Je continue ici à raconter l’histoire de Paule Minck. Dans l’article précédent de cette série, nous étions arrivés au départ de Paule Minck en exil en Suisse après la Commune.

Genève1871. Je passe assez vite sur les années de la proscription. Elle est membre de la Société des proscrits, sa fille Anna est avec elle, son frère Jules l’a rejointe (mais il est arrêté au cours d’un voyage à Paris en 1874, déporté en Nouvelle-Calédonie où il meurt en 1878), elle mène différentes activités militantes, elle a deux filles, Mignon, née à Berne le 10 janvier 1874, et Héna, née à Genève le 31 janvier 1876. Elle accompagne la sage-femme déclarer la seconde naissance — le fils légitime de Jean-Baptiste et Émilie Noro est, lui, déclaré par le père accompagné d’Eugène Razoua et d’Eugène Protot. Il semble qu’elle vive, avec ses trois filles, dans une assez grande misère. Noter que son dossier en conseil de guerre a été perdu par les archives de l’armée…

Lyon, Paris1880. Elle rentre en France après l’amnistie des communards (pour mémoire, la loi d’amnistie n’est finalement votée que le 11 juillet 1880).

Le Havre1880. Elle se rend au congrès ouvrier du Havre, et c’est ce qui va occuper la plus grande partie de cet article. Je laisse la parole à Albert Theisz, qui rend compte de ce congrès dans L’Intransigeant. Le retour n’a pas été si simple qu’on l’imagine peut-être, pour les exilés de la Commune. Voici la séance d’ouverture.

La citoyenne Paule Mink demande la parole pour discuter le rapport; on lui répond que le rapport est voté; elle veut parler sur la fixation de l’ordre du jour, on l’en empêche, sans donner aucun motif. Et cependant, le bureau est obligé de reconnaître que la citoyenne Paule Mink est reçue comme déléguée, mais on lui interdit la parole pour éviter les personnalités. Ainsi, voilà une citoyenne dont le mandat a été accepté, et à qui on ferme la bouche, sans que les délégués sachent ce qu’elle devait dire, autrement que par supposition.

Cette conduite indigne un délégué, le citoyen Lehoux, des typographes de Rouen, qui demande la parole sur l’ordre du jour et cède ensuite son tour à la citoyenne Paule Mink.

Celle-ci peut enfin parler, mais à peine a-t-elle dit quelques mots pour nous faire connaître les incidents qui se sont passés dans la journée, qu’elle est interrompue par les plus bruyantes et les plus violentes exclamations. De tous côtés, on injurie, on insulte cette femme qui, depuis plus de douze ans, s’est dévouée à la propagande socialiste; des délégués, qui ignorent même son nom, la traitent d’agent bonapartiste. On lui interdit de nouveau la parole, on lui signifie d’abandonner la tribune; elle refuse et prend une chaise pour s’installer sur l’estrade d’où on prétend la déloger.

Alors un tumulte indescriptible! Presque tous les délégués sont debout, menaçant, montrant le poing. Expulsez-la, crie-t-on de toutes parts. Enlevez-la de la tribune! ajoutent les plus violents.

Nous avons craint un moment que des invectives on en vînt aux coups; nous avons craint, nous l’avouons avec honte, que quelque furieux portât la main sur la citoyenne Paule Mink. La levée de la séance a seule mis fin à cette malheureuse scène.

Theisz a inclus la liste des incidents qui s’étaient produits à l’ouverture du congrès et contre lesquels elle voulait protester  à la suite de son article. Je vous laisse regarder ces détails à la page 3 de L’Intransigeant du 17 novembre 1880. Et la suite dans le numéro du 18 novembre, le congrès se scinde en deux, ceux qui pensent qu’il n’y a plus de classes dans la République et le congrès « collectiviste », et c’est dans ce dernier que, le 17 novembre,

La citoyenne Paule Mink a prononcé un discours très applaudi en faveur de la propriété collective.

Elle précise elle-même, le 18 novembre qu’il n’y a pas que des collectivistes, mais que le congrès est « socialiste ouvrier » (dans L’Intransigeant du 21 novembre). Voici son intervention (toujours rapportée par Theisz, on va voir qu’il est assez enthousiaste) lors de la séance du 20 novembre (L’Intransigeant du 22 novembre):

La citoyenne Paule Minck, qui a été saluée à son arrivée à la tribune par de nombreux applaudissements, sorte de protestation du public havrais contre la conduite de ceux qui l’ont insultée dans la séance de dimanche au cercle Franklin, commence son discours par la même citation de Proudhon, qui dans son temps effraya la bourgeoisie: la propriété, c’est le vol. Et elle démontre que la propriété n’a pas d’autre origine. La propriété a été établie par la violence, exemple la conquête de la Gaule par les Francs, conquête par les armes, par le sang, par la violence. Puis, plus tard, la propriété a été conquise par la fraude et par la débauche, moyens de fortune qui ont réussi de tous temps. Vient la Révolution qui proclame les droits de l’homme et du citoyen, qui met la main sur les biens des classes privilégiées, mais pour remettre ces biens dans la poche de quelques gros bourgeois, banquiers, fournisseurs, riz-pain-sel [intendance de l’armée]. À présent, la spéculation s’empare de la propriété, le code à la main. Le code ne reconnaît-il pas que la propriété obtenue par les moyens les plus frauduleux est, au bout de dix ans, une chose bien acquise?

Et quels sont donc les résultats de la propriété individuelle ainsi constituée?

