Après les données numériques sur les 1051 femmes « jugées » par le quatrième conseil de guerre, voici le rapport en bonne et due forme du capitaine Briot. Comment l’armée versaillaise voyait les femmes de la Commune, suite…
On remarquera l’absence totale de référence au pétrole. Ni ce mot ni le mot pétroleuse n’apparaît ici. Par contre, le mot Lesbienne (avec sa majuscule), y est…
Presque toutes les prévenues joignaient, à l’ignorance la plus complète, le manque de sens moral. Ainsi, une cantinière, établie avec sa compagnie dans une église, accepte d’un fédéré une nappe d’autel qu’elle vient de voir arracher de l’autel même. Elle enlève la dentelle, peut-être très riche, mais qui ne pouvait pas lui servir, et emporte la nappe pour s’en faire des mouchoirs. Interpelée sur ce fait, elle dit, avec un accent de profonde sincérité:
ce n’est pas moi qui avais volé la nappe; je ne croyais pas mal faire en acceptant.
Toutes, ou à peu près, sont perdues de mœurs, même les femmes mariées. Une de ces dernières s’est fait inscrire à la police, comme fille publique, sur les conseils de son mari avec qui elle a continué à vivre, rapportant au domicile conjugal le produit de sa honteuse industrie.
Parmi les femmes séparées de leurs maris, les unes vivent en concubinage, d’autres sont soumises à la police, et donnent pour excuse l’abandon dans lequel elles se trouvent.
La dernière catégorie, celle des célibataires, est la plus nombreuse; sur le chiffre de 82 vivant seules nous avons remarqué une vingtaine de jeunes filles dont la conduite n’est certainement pas exempte de tout reproche, mais qui méritent, néanmoins, de ne pas être confondues avec leurs co-détenues.
Malheureusement elles sont sur le chemin du vice, et y tomberont un jour. À moins d’un miracle, elles sont destinées à devenir des prostituées, ou à former plus tard des faux ménages. Les autres, au nombre de 610 par conséquent, se livrent toutes, jeunes ou vieilles, à la débauche et à la prostitution. Il faudrait une plume à part pour retracer l’existence de ces créatures avilies ou dégradées. L’une d’elles vit avec deux individus, cousins germains, et partage chaque nuit leur lit commun. Une autre, maîtresse d’un commissaire de police de la Commune et entretenue, en même temps, par un négociant, fait une véritable théorie sur le commerce galant:
L’homme qui ne paie pas, dit-elle, n’entre point en ligne de compte et ne saurait être considéré comme un amant.
Enfin, un grand nombre se livrent aux honteuses passions dont les Lesbiennes ont révélé les secrets.
Beaucoup de ces misérables n’ont pas de domicile, et couchent, sous des noms d’emprunt, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, après avoir racolé les passants. Elles échappent le plus souvent à la surveillance de la police et aux exigences imposées aux filles en carte, notamment aux visites des médecins.
Voilà de quels éléments se sont servis les hommes du 18 mars; examinons maintenant comment ils ls ont attirées à eux.
L’immense majorité, d’après ce qu’on vient de voir, était facile à gagner. Il suffisait en effet de faire briller à leurs yeux la perspective du désordre. De plus, beaucoup d’entre elles, séduites par les théories du socialisme développées dans les clubs et les réunions publiques depuis la loi du 6 juin 1868, crurent qu’une ère nouvelle allait s’ouvrir. La paresse, l’envie, la soