu jusqu’en 1932 et dont il existe de nombreuses photographies « en vieillard ». Dans ce livre, c’était exactement comme sur un site internet moyen: pas de nom d’auteur, pas de date, pas de source… que faire? Allez, va, je cite le livre dans ma liste bibliographique.

Livres utilisés

Procès de l’Association internationale des travailleurs — Première et deuxième commission du bureau de Paris, Deuxième édition publiée par la Commission de propagande du Conseil fédéral parisien de l’Association internationale des travailleurs, Juin 1870.

Le Conseil général de la première Internationale 1866-1868, Éditions du Progrès, Moscou (1973).

Feld (Charles) et Hincker (François), Paris au front d’insurgé. La Commune en images, Livre-Club Diderot (1970).