Dans l’impossibilité encore une fois de trouver un portrait de Marie La Cécilia, voici, en couverture de sa lettre à Louise Colet, une « belle image anticommunarde », la façon dont la bourgeoisie française se représentait les femmes comme elle.

La réponse de Marie La Cécilia à la lettre de Louise Colet évoquée dans l’article précédent paraît dans L’Égalité, journal des sections suisses romandes de l’Association internationale des travailleurs, datée du 12 août 1871. Comme toujours les textes en bleu sont mes commentaires.

Protestation

Nous recevons la lettre suivante, que nous nous empressons de publier. Nous appuyons vivement la voix éloquente d’une femme qui vient énergiquement plaider pour la juste cause contre les calomnies d’une dame.

À Madame Louise Colet

MADAME,

J’ai lu dans un journal une lettre de vous au sujet des derniers événements de Paris [des informations sur cette lettre sont données dans l’article précédent].

Vous semblez en apparence maintenir la balance égale entre la Commune et Versailles — cela est habile — mais si l’on vous examine de près on ne tarde pas à s’apercevoir que votre partialité est acquise aux prétendus sauveurs de l’ordre.

Or, Madame, il s’agit d’être logique et surtout d’être juste. En parcourant votre longue épitre, je vois que vous avez oublié d’indiquer les vrais coupables des excès que vous reprochez à la Commune et que vous avez négligé de préciser certains actes qui auraient permis de remonter immédiatement à la source de tout le mal: permettez-moi de combler cette lacune, volontaire ou non.

Qui donc a abusé pendant cinq mois la digne et fière population de Paris, lors du siège des Prussiens? — Des hommes qui siègent à l’assemblée.

Qui donc a livré Paris sans le consulter quand il y avait tant de vivres encore que la Commune en a nourri ses soldats pendant deux mois? [cette affirmation n’est peut-être pas complètement exacte] — Des hommes qui siègent à l’assemblée.

Qui donc fit mitrailler, le 22 janvier 1871, une foule innocente et désarmée qui allait demander le renvoi de généraux fanfarons et incapables? — Des hommes qui siègent à l’assemblée.

Qui donc eut peur et fut lâche et n’osa s’installer à Paris pour délibérer du sort de la France? qui donc poussa le peuple à la révolte et essaya nuitamment de lui enlever les canons qu’il devait à des souscriptions patriotiques? — Des hommes qui siègent à l’assemblée.

Paris mécontent se révolta et proclama la Commune, pouvoir nouveau et pourtant légal qui s’élevait à côté de celui du 8 Février [date d’élection de l’Assemblée « de Versailles » (d’abord à Bordeaux)].

Pouvez-vous, Madame, oublier les causes et ne voir que les conséquences, et voulez-vous accuser des victimes qui ont tout d’abord voulu défendre leurs droits contre une assemblée de septuagénaires assez crétins pour voter des prières publiques quand ils pouvaient, ayant la force, nous éviter par une conciliation qu’on leur proposait les horreurs de la guerre civile?

Est-il juste de rendre responsables des actes criminels des incendiaires, ceux des hommes, et c’était la grande majorité, qui se battaient bravement et loyalement pour la Commune, parce qu’ils croyaient ainsi mieux servir la République?

Puisque vous déclarez ne pas connaître les chefs, militaires ou civils, de la Commune, sur quoi vous fondez-vous pour les proclamer tous ineptes, incapables ou vendus?

De bonne foi, Madame, quelle peut être la valeur de votre jugement? Un peu de bon sens et un peu de modestie ne seraient pas de trop dans vos appréciations.

Certes il ne manquait pas de gens dans ce parti de la Commune qui étaient très-disposés à lui faire le plus de mal possible par leurs violences brutales, mais je vous le demande, est-ce une raison pour que tous ceux qui ont servi la Commune soient traînés aux gémonies?

De la justice avant tout, Madame, et surtout quand on veut faire de l’histoire.

Si le peuple, l’ouvrier exploité par le gros bourgeois s’y prend mal quelquefois pour réclamer ce qui lui est dû, c’est la faute du gros bourgeois qui l’a toujours tenu dans l’ignorance.

Entre nous, croyez-vous que les fusillades en bloc feront son éducation et le rendront plus souple à l’égard de ce même bourgeois?

Vous parlez de l’assassinat de Clément Thomas et de Lecomte, mais cet assassinat, on ne l’ignore pas maintenant, est l’œuvre des soldats de Lecomte.

Ces deux exécutions furent regrettables à tous les points de vue, car elles ne pouvaient que servir d’armes aux ennemis de la Commune, mais il faut un peu réfléchir à ce qui les a provoquées.

Vous vous étendez longuement sur le massacre des otages, chose encore très-regrettable, mais vous oubliez de dire que cet acte eut lieu deux [quatre ou cinq, en fait] jours après l’entrée des Versaillais dans Paris, c’est-à-dire après que les fédérés prisonniers étaient tombés par milliers sous les chassepots des bandits de Versailles.

En massacrant ainsi sans pitié ces soldats de la Commune, ces soldats désarmés, ne poussait-on pas ceux qui restaient à des actes de désespoir dont on espérait se servir un jour contre eux? C’est une simple question que je vous pose.

Ce n’est point parce que je suis la femme d’un général de la Commune que je proteste contre votre lettre, c’est parce que vous vous y faites l’écho des mensonges qu’une presse déhontée n’a que trop cherché à accréditer.

Je n’ai pour ma part jamais cru au succès de la Commune, étant sceptique de ma nature quand il s’agit de croire que le droit écrasera la force.

Plus que toute autre j’ai gémi des fautes qui ont été commises, car j’ai présagé le fruit que les ennemis de la Commune en retireraient, mais aujourd’hui, si j’ai de la satisfaction, de l’orgueil, c’est que…

Malgré l’exil, la pauvreté, la misère, malgré la perte d’un enfant qui n’a pu supporter la vie errante qui m’était imposée par une police qui nous traquait comme des bêtes fauves — bien que ma seule occupation eût été de veiller sur le berceau d’un enfant de deux mois — malgré des souffrances sans nom, des calomnies atroces dont nous avons été l’objet, il m’est doux de penser que je ne changerais pas mon sort contre celui de la femme d’un général versaillais [sur la naissance et la mort de la petite Marguerite Elisabeth Marie Pauline La Cécilia et la vie errante dont parle Marie La Cécilia ici, voir un article précédent de ce site].

Il y aurait trop de sang aux mains de mon mari et j’aime mieux l’avoir vu à la tête des braves fédérés qui ont succombé pour la défense du droit et de la justice, que de l’avoir vu commander à ces officiers échappés de Sedan qui, usurpant l’office d’exécuteurs des basses œuvres, cassaient la tête à coups de revolver à des hommes désarmés, à des femmes, à des enfants.

Je reviens aux otages: un crime n’en excuse pas un autre, Madame, toutefois ne croyez-vous pas que l’immense hécatombe de quinze mille fédérés ne compense pas assez largement la vie de 64 prêtres et gendarmes?…

Marie La Cécilia

Le 29 Juillet 1871

Les commentaires sur les otages rappellent une autre lettre de Marie La Cécilia, citée dans toujours le même article.

*

La gravure est au musée d’art et d’histoire de Saint-Denis.