Après trois articles « généraux » parus dans Le Radical sur les prisons versaillaises, voici, en trois articles aussi, l’histoire de l’arrestation de Louis Varlin, le frère cadet d’Eugène Varlin, de son procès, et des différentes prisons dans lesquelles il a été incarcéré.

*

Louis Varlin a été arrêté le 26 mai 1871, 33 rue Dauphine.

Si l’on en croit son signalement dans les dossiers, il mesurait 1,68m, avait les cheveux et les sourcils châtains, le front découvert, les yeux gris, le nez long, la bouche moyenne, le menton rond, le visage plein, le teint pâle (rien d’étonnant, il était prisonnier) et était « estropié du bras gauche » (il avait été victime d’un accident agricole à l’âge de treize ans).

Il a été prisonnier sur plusieurs « pontons » dans la rade de Brest.

Il a été extrait de « La Batterie » (il était alors sur l’Hermione) et interrogé le 29 août 1871, à sept heures du soir et à Brest. Aux questions sur son identité,

il a répondu se nommer Varlin Louis Benjamin, 27 ans, né à Claye (Seine-et-Marne) 7 mars 1844, expéditionnaire, rue Dauphine, 33.

Puis il a été interrogé.

Dans quelles circonstances avez-vous été arrêté?

— En rentrant chez moi le 26.

Pour quel motif?

— Je suppose que c’est uniquement parce que je suis frère de Varlin Louis Eugène, membre de la Commune.

Aviez-vous des armes chez vous?

— On avait fait perquisition avant de m’arrêter et trouvé un fusil et un équipement appartenant à mon frère cadet parti de Paris depuis le mois de février.

Avez-vous fait partie de la garde nationale?

— Non. J’ai le côté gauche presque complètement paralysé.

Avez-vous soutenu autrement que par les armes la cause de l’insurrection?

— J’étais percepteur dans le 6e arrondissement pendant 16 à 17 jours.

À quelle époque?

— À peu près du 4 avril au 20 du même mois.

Pourquoi avez-vous quitté ces fonctions?

— J’ai été destitué par le directeur des contributions à la suite d’un rapport qui me dénonçait comme montrant peu de zèle dans mon service.

Avez-vous ensuite occupé un autre emploi?

— Non.

C’est votre frère qui vous avait procuré cette fonction?

— Non, c’est Combault, Directeur des finances, ami de mon frère.

Voyiez-vous fréquemment votre frère du temps de la Commune?

— Très rarement, je n’avais pas avec lui des rapports fréquents.

Ne demeuriez-vous pas chez lui?

— Je l’avais seulement succédé dans son logement.

Le rapporteur près du conseil de guerre, qui s’appelait de Serres et menait cet interrogatoire, a conclu:

À retenir pour un supplément d’instruction sous la prévention d’usurpation de fonctions publiques. Les renseignements obtenus, son état mental et physique [raturé, illisible] traiter avec indulgence.

S’il recommandait de traiter Louis Varlin avec indulgence, ce ne fut sans doute pas suivi d’effet. Huit mois plus tard, celui-ci était toujours en prison et n’avait pas encore été jugé. Le 12 avril 1872, il fut à nouveau extrait d’une prison, qui était cette fois la prison militaire, à Saint-Germain-en-Laye, et interrogé par un substitut (toujours militaire) nommé Odoul.

Il a répondu à nouveau aux questions sur son identité. Les différences étaient qu’il avait vingt-huit ans, et qu’il a dû donner les noms de ses parents (feu Alexandre Varlin et Héloïse Duru), qu’il s’est déclaré désormais domicilié à Claye — et catholique.

Le substitut l’a ensuite interrogé. Le commis greffier du conseil de guerre qui a copié les questions et les réponses s’appelait Dreux. Je conserve son orthographe (sans la compléter de [sic]) — pour être complètement honnête, il semble que quelques-unes de ses fautes aient été corrigées.

Où était établit votre bureau de perception?

— Sur le quai des Augustins, n°33.

À quelle époque avez-vous commencé et finit ces fonctions?

— Je les ai commencées au commencement d’avril, vers le trois ou le quatre, et je les ait finies le vingt.

Vous devez faire erreur sur la fin de votre service qu’avez-vous fait en quittant cette position?

— Je suis resté chez moi jusqu’à la fin de la Commune sans rien faire.

Esque votre frère ainé commandant du 193e bataillon a été employé à la guerre?

— Oui, j’ai vu son nom sur des affiches.

Quel était votre commandant de service?

— C’était Combault, qui m’avait nommé là par amitié pour mon frère quoique je le connûse très peut par moi-même. Au moment où Combault ma nommé il se trouvait comme directeur des contributions directes sous les ordres de mon frère qui était alors attaché à la commission des finances avec Jourde.

Je métonne alors que sa ne soit pas votre frère qui vous ait nommé lui même; à combien se sont montées vos perceptions pendant la durée de votre service?

— Environ à un peu plus de onze cent francs.

Vous saviez servir un gouvernement irrégulier; dans quelle but avez vous remplis ces fonctions?

— Tout les employés réguliers ayant quitté leurs postes, il falait bien que leurs fonctions fussent remplies; si sa n’avait pas été par moi, saurait été par d’autres.

Si personne n’avait accepté des fonctions pareilles de la Commune, la révolution n’aurait pas duré, par concéquent vous vous rendiez avec connaissance de cause complice de ces actes. Avez-vous quelques choses à ajouter pour votre défense?

— J’ai à ajouter que si jai servi ce gouvernement c’est que j’était convaincu qu’il résultaient des provocations de celui de Versailles et que cétait lui qui représentait l’ordre.

Votre réponse montre au moins que vous avez de l’affranchisse. Le tribunal appréciera. Portiez-vous un costume et des armes?

— Ni l’un ni l’autre jétais vêtu en civil.

Lecture faite au prévenu du présent procès verbal d’interrogatoire, il a déclaré y persister et a signé avec nous et le commis greffier.

Louis Varlin a à nouveau été « extrait » le 16 avril, il a eu connaissance des pièces de l’information. Puis M. Odoul a écrit son rapport, d’où il a conclu:

Nous pensons qu’il y a lieu de mettre le nommé Varlin en accusation comme prévenu de:

1° Attentat dans le but de renverser et de changer la forme du gouvernement,

2° s’être, sans titre, immiscé dans des fonctions civiles, et avoir fait les actes de ces fonctions, crimes prévus par les articles 87 et 258 du code pénal.

Puis le conseil de guerre s’est réuni, c’était le 30 avril 1872 et à Saint-Germain-en-Laye, « au nom du peuple français ». Il a délibéré à huis clos sur les questions posées par le président reprenait ces deux accusations. À la première, a été répondu oui, par 4 voix contre 3, à la deuxième oui, par 7 voix contre 0. Le président a demandé s’il y avait des circonstances atténuantes et le tribunal a répondu non, par 4 voix contre 3.

Louis Varlin a été condamné à deux ans de prison — et aux frais envers l’état. Il a demandé la révision de ce procès, mais cela lui a été refusé, comme il le raconte dans une lettre à sa mère que je publierai dans un article suivant.

Son avocat, Maître Ballandreau, l’a écrit le jour-même à Eugène Proux, le beau-frère de Louis Varlin,

Une réponse qu’il avait faite dans l’instruction lui a beaucoup nui. Eu égard aux habitudes du 8e Conseil, il y avait à redouter une condamnation plus sévère.

Je vous engage à adresser une demande en grâce; l’infirmité de votre beau-frère et ses bons antécédents la feront peut-être accueillir favorablement.

à suivre

*

Tous les renseignements contenus dans cette page viennent du dossier de Louis Varlin au conseil de guerre, conservé au service historique de la défense, sous la cote GR8J 268, sauf la lettre de Me Ballandreau, qui vient des archives de Paris.

L’image de couverture représente les pontons dans la rade de Brest. L’Hermione est un des cinq bateaux les plus éloignés, au-dessus du chiffre 3. Cette gravure a été publiée dans Le Monde illustré le 15 juillet 1871. On la trouve donc sur Gallica, là.