Le détail des amendes versées par la Marseillaise en cinq mois et demi d’existence est de Cinq cent quarante huit mille vingt-deux francs, quarante-cinq centimes, le journal est réorganisé, des correspondants raconteront ce qu’ils auront vu, il y en a déjà trois aujourd’hui (de Strasbourg, de Givet (Ardennes), et de Metz, aucun de ces articles n’est signé). En attendant, « La Guerre à huis-clos » est un éditorial signé P. C., des nouvelles politiques, parmi lesquelles l’incroyable convocation d’élections municipales pour les 6 et 7 août — sauf à Paris et à Lyon, bien entendu.

Voici la liste des nouveaux membres de l’Internationale mis en accusation [je corrige, d’après la Gazette du Palais]: Charbonneau [un des condamnés de 1868], Bestetti [Bartelli (Eugène-François)], Hamet, Harlé, Michon, Landrin [pas Émile, condamné de 1868, mais son frère Léon], Légalité, H. Verlet, Delavigne, Camélinat, Dauthier, Tolain, Dupont, Dambrun, Vigouroux.

Arthur Arnould nous décrit les premiers effets de cette opération de politique intérieure qu’est cette guerre.

PREMIERS EFFETS

Il n’y a plus de politique intérieure, à proprement parler. — La guerre une fois entamée, il n’y a qu’une dictature militaire qui conduit l’armée française sur des champs de bataille où vont se jouer les destinées de la patrie.

De toutes les questions à l’ordre du jour, depuis les élections de 1869, — que reste-t-il?

Rien!

Qui s’occupe aujourd’hui des droits du peuple et de la souveraineté nationale ?

Qui s’occupe de ces libertés, — liberté de la presse, liberté de réunion et d’association, — qui sont non-seulement le premier besoin, mais encore la dignité d’une nation?

Qui s’occupe de la question du travail — des mineurs affamés, des grévistes sans pain, de tous ces problèmes poignants, auxquels la Marseillaise avait l’habitude d’ouvrir ses colonnes?

Qui songe à rendre le suffrage universel indépendant et la commune maîtresse de ses destinées?

Qui? — Un grand nombre de bons citoyens, à coup sûr, mais la voix du canon va couvrir leurs voix.

Hier, il y avait en face l’un de l’autre un peuple affamé de liberté, un gouvernement avide de pouvoir, — qui luttaient avec des chances inégales, quoique la victoire finale ne fût douteuse pour personne.

Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un général qui mène une armée au combat, et une foule qui pense au salut de la patrie.

Quant aux vrais citoyens, qui ne savent point séparer dans leur cœur le culte de la liberté et du droit, du culte de la France, ils attendent, navrés, les résultats d’une lutte qui, fatale pour nos armes, serait la déchéance, l’abaissement et l’humiliation de la patrie, — qui, victorieuse, reculera de vingt ans peut-être le triomphe de nos droits, l’événement tant attendu de la justice dans l’égalité.

Libre aux souteneurs du pouvoir, — aux complices du bon plaisir, — aux proxénètes bien rentés de toutes les dictatures, — de pousser des cris de joie à la vue des bataillons qui défilent, des tambours qui battent, des chaumières qui se vident des fils les plus vigoureux; — libre à eux de s’enivrer, — de loin, — de l’odeur de la poudre et du cliquetis des armes, dans l’espoir qu’à la première décharge la revendication démocratique, quoiqu’il arrive, tombera frappée au cœur.

Nous ne saurions partager leur enthousiasme, qui est une menace pour l’avenir, — leur joie, qui est une insulte à tous les flots de sang humain qui vont couler.

Nous avions rêvé d’autres luttes, d’autres combats, pour le peuple généreux et héroïque qui a jadis prodigué sa vie au service des plus nobles vérités.

Qu’ils gardent donc leur joie liberticide, et qu’ils nous laissent à notre tristesse civique.

Qu’ils insultent bassement la démocratie en deuil, — cette démocratie qui, seule, porte dans ses flancs la force de sauver la patrie en danger, au jour des revers, comme elle la sauva, jadis, en 1792, après le 10 août.

Nous n’en continuerons pas moins de lutter jusqu’au bout pour ce que nous croyons le bien et la vérité.

Nous ne pactiserons avec aucun de ceux que nous méprisons.

Nous n’abdiquerons notre blâme devant aucune des choses que nous haïssons.

On a déjà brisé aux trois quarts notre plume par des lois et des mesures d’exception, dont une situation exceptionnelle, et que nous n’avons pas créée, a été le prétexte.

Soit.

Avec le tronçon qui nous reste, nous continuerons d’affirmer notre foi, et, s’il le faut, nous périrons, mais nous ne replierons pas notre drapeau.

ARTHUR ARNOULD

Il y a des nouvelles, des échos, une communication ouvrière et, avant des nouvelles du mouvement social, tous les comptes rendus de Blois, le retour d’Antoine Arnaud sur la question des chemins de fer, et tout le reste, la contribution du citoyen Malon à la rubrique « Socialisme ».

Socialisme

Les semi-socialistes

L’hypocrisie de nos philanthropes s’est évertuée à chercher les causes du paupérisme et du crime.

Ils ne les ont pas trouvées. C’est tout simple.

Ces causes se réduisent à une seule : le droit économique partout violé.

