Voici la partie « numérique » d’un beau « rapport d’ensemble », établi par un militaire à Versailles le 9 février 1872. Je l’ai trouvé aux Archives de la préfecture de police, dans le dossier Db 420, mais il provient bien de l’armée et il y en a un exemplaire au « Service historique de la défense » (cote Ly 7). Comment les versaillais voyaient les communardes… Où l’on en apprend peut-être plus sur les uns que sur les autres… Mes commentaires en bleu.

Si on veut tirer quelques enseignements de la pénible mission que nous venons de remplir, il convient de voir, d’abord, dans quelles Classes la Commune est allée chercher des agents ou des partisans.

1051 femmes ont été déférées au 4e Conseil de Guerre et appartiennent aux catégories suivantes:

[Le 4e conseil de guerre a été formé en août 1871. Il a « jugé » des femmes, mais pas seulement. Par exemple, c’est lui qui a condamné Verdaguer à mort le 18 novembre 1871 pour l’ « assassinat » des généraux (il a été exécuté le 22 février 1872), c’est lui qui a « jugé » Blanqui les 15 et 16 février 1872, et aussi Pottier et bien d’autres hommes. Il n’a pas non plus jugé « toutes » les femmes, puisque c’est devant le 6e conseil de guerre qu’ont comparu Louise Michel en décembre 1871 et Marguerite Lachaise le 9 janvier 1872.]

État

Mariées, vivant avec leur mari, 221

Mariées, vivant en concubinage, 117

sous-total  338

Veuves, vivant seules, 7

Veuves, vivant en concubinage, 76

sous-total 83

Célibataires, vivant seules, 82

Célibataires, vivant en concubinage, 302

Célibataires soumises à la police, 246 [en d’autres termes, prostituées]

sous-total  630

Profession

Propriétaires, 1; concierges, 4; institutrices, 4; sages-femmes, 3; maîtresses d’hôtel, 10; maîtresses de café, 3; marchandes de vin, 18; marchandes et fabricantes, 11; fruitières, 16; modistes, 43; demoiselles de magasin, 3; corsetières, 37; culottières, 44; giletières, 38; couturières en robes, 26; passementières, 13; fleuristes, 22; piqueuses de bottines, 31; gantières, 29; costumières, 4; cartonnières, 11; matelassières, 49; blanchisseuses, 57; lingères, 39; repasseuses, 43; marchandes de journaux, 5; femmes de ménage, 56; gardes-malades, 16; domestiques, 85; journalières 78; sans profession, 246.

[Soit « soumise à la police » n’est pas une profession, soit toutes ces femmes avaient une profession, dont 246 étaient des prostituées??? Ou alors, les deux occurrences du 246 sont une coïncidence et ces « femmes soumises » avaient toutes un (autre) métier. En tout cas, les classes auxquelles ces femmes appartiennent sont assez claires…]

Nationalité

Françaises, 1032; Prussiennes, 5; Italiennes, 2; Belges, 6; Espagnoles, 1; Suisses, 1; Polonaises, 4.

[Voyons maintenant les condamnations.]

Ordonnances de non lieu: 850

Dessaisissements au profit de la Justice Civile: 23

Évacuées sur des maisons de santé: 4

Décédées: 6

Mises en jugement: 33

À juger: 135

[Le nombre des non-lieu a fait tiquer l’auteur du rapport lui-même, et il a ajouté une petite note à ce sujet. Ne riez pas!]

Le chiffre des ordonnances de non-lieu pourrait paraître excessif et faire supposer que les arrestations des femmes ont été décidées à la légère. Cette réflexion, cependant, ne serait pas fondée, car il existait des charges contre presque toutes les inculpées. Nous avons dû tenir compte, pour les non-lieu, des antécédents, de la durée de la prévention, et des causes qui ont entraîné la plupart de ces malheureuses dans l’insurrection.

[Venons-en maintenant aux jugées où à juger.]

Sur les 33 femmes jugées,

15 ont été acquittées,

4 condamnées à la peine de mort,

1 condamnée aux travaux forcés à perpétuité,

6 à la déportation dans une enceinte fortifiée,

1 aux travaux forcés à temps [combien?],

1 à la déportation simple,

2 à la réclusion,

3 à l’emprisonnement.

[Je résume: 80% de non-lieu parmi les prisonnières, 45% d’acquittement parmi les jugées… et 4 condamnations à mort.]

La plupart des 135 femmes restant à juger sont très compromises; les procédures sont à peu près terminées et elles pourront être traduites devant le conseil de guerre d’ici au 1er Avril prochain.

[Parmi les femmes que le 4e conseil a « jugées » après l’écriture de ce rapport, Nathalie Lemel, certainement « très compromise », le 10 septembre 1872. Difficile d’être sûre qu’elle soit parmi les 135: la liste des professions ne contient aucune ouvrière du livre (ni brocheuse ni relieuse) et la liste des états ne comporte aucune femme mariée vivant seule et séparée de son mari.]

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Après ces données numériques impressionnantes, les commentaires du capitaine Briot feront l’objet de l’article suivant.

Je signale l’existence de la mise en ligne récente d’une base de données sur la répression judiciaire de la Commune de Paris (Centre Georges Chevrier, CNRS et Université de Bourgogne), à laquelle je consacrerai un autre article.

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L’image de couverture, que j’ai déjà utilisée dans un autre article, est un portrait de Nathalie Lemel, extrait de la couverture de la bédé Des graines sous la neige, dessinée par Laëtitia Rouxel sur un scénario de Roland Pichon.