Une incise dans le récit d’Émilie Noro
Émilie Noro (sous le nom de Mme N***) et Louise Michel sont les deux seules femmes interrogées par La Revue blanche lors de son enquête de 1897 sur la Commune. Sur quarante-six…
Émilie Noro, qui nous a parlé dans l’article précédent de Louise Michel à la prison des Chantiers, n’est pas mentionnée dans le livre de Louise Michel. Elle a pourtant reçu trois lettres de Louise Michel en juillet 1871, lorsque celle-ci avait été changée de prison versaillaise.
Elle a montré ces lettres au rédacteur — ou alors elle les a citées elle-même, si elle est bien l’auteur de l’article — de L’Égalité, le 24 décembre 1871 (celui qu’Émilie Noro citait dans l’article précédent):
Nous avons sous les yeux des lettres qu’elle [Louise Michel] écrivait à une de ses amies et co-détenues, après son transfert à la Correction; chacune montre l’abnégation la plus complète:
« … Donnez-vous du papier aux enfants? Écrivez-vous les lettres de nos camarades qui ne peuvent le faire? Prend-on bien soin de la folle? »
C’est ainsi qu’elle répond quand on parle d’elle.
En 1897, Émilie Noro les a confiées à La Revue blanche, qui les a publiées dans le témoignage de Mme N***.
Louise Michel avait été transférée dans une autre prison, avenue de Versailles [de Paris] n°20. J’étais restée à la prison du Chantier, sise près de la gare. Nous nous écrivions pour nous donner des nouvelles les unes des autres, lettres soumises au visa administratif naturellement.
— Avez-vous gardé de ces lettres?
— En voici quelques-unes, mais elles n’ont pas d’intérêt.
Ces lettres nous les reproduisons ci-après les jugeant caractéristiques.
Je les reproduis moi aussi, mais en les remettant dans l’ordre: si le 27 juillet Louise Michel sait que Félicie Glingamer a été libérée, la lettre dans laquelle elle en demande des nouvelles a été écrite avant…
*
7 juillet
Ma bonne amie,
Je me trouve assez embarrassée. Mme Montet la mère est malade, nous avons promis à sa fille de veiller sur elle, je dois donc la prévenir. Mais faites-le de manière à ne pas lui faire croire le mal plus grand qu’il n’est, c’est le chagrin de la séparation.
S’il arrive quelqu’un ou quelque paquet pour moi envoyez-les ici, vous me ferez en même temps passer une bouteille, la petite, le litre est cassé.
Dites-moi comment vous vous trouvez, et ne laissez pas l’ennui vous gagner… Avez-vous écrit à maman? surtout dites-lui tout ce qui peut la consoler.
Mme David a-t-elle reçu enfin son paquet?
Faites-vous toutes les lettres de ces dames et donnez-vous du papier pour celles des enfants?
Je suis fort ennuyée de penser que vous êtes restée sans argent. Dites-moi si votre mère est revenue.
Embrassez pour moi toutes nos amies et dites à celles qui pensent à moi combien je désire la fin de leurs ennuis.
Bien des choses à Marie Drée, à ces dames qui venaient près de nous, je serre la main à tout le monde.
Louise Michel
Tâchez qu’on n’oublie pas la folle.
*
Bien chère amie,
Votre lettre nous est enfin parvenue. En fait de détails sur notre vie, les seuls c’est que nous pensons beaucoup à vous, que les sœurs sont très polies, et que le travail de la bijouterie nous distrait. Mais, en fait de nouvelles de vous, il nous les faut toutes. D’abord j’embrasse tout le monde, même les méchantes; il va sans dire que j’embrasse doublement mes amies. Pauvre grondeuse, vous devez vous ennuyer. Tâchez de mettre la patte sur quelqu’un qui ait mon caractère, cela vous distraira. Que dernièrement Mmes Nesle, Marie Drée, Jeanne l’ambulancière, David, tant d’autres, qu’il me semble voir autour de moi, et dont les noms m’échappent tant on vit rapidement et comme dans un rêve par l’époque actuelle.
Je vous envoie tout mon cœur; surtout étant séparées, on sent combien les amitiés de prison sont vives.
Écrivez-nous le plus promptement que vous pourrez; donnez-nous de vos nouvelles à toutes je vous en prie, n’oubliez pas la dame aux histoires de piété, ni Félicie Glingamer, Mme Comte, ni celles des nouvelles qui me connaîtraient par hasard; n’oubliez pas la grosse Lucie si elle ne taquine plus les autres, et Victorine.
Je vous embrasse encore pour nous toutes.
Louise Michel
Félicie a écrit à Mme Ménier, elle n’a pas reçu de réponse. Écrivez-vous les lettres de ces dames? Donnez-vous du papier aux gamins? Écrivez-vous leurs lettres? Donne-t-on à manger à la folle?
*
27 juillet 1871
Chère amie,
Pourquoi ne répondez-vous plus? Êtes-vous encore à la gare? [c’est-à-dire aux Chantiers, prison proche de la gare, qui s’appelle aujourd’hui Versailles-Chantiers] Nous ne pouvons le savoir car la prisonnière qui vient de nous arriver ne sait pas quelles sont celles qui sont parties, ni celles qui sont arrivées depuis notre départ, dites-le nous.
Vous avez Mariani Gilquin, n’oubliez pas de l’embrasser pour moi et pour Félicie Chantereine et Mme Gueguen. Nous n’avons pu malheureusement avoir de ses nouvelles, car vous ne répondez jamais.
Pourquoi ne demandez-vous pas à venir avec nous? On travaille, cela aide à passer les longues journées.
Nous vous embrassons comme nous vous aimons.
J’ai su que Félicie Glingamer était en liberté; est-ce que cette pauvre Hortense n’y est pas? Dites-moi aussi si Marie Drée est partie. Du reste je vois bien que vous nous oubliez toutes deux pour être aussi longtemps sans répondre. Quant à nous, nous n’oublions personne. Dites à Mme Nesle que maintenant avec ses lunettes elle peut très bien écrire.
Ne nous oubliez pas auprès de nos bonnes amies, et une poignée de mains à toutes les personnes.
Nous vous embrassons.
Louise Michel, 20 rue de Paris
Est-ce que Mme Dijon m’a oubliée? Mme David est-elle encore là? Toutes ces dames qui aiment à s’occuper s’ennuieraient moins ici. Mme Gueguen a reçu une lettre de son mari. Je n’oublie pas Victorine, ni Justine, ni personne.
*
Mme Montet la mère, et donc aussi Mme Montet la fille, Mme David, Marie Drée, Mme Nesle, Jeanne l’ambulancière, la dame aux histoires de piété, Félicie Glingamer, Mme Comte, la grosse Lucie, Victorine (peut-être la Victorine Georgey dont Émilie Noro parle dans un article suivant), Mme Ménier, Mariani Gilquin, Félicie Chantereine, Mme Gueguen, Hortense, Mme Dijon, Justine… que de femmes ignorées!
*
La photographie est due à Appert, elle représente une femme prisonnière à Versailles et nommée Judith David, peut-être la Mme David dont il est question ici. Je l’ai copiée sur le site du musée Carnavalet, là.