(PROUDHON)

À côté des économistes préconisant, pour tout remède au mal social, leur anarchique laissez-faire, laissez-passer, qui se détruit, lorsqu’il est livré à lui-même, il a surgi, dans ces dernières années, une catégorie de socialistes pacifiques qui ont vu la pensée sociale dans la coopération. — Il est bien entendu que, par ce mot de coopération, nous n’entendons nullement tout ce qui est association.

Nous n’avons garde surtout d’appliquer ce mot aux sociétés qui ont pour but la résistance contre les envahissements du capital, et l’organisation des forces ouvrières. Que ces sociétés s’appellent trade-unions, comme en Angleterre, Sociétés de maintien du prix [?], comme en Belgique, ou Sociétés de résistance, comme en France, elles ont un but commun : la solidarisation des intérêts du travail, et sont l’espoir de la révolution future. Nous voulons simplement parler des sociétés de production et de consommation, et de la participation aux bénéfices. Nous ne dirons que quelques mots contre cette dernière forme, que personne n’a pris au sérieux.

Quelques journaux officieux l’ont seuls préconisée. Les ouvriers n’y ont vu qu’on nouveau mode d’exploitation et un palliatif hypocrite destiné à prolonger la misère du plus grand nombre. Les patrons y ont vu une atteinte à ce qu’ils appellent leurs droits, et des deux côtés ce moyen-terme a été repoussé. Nous nous en réjouissons ; les points du débat entre le capital et le travail ont conservé de ce fait leur netteté et leur précision.

La coopération a eu d’abord plus de succès. Il y a dans ces prolétaires que la bourgeoisie appelle pillards et partageux, un fond immense de mansuétude. Les mots d’affranchissement, avec respect des droits acquis, et de Révolution pacifique les séduisirent. Par centaines de mille ils se mirent à l’œuvre, avec une énergie, un dévouement, une constance, qui auraient dû produire des prodiges. Il n’en fut pourtant rien. Après plusieurs années de travail et de luttes, on eut pour résultat des efforts malheureux, des énergies lassées et découragées, et une situation sociale aussi impérieuse qu’avant.

Est-ce l’intelligence qui avait manqué aux coopérateurs ? Nous ne le pensons pas. Mais ils se sont heurtés à des difficultés économiques insurmontables.

Comment lutter efficacement contre le capital, quand on commence par proclamer le respect de ses privilèges, et par se jeter dans son tourbillon absorbant ? Une société de consommation se fonde, son capital est faible, elle devra tout d’abord, ne pouvant acheter complètement au comptant, payer une prime à l’ennemi ; elle devra subir toutes les conditions léonines des maisons de gros, et la concurrence acharnée des maisons de détail qui, n’ayant pas comme elle, obligation expresse de sincérité et d’honnêteté commerciales, pourront vendre à meilleur marché, en trichant, soit sur la qualité, soit sur le poids.

Dans cette lutte, elle est rarement victorieuse, les faits sont là, qui le démontrent. Et, en cas de réussite, quels peuvent être ses résultats les plus magnifiques ? Donner aux sociétaires, en retour d’une sollicitude de tous les jours et de corvées sans nombre, tant pour cent de bénéfices sur leur consommation. Aura-t-elle frappé le parasitisme commercial ? Nullement. Les maisons de gros qui le représentent dans ce qu’il a de plus odieux, continueront à imposer leurs conditions à ces rénovateurs impuissants. En somme, le résultat des sociétés de consommation, est une dépense en pure perte d’énergie, de dévouement et de constance, dans un moment où la cause commune a tant besoin d’énergie et d’activités.

Voilà pour la consommation.

La société de production est impossible dans un grand nombre de professions. Elle aussi, a eu son heure d’engouement. Après la révolution de 1848, que nous a-t-elle donné ? Beaucoup de déceptions, plusieurs succès partiels qui profitent à quelques ouvriers intelligents, et c’est tout. À l’heure qu’il est, on est bien revenu des illusions de la coopération, et ce n’est plus vers elle que se tournera l’activité des prolétaires.

Il est pourtant bon d’insister sur le danger qu’elle entraîne.

Comme le congrès de Lausanne l’a fort bien reconnu, la coopération, avec ses bases actuelles, ne tendrait à rien moins qu’à constituer un quatrième état d’ouvriers privilégiés, et à plonger la grande masse dans un état plus misérable qu’avant. Car — et c’est la condamnation capitale de la coopération — la majorité des travailleurs ne saurait s’associer, n’ayant rien à mettre en commun, et cent mille fois zéro, font toujours zéro.

Que ceux qui veulent s’affranchir individuellement fassent de la coopération : s’ils sont dans une profession privilégiée, ils pourront réussir. Mais tous ceux qui ne veulent pas séparer leur affranchissement de l’affranchissement du dernier des misérables, et qui veulent l’avènement de l’égalité, n’ont rien à voir avec ce moyen bâtard qui ne ferait que grossir les rangs de la petite bourgeoisie.

« L’association, disait Fourier, n’est efficace qu’autant qu’elle revêt un caractère d’universalité. »

B. MALON

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La caricature d’Henri Tolain par Gill est bien postérieure à la mise en accusation dont il est question dans cet article, elle est parue dans L’Éclipse du 9 janvier 1876, que l’on trouve sur Gallica, là. Le bronzier, qui avait participé à la création de l’Association internationale en 1864, était alors (1876) engagé dans une carrière politique fondée sur des prises de position peu honorables. D’aucuns n’hésitèrent pas à le présenter comme un Judas…

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Merci à Jean-Pierre Bonnet pour son aide avec les noms des inculpés de l’Association internationale.

Le journal complet se trouve ici (cliquer).