Aujourd’hui, 1er mai, pas de manifestation. Merci à Paule Minck de me donner l’occasion de le célébrer — comme on le verra à la fin de cet article.

Qui est le dernier (au sens de la chronologie, mais il y en aura d’autres!) article de cette série consacrée à Paule Minck.

Nous l’avions laissée à Paris et au Havre au début de 1881.

Nous la retrouvons à Marseille le 15 mai de cette même année. Pour un meeting de soutien à Jessa Helfmann — qui avait participé à l’attentat du 13 mars contre le tsar Alexandre II et qu’il s’agissait de sauver de la pendaison, à laquelle elle était condamnée, l’argument en sa faveur étant qu’elle était enceinte. Le meeting est interdit. Et se transforme en manifestation. Un journal réactionnaire, pour changer, Le Gaulois du 17 mai 1881:

MARSEILLE

La manifestation, avec drapeau rouge en tête, porté par la citoyenne Paule Minck, a cru de son devoir de pousser ses cris et ses hurlements sous les fenêtres du consulat général de Russie « À bas le Tzar! vive Jessa Helfmann! » Une partie de la population communiste de la ville a menacé de briser à coups de pierres les carreaux du consulat général.

Cette nouvelle, arrivée hier à l’Ambassade russe à Paris, a peu ému le personnel, qui a fait la part des exagérations de ces hallucinés, pris de vin, qui n’ont pas hésité à marcher derrière des femmes. Où la galanterie, même communiste, ne va-t-elle pas se nicher ?

On se le demande, en effet… Voilà qui coûte un mois de prison à notre héroïne. Comme elle n’est pas française (!), elle risque même l’expulsion vers… la Russie. C’est à Lyon qu’elle épouse, le 8 décembre 1881, pour obtenir la nationalité française (re-(!)), un camarade anarchiste et mécanicien, Maxime Négro. Celles et ceux qui se souviennent des trois (?) mariages de Paule Minck avec son premier mari (voir le premier article de cette série) seront contents de savoir qu’aucun de ceux-ci n’est mentionné dans cet acte d’état-civil. Celles et ceux qui se souviennent des deux petites Mignon et Hena (voir ce même premier article) seront contents de savoir qu’elles sont reconnues par Maxime Négro et légitimées pas ce mariage.

La mariée est enceinte. C’est à Montpellier qu’elle met au monde, le 18 mai 1882, un petit garçon… dont vous chercheriez en vain l’acte de naissance dans le registre de cette ville. Pourquoi? Eh bien, le père l’explique lui même dans une lettre que L’Intransigeant publie dans son édition du 28 mai — et que voici.

Nous avons reçu hier de M. Negro-Minck, mari de Mme Paule Mink, la conférencière socialiste bien connue, communication de la lettre suivante adressée à M. le ministre de la justice :

Monsieur le Ministre,

Je viens porter à votre connaissance que, m’étant présenté à la mairie de Montpellier, à deux reprises différentes dans la journée du 19 et dans celle du 21 mai, accompagné des deux témoins soussignés, pour faire la déclaration réglementaire de la naissance de mon fils, je me suis vu refuser l’inscription de l’enfant sur les registres de l’état civil par la raison que les noms que je voulais lui donner: Lucifer, Blanqui, Vercingétorix n’étaient pas conformes aux prescriptions de la loi, qui ne permet, paraît-il, de puiser des noms que dans le calendrier grégorien ou dans l’antiquité.

Eh! quoi, M. le ministre, il ne sera pas possible à un père de donner à son enfant les noms qu’il voudra?… Il nous faudra, nous pères et mères de famille socialistes et libres penseurs, faire porter à nos enfants des noms ridicules ou odieux, pris dans le calendrier catholique ou dans l’histoire des empereurs romains, et nous ne pourrons pas honorer la mémoire de ceux qui sont chers à notre parti et à l’humanité en donnant à nos enfants les noms respectés et aimés des apôtres de l’affranchissemont du peuple ou de la lutte héroïque soutenue par nos ancêtres pour la liberté gauloise.

Ainsi, il est naturel, d’après la loi, d’appeler nos enfants, Ocali, Pancrace ou Canigande, César ou Messaline, et il nous sera interdit de les nommer Vercingétorix, Sacrovir ou Velleda, Théroigne, Marat ou Danton ?