Le rapport du docteur Cruveilhier nous apprend que sur mille naissances, il meurt 345 enfants parmi les pauvres et 42 seulement parmi les riches. La propriété est donc non seulement cause de vol, mais encore cause de mort, d’assassinat/ (Applaudissements prolongés.) J’ai remarqué [là, c’est Theisz qui parle…] que lorsque le citoyen Kuhn a prononcé le mot assassinat, il a effrayé quelque peu la salle. À présent on applaudit. Ce que c’est que de bien savoir présenter les choses!

La citoyenne Paule Mink, rappelant que la somme de 70 centimes a été souvent donnée comme le chiffre de la répartition journalière par individu de la fortune de la France, est convaincue que cette somme peut s’élever de beaucoup au-delà. Mais, en prenant le chiffre actuel, combien sont donc obligés de vivre avec moins de 70 centimes pour laisser à quelques-uns la fortune scandaleuse que nous voyons aujourd’hui. On a dit que la richesse était du travail accumulé, mais c’est le travail accumulé des autres.

C’est un préjugé de croire que la propriété individuelle est indispensable pour le progrès de l’humanité. La propriété a eu d’autres formes dans le passé et elle se transformera dans l’avenir. La propriété individuelle disparaîtra pour le bonheur des hommes comme ont disparu la dîme, les droits du seigneur et la royauté. Les paysans même commencent à ne plus s’effrayer du collectivisme.

On nous accuse d’être des révolutionnaires, mais la révolution n’a pas besoin de nous pour agents. Elle vient fatalement; poussée par les événements qui, actuellement déjà, déterminent la disparition rapide de la petite bourgeoisie. Or, voyant venir cette révolution, nous voulons être prêts à son jour.

Le discours de la citoyenne Paule Mink a été fort bien dit, avec une chaleur communicative, il a soulevé à plusieurs reprises des applaudissements prolongés. L’oratrice expose clairement, puis c’est avec une voix émue qu’elle a fait le parallèle des morts parmi la classe riche et parmi le prolétariat. Enfin, elle avait de l’enthousiasme pour nous parler de l’avenir qu’elle entrevoit.

Le 21 novembre, elle intervient encore, cette fois pour parler des femmes. Toujours le même rédacteur.

La citoyenne Paule Mink prend la parole pour étudier le salaire des femmes, et elle aborde la question, qui est bien celle à l’ordre du jour, d’une façon saisissante. Les salaires des hommes sont dérisoires, c’est vrai, dit-elle; mais ils paraissent encore raisonnables auprès des salaires des femmes. On a limité la durée de la journée du travail des hommes; le travail de la femme n’a pas de limites. Elle est prise à l’atelier, elle est prise à la maison, sans cesse, sans relâche, et, avec tout cela, elle ne peut vivre sans un soutien, complément direct, père, frère ou mari, si elle vit en famille, protecteur, amant, si elle vit seule.

La citoyenne Paule Mink donne ensuite quelques détails sur ces couvents industriels où la religion et la spéculation sont associées; elle explique les moyens employés par les bonnes religieuses pour obtenir de leurs exploitées la plus grande intensité de travail. Le drapeau bleu est pour les ouvriers habiles, et pour le travail supérieur, comme prix d’excellence, on donne le drapeau rouge. Cette façon d’exciter l’émulation rapporte de beaux bénéfices aux entrepreneurs, mais elle crée une concurrence écrasante pour les malheureuses ouvrières libres.

Legouvé déclare que le salaire de la femme ne dépasse pas 248 fr. par an, et il trouve que c’est assez pour manger. Mais alors, où la femme trouvera-t-elle pour se vêtir, se loger, etc. C’est à la débauche qu’elle sera obligée de demander le supplément indispensable pour vivre. La place de la femme est au foyer, à condition cependant que le père de famille gagne assez pour l’entretien de sa famille.

L’orateur conclut à la suppression du salariat et se déclare communiste anarchiste. Puis, répondant à la question un peu chauvine du discours du citoyen Goulette, elle affirme la solidarité des peuples et dit: La revanche que nous comprenons, c’est de porter en Allemagne l’esprit du socialisme, l’esprit de la révolution française. (Applaudissements prolongés.)

Nous l’avons tou•te•s remarqué, Theisz ne signale pas d’ « applaudissements prolongés » au discours sur les femmes… Paule Minck préside la séance du 22 novembre, « De la femme ». Je vous laisse lire le contenu des débats dans L’Intransigeant daté du 24 novembre. Je passe même l’intervention de la citoyenne Rouzade. Tout à la fin, Paule Mink, présidente, prend la parole.

Malgré les qualités qu’elle a déployées encore une fois, elle m’a paru moins originale que dans les discours précédents, il faut dire aussi qu’elle paraissait extrêmement fatiguée, et que la dure besogne de la présidence dans une séance semblable n’était pas faite pour la remettre de ses fatigues. Elle a eu cependant un grand succès lorsqu’elle a dit: « Si vous voulez avoir des citoyens, émancipez la femme pour qu’elle devienne la véritable compagne de l’homme, pour qu’elle puisse lui dire: Va en avant, va toujours, et si tu meurs je saurai te venger ou te suivre.

(à suivre)

*

L’image de couverture est un des croquis dessiné par un des envoyés de L’Illustration, et reproduit dans une grande planche (dont voici une mauvaise photographie) dans le numéro du 4 décembre 1880. Il y a trois croquis de Paule Minck et un de Léonie Rouzade. L’article de ce journal est extrêmement condescendant — on condescend à parler de ces gens, mais c’est pour se moquer d’eux. De Paule Minck, sachez qu’elle était en chapeau à plumes, tragique, la plainte lamentable, le cri violent, ou alors en chignon, cheveux épars… passons.