Outre ses interventions au congrès ouvrier du Havre, qui ont fait l’objet de l’article précédent de cette série, Paule Minck a eu de nombreuses occasions de discourir en public au retour d’exil.

Un sympathique policier a eu la bonté de nous dresser une liste des villes dans lesquelles elle s’est rendue en 1880 avant le Havre, de sorte que je n’ai plus qu’à la recopier (en espérant que ses sources étaient sérieuses),

Lyon, Saint-Chamond, Valence, Grenoble, Vienne, Arles, Aix-les-Bains, Montélimar, Évian, Bagnols, Saint-Étienne, Tarare, Dijon, etc.

et là elle fait, dit le même policier,

des conférences socialistes, dans lesquelles elle fait à sa façon l’histoire de la Commune, se mettant en rapport avec les groupes révolutionnaires, cherchant à en organiser là où il n’en existe pas.

Après le Havre, elle passe le mois de décembre 1880 à Paris, où elle donne un nombre incroyable de conférences, ou de discours, avec Louise Michel et d’autres, j’en ai relevé quelques-unes (dans L’Intransigeant et dans les rapports policiers):

  • le 1er décembre, à la salle Rivoli, 104 rue Saint-Antoine, elle parle de « Liberté, égalité, fraternité » en, dit La Justice du 4 décembre, « un long discours contre l’opportunisme et les opportunistes » qui se termine par « la République sera sociale ou ne sera pas », Léonie Rouzade parle de « la société de l’avenir » et Louise Michel de « la femme à travers les âges »
  • le 10 décembre, à la salle de la Renaissance, 198 avenue de Choisy, elle parle de « Liberté, égalité » et Louise Michel de « la femme à travers les âges »,
  • le 11 décembre, salle des Écoles, 3 rue d’Arras, avec le concours du citoyen Blanqui et de la citoyenne Louise Michel, « L’émancipation de la femme », par la citoyenne Paule Minck, « Le capitaine au mur », chanté par le citoyen Carrier, « La révolution au XIXe siècle », par le citoyen John Labusquière, avec des intermèdes par la fanfare de Montsouris. Ici je ne résiste pas à citer un rapport policier:

La réunion qui a eu lieu ce soir dans la salle des Écoles, rue d’Arras 3, au profit des condamnés de la manifestation Ferré [au cimetière de Levallois, pour l’anniversaire de l’exécution de Théophile Ferré, le 28 novembre], a attiré un grand concours d’auditeurs, la plupart convenablement vêtus [ouf!].

On ne voit pas de personnages politiques.

La salle est comble.

Marie Ferré est à la caisse, à l’entrée.

La femme Dalang est assise à la tribune; elle prend des notes.

Il n’y a pas de bureau. Blanqui préside de fait. À ses côtés sont assises Louise Michel et Paule Mink.

Leur arrivée, à 8h50, est accueillie par les cris de: « Vive Blanqui! Vive Louise Michel! Vive la Révolution sociale! » Toutefois, la moitié des assistants s’abstiennent. Les gens venus « pour voir » seulement les orateurs annoncés sont assez nombreux; il y en a qui ont des jumelles de théâtre.

La séance est ouverte à 9 heures.

La fanfare joue La Marseillaise.

Blanqui remercie les assistants d’être venus.

Il fait l’éloge de Louise Michel et dit que les hommes ne doivent pas avoir de honte de sa laisser commander par des femmes, comme elle qui a défendu la France.

[Je passe le discours de Blanqui et celui de Louise Michel, on en trouvera un résumé dans le livre À mes frères, et passe à un « deuxième rapport ».]

Mme Paule Mink fait une conférence sur l’émancipation de la femme.

Elle examine la position sociale de la femme à toutes les époques. « Libres, fortes et guidant les hommes avant César, on la voit, dit-elle, devenir peu à peu la proie du clergé et tomber entièrement dans sa domination. »

Elle profite de ce passage de sa conférence pour dire que la Sainte Vierge est une femme « méprisable à tous les points de vue, qui avait des amants avant d’être mariée, et qui a eu ensuite une telle conduite que les hommes ne veulent pas avouer qu’ils s’appellent Joseph ».

Elle dit qu’à l’époque des croisades, pendant que les seigneurs guerroyaient en Palestine, les femmes se faisaient courtiser par les prêtres et par les troubadours.

Elle parle de Jeanne d’Arc, « la Louise Michel » de son époque, et arrive à Napoléon 1er qui, par le code civil, a rejeté la femme dans un honteux esclavage.

Elle réclame l’émancipation absolue de la femme, et termine en disant que l’on ne l’obtiendra que par la Révolution.

« Je tiens, dit-elle, à vous déclarer que je ne veux pas qu’il y ait dans votre esprit le moindre doute sur la destination des recettes de nos réunions [Le prix d’entrée était de 50 centimes.]. Les conférences que mon amie Louise et moi faisons en ce moment ont pour but de payer les dettes d’un journal socialiste disparu (Vive la Révolution sociale! Vive la Commune!) ».