Je viens donc, M. le ministre, m’élever contre les abus d’une loi absurde et tyrannique, digne des temps de la réaction et non de la République, et je vous déclare que, voulant protester contre les préjugés religieux et affirmer mes sympathies pour les grands vaincus de toutes les oppressions, je maintiens à mon fils les noms que je veux lui donner.

Et je pense, M. le ministre, que vous ferez savoir à l’état civil de Montpellier d’avoir à accepter mes déclarations telles qu’elles ont été faites par moi dans les délais voulus.

(Suivent les signatures de Mme Paule Minck-Negro, de M. Maxime Negro Minck, père et mère de l’enfant [mère et père…] ; de MM. B. Balideyron et L. Forestier, témoins).

L’affaire n’a pas le temps de se résoudre et c’est le registre des décès qui accueille l’enfant sans prénom et sans acte de naissance, un mois et vingt jours après sa naissance:

La situation se reproduit à la naissance le 21 février 1884 d’un deuxième garçon, qui ne s’appelle pas Spartacus Blanqui Révolution comme le désiraient ses parents, mais Maxime, comme son père et comme le dit un jugement le 25 août — cette fois le tribunal a eu le temps de statuer…

La situation financière de Paule Minck est très précaire ces années-là. Et elle mène une vie épuisante. Elle continue à donner des conférences un peu partout à Paris et en province — au départ de Montpellier — et pas en TGV, je me permets de le rappeler. Sans parler d’un assez long séjour en Algérie, notamment dans la région d’Oran (Marscara, Perrégaux — qui s’appelle aujourd’hui Mohammadia) où elle part à la fin de 1884.

Au fil des années, son père (1882) et sa mère (1887) meurent, sa fille Anna se marie (1889), elle part pour Paris avec ses filles Mignon et Hena (1893), puis est rejointe par son mari et leur fils. Elle est toujours dans la misère et déménage sans cesse.

Il semble que leur situation financière s’améliore. On dit qu’elle écrit dans Le Socialiste, mais je n’ai pas été capable de trouver sa signature. Elle apparaît dans la liste des collaborateurs de L’Aurore dès octobre 1897. Il est possible qu’elle s’occupe de la rubrique « Libre pensée » mais sa signature est rare… Son mari est employé à l’administration du journal. Cette collaboration sous-entend bien sûr une prise de parti dreyfusarde (confirmée ci-dessous).

En 1901, ils habitent à Auteuil, 3 rue de Billancourt (aujourd’hui rue Claude-Terrasse). Elle est encore très active. Je lis dans le Gil Blas du 27 janvier 1901:

Et Mme Paule Minck ; la meilleure des femmes, mais quel organe perçant et quelle violence de gestes! Sous les coups de sa main sèche, gantée de fil noir, le pupitre tremble.

Elle donne toujours des conférences, le 14 février par exemple, sur « La morale cléricale et la morale sociale ». Elle participe au trentième anniversaire du 18 mars, elle est encore annoncée, sur « L’émancipation féminine » à Saint-Ouen le 27 avril… mais elle meurt le dimanche 28 avril, à sept heures du matin. Elle a soixante et un ans.

Allez, puisque j’ai mentionné l’Affaire Dreyfus, après le quotidien réactionnaire avec lequel j’ai commencé cet article, voici une ordure réactionnaire:

La conférencière dreyfusarde révolutionnaire Mme Paule Minck est décédée hier matin à Auteuil à l’âge de soixante et un ans.

Mme Paule Minck était née en Pologne [à Clermont-Ferrand]; dès 1866 [1868] elle prit la parole dans les réunions publiques. Elle fut mêlée au mouvement communaliste et, plus tard, pour éviter d’être expulsée, épousa un Français, M. Négro.

Depuis, elle organisa de nombreuses réunions publiques où elle prononça des discours ardents sur le collectivisme.

De race juive, dit-on, Mme Paule Minck fut, dans ses dernières années, une des plus ardentes amazones du traître Dreyfus.

(Ça s’appelle La Libre parole, c’est daté du 29 avril 1901. Pour mémoire, à cette date, les acteurs de l’Affaire Dreyfus — et notamment les coupables — sont amnistiés, mais Dreyfus, qui est toujours considéré comme coupable, ne sera réhabilité que cinq ans plus tard.)

Je vous rassure, l’ensemble de la presse est plutôt élogieux pour Paule Minck. Ses funérailles ont lieu le 1er mai et la traversée de Paris, du Point-du-Jour au Père-Lachaise, servit aussi de manifestation du 1er mai (qui n’était ni férié ni chômé en ces temps reculés). Voici le compte rendu de La Justice (numéro daté du 2 mai 1901):

Les obsèques de Mme Paule Minck ont donné lieu, hier, à une importante manifestation socialiste.

Dès midi, des groupes nombreux stationnent devant la maison mortuaire, 3, rue de Billancourt, au Point du Jour. Dans les couloirs, plusieurs couronnes de fleurs et de perles, de grandes dimensions, où le rouge domine, sont déposées.

À midi et demi, un millier de gardiens de la paix sont placés en réserve au boulevard Exelmans.

On remarque parmi les couronnes, celles envoyées par le comité révolutionnaire russe. À midi quarante, un corbillard de 8e classe arrive. MM. Touny, Noriot, Descaves, organisent le service d’ordre. À une heure, le cercueil est placé sur le char funèbre et recouvert d’un drap rouge.

Derrière : MM. Vaillant, Bénézech, Fournière, Lisbonne et Susini.

La départ a lieu à une heure cinq. Quand le cortège se met en marche, on crie : Vive la sociale.

Dans le cas où des incidents se produiraient, M. Lépine [un des prédécesseurs du préfet de police Lallement] a pris des mesures d’ordre tout à l’ait exceptionnelles.

À la Bourse du Travail, le service était assuré par les gardiens de la paix de trois arrondissements [troisième, dixième, onzième — nous sommes place de la République…], sous les ordres de MM. Grillières, commissaire de police divisionnaire; Jean, officier de paix du dixième arrondissement, et Blot, officier de paix du troisième arrondissement.

À Billancourt [c’est à Paris, mais rue de Billancourt], le service est, assuré par de nombreux agents sous les ordres de M. Noriot, commissaire de police divisionnaire.

Au Père-Lachaise, le service était dirigé par MM. Mouquin, sous-directeur de la police municipale; Bouvier, commissaire de police divisionnaire, ayant sous leurs ordres les gardiens de la paix de trois arrondissements ; une compagnie des réserves et trois compagnies de gardes à pied.

Des gardes à cheval étaient en outre placés sur les différents points que devait parcourir le cortège [Je m’étonne franchement que notre préfet de police ne se réclame pas de ce Lépine.].

[…]

Après l’incinération du corps et les discours de quelques socialistes, l’urne a été placée au colombarium et les assistants se sont dirigés vers le mur des fédérés, pour y déposer des couronnes. L’Internationale retentit de nouveau, les cris de « Vive la commune », « vive la révolution » sont poussés plus violemment que jamais, mais la colonne des manifestants se heurte à une force policière considérable. Les gardes municipaux font la haie, et les agents en force, barrent le passage. Ce n’est que par petits groupes qu’on leur permet de défiler sans cri devant le mur des fédérés. Deux ou trois arrestations sont opérées pour contraventions à cet ordre. La sortie s’est effectuée sans incident.

En fait, il y a bien eu des bagarres. Forcément, avec tous ces policiers…

J’ai le sentiment que la militante révolutionnaire aurait apprécié l’hommage rendu par l’importante présence policière.

Et ce sera notre 1er mai à nous! Avec une petite surprise pendant le week-end…

*

La photographie utilisée en couverture appartient à la famille de Paule Minck. Elle est une version de bonne résolution d’un détail de la photo de famille que voici, prise vers 1894 (le palmier indique Montpellier alors que la date indique Paris)

et sur laquelle on voit Paule Minck en haut au centre (elle aurait alors environ cinquante-cinq ans) et au premier plan sa fille Hena et le futur mari de celle-ci, Henri Jullien. Je remercie encore une fois Pierre Nourissier, arrière-petit-fils de Hena et Henri, pour toutes les informations contenues dans cette série d’articles, et plus spécialement aujourd’hui pour cette photographie.