Nous l’avons lu dans La Marseillaise datée du 6 mai: le 30 avril 1870, à six heures du matin, la plupart des signataires du manifeste antiplébiscitaire de l’Internationale et des sociétés ouvrières, que La Marseillaise (et d’autres journaux) avait publié quelques jours auparavant (voir ici La Marseillaise datée du 24 avril), sont arrêtés chez eux et emmenés à la prison de Mazas.
D’autres, qui ne figurent pas parmi les signataires, sont aussi arrêtés, ou recherchés, comme Eugène Varlin, qui prend discrètement du large.
Les prisonniers passent un mois et demi à Mazas. Je rappelle que ce sont des ouvriers, que les jours de prison sont, forcément, des jours chômés, et que donc, pendant ce temps, leur salaire ne rentre pas à la maison. Je rappelle aussi que Mazas était une prison cellulaire, de sorte qu’ils passent ces quarante-six jours dans un grand isolement.
Finalement, ils sont interrogés par un juge d’instruction, puis relâchés, enfin convoqués devant la sixième chambre du tribunal correctionnel de la Seine. Et leur procès commence le 22 juin 1870.
Trois mots sur cette sixième chambre.
- Nous l’avons vue fonctionner tant et plus en lisant quotidiennement La Marseillaise, mais elle était déjà célèbre depuis longtemps.
- Par exemple, en 1857, elle avait condamné Madame Bovary et Les Fleurs du mal. Brillant, non?
- Et elle avait déjà jugé (et condamné) les internationalistes en 1868.
Car ce procès, celui qui va commencer, est le « troisième procès » de l’Internationale: il y en a eu deux en 1868.
Je consacrerai le prochain article de ce blog aux deux procès de 1868 et les suivants, de façon assez détaillée, à ce « troisième procès ».
Dans cet article de présentation, je veux surtout détailler les sources dont nous disposons sur ces procès. Elles sont contenues dans deux précieux petits livres, tous deux disponibles sur Gallica. Que contiennent ces livres? Comment ont-ils été publiés? C’est ce que je raconte maintenant.
- Perquisitions et saisies, dans les locaux loués par l’Association internationale (rue des Gravilliers puis rue Chapon en 1868, rue de la Corderie du Temple en 1870) et au domicile les internationalistes. La police saisit des livres de comptes, des carnets d’adresses, des lettres privées, même. Par exemple, chez Émile Aubry à Rouen sont saisies de nombreuses lettres d’Eugène Varlin.
- Ces documents servent à l’instruction d’un éventuel procès. Sur ces deux étapes, voir le « feuilleton » publié par La Marseillaise datée du 7 mai, et qui fut à l’origine de la suspension de ce journal. Ce n’était pas clair début mai, mais il y a deux procès distincts, à ne pas confondre, celui de l’Internationale, à Paris, par la sixième chambre et, en juillet, le procès « du complot », à Blois (c’est la Haute Cour, celle qui a acquitté Pierre Bonaparte, qui juge ce « complot »).
- Certains des documents saisis sont inclus dans le réquisitoire de l’avocat impérial. C’est le cas en particulier pour les (dangereuses, on s’en doute) lettres de Varlin à Aubry.
- Les réquisitoires, interrogatoires pendant le procès, plaidoiries, défenses, sont publics.
- Ici se place un coup de génie de la commission de propagande de l’Association internationale. Puisque tout ceci est public et nous fait une extraordinaire publicité, publions-le en volume et vendons-le.
D’où ces deux livres, qui paraissent assez vite, qui sont vendus pendant l’été, dont le « dépôt légal » fait arriver des exemplaires à la « Bibliothèque impériale » — devenue, après quelques transformations, notre Bibliothèque nationale de France. Qui contiennent toutes ces plaidoiries, toutes ces lettres. De sorte que ces lettres
- sont authentifiées par leur publication par les intéressés aux-mêmes,
- alors que leurs originaux ont disparu…
… car, souvenez-vous, en mai 1871, la préfecture de police et le palais de justice ont brûlé.
La commission de propagande a bien fait son travail. Ce serait le cas de d’aménager une citation souvent faite à tort et à travers: les manuscrits je ne sais pas, mais
Les livres ne brûlent pas.
Merci à Henri Bachruch et aux autres membres de la commission de propagande, qui ont peut-être pensé aussi aux historiens en faisant fabriquer ces deux livres.
*
Photographie, plus montage, plus tirage, plus gouache, le tout anonyme… l’image de l’incendie de la préfecture de police le 24 mai 1871 que j’ai utilisée en couverture a été réalisée après l’événement. Je l’ai trouvée sur le site du musée Carnavalet, ici.
Livres cités
Baudelaire (Charles), Les Fleurs du mal, Poulet-Malassis et De Broise (1857).
Flaubert (Gustave), Madame Bovary, M. Lévy frères (1857).
Procès de l’Association internationale des travailleurs — Première et deuxième commission du bureau de Paris, Deuxième édition publiée par la Commission de propagande du Conseil fédéral parisien de l’Association internationale des travailleurs, Juin 1870. Qui est sur Gallica, là.
Troisième procès de l’Association internationale des travailleurs à Paris, Le Chevalier, Juillet 1870. Qui est aussi sur Gallica, mais là.