On lit une lettre des détenus (affaire de la manifestation Ferré) qui déclarent faire litière des peines prononcées contre eux, mépriser leurs juges et remercier leurs amis qui leur ont envoyé des secours.

La séance continue.

  • Le 15 décembre, elle est à la salle Favier avec Louise Michel,
  • le 17 à la salle Rivoli, avec Blanqui et Louise Michel (si je lis bien l’article dans L’Intransigeant daté du 19, Blanqui était très fatigué et le citoyen Perron a pris la parole à sa place). Paule Mink parle de « La question du mariage »,
  • le 19, elle est à la salle Favier et « demande l’union des socialistes sur le terrain de la candidature exclusivement ouvrière » (dans cette période, on prépare les élections au conseil municipal de Paris).
  • Le 21, à la salle Rivoli, « avec le concours du citoyen Blanqui et de la citoyenne Louise Michel. Programme: instruction et obligation, par la citoyenne Paule Mink, les groupes d’études sociales, par le citoyen Robelot, les nouvelles couches sociales, par la citoyenne Léonie Rouzade, Liberté, égalité, fraternité, par le citoyen Émile Gautier […] »
  • Le 23, salle Arnold, 161 boulevard de la Gare, la réunion est organisée par le comité révolutionnaire du 13e arrondissement, Paule Minck parle de « le Peuple, ce qu’il a été, ce qu’il est, ce qu’il doit être », Louise Michel est là elle aussi,
  • le 26, c’est annoncé salle de la Réunion, avec Rochefort, Olivier Pain et Alphonse Humbert, Louise Michel et Paule Mink parlent de la libre pensée. C’est un dimanche, donc on a le temps pour deux réunions, et en effet, il y en a une autre, à la salle Ragache, au profit des amnistiés.
  • Le 27, dans la même salle, c’est au bénéfice de la propagande anti-cléricale, Louise Michel, Paule Mink et Blanqui. Pour le vieux révolutionnaire, c’est la dernière réunion.
  • Janvier 1881… L’Intransigeant daté du 6 janvier 1881 (je rappelle que ce journal est daté du lendemain) annonce une réunion le 5 janvier, à laquelle doivent participer Louise Michel et Paule Mink, et que c’est « la dernière à laquelle prend part la citoyenne Paule Mink, qui doit partir le 8 pour la province, où elle doit faire une série de conférences de propagande jusqu’au 18 mars ».

J’ai un sérieux doute que cette réunion ait eu lieu, puisque le 5 janvier se sont déroulées, dans une foule énorme, les funérailles d’Auguste Blanqui, première manifestation publique et première apparition publique du drapeau rouge après l’amnistie des communards (et donc depuis la Commune), au cours desquelles, on le sait, Louise Michel a fait un vibrant discours. Et Paule Mink n’a pas parlé… Bien que mandatée par six villes du Midi, elle ne put prononcer un mot, bien que le peuple l’ait dégagée de la foule à deux reprises. Elle n’est pas la seule à n’avoir pas pu parler.

  • Toujours est-il que Paule Mink (de l’Union des femmes socialistes) était sans doute encore à Paris le 12 janvier, puisqu’elle était annoncée participer encore à une réunion salle des Écoles, au profit des grévistes de Sotteville-les-Rouen, où elle devait parler de l’industrialisme moderne, après Louise Michel et avant la citoyenne Rouzade et le citoyen Fouché — si l’on en croit La Justice datée du 13 janvier. Ce 12 janvier était aussi le jour des obsèques d’Albert Theisz, qui avait rendu compte des interventions de Paule Mink au congrès du Havre.

En tout cas, Paule Mink a fini par aller faire ses conférences de propagande en province: c’est au Havre qu’elle a présidé, toujours avec Louise Michel, le banquet anniversaire — dix ans après — du 18 mars (voir L’Intransigeant, daté du 22 mars).

Et, bientôt, elle se retrouve à Marseille… et en prison. Mais ce sera l’objet d’un article suivant!

*

La photographie, bien classique, de Marie Ferré, Louise Michel et Paule Minck qui, bizarrement, n’était pas encore arrivée sur ce site, a été prise (chez un photographe) peut-être à la fin 1880. En tout cas, les trois femmes ont été ensemble à ce moment, comme on le voit dans cet article.

J’ai utilisé les journaux (comme indiqué), des rapports provenant des archives de la Préfecture de police (dossiers Ba 1178 et Ba 1074) pour lesquels je remercie Pierre Nourissier, et quelques informations provenant des livres suivants.

Dommanget (Maurice)Auguste Blanqui au début de la IIIe république (1871-1880) dernière prison et ultimes combats, Mouton (1971).

Michel (Louise)À mes frères, anthologie de textes poétiques et politiques, Libertalia (2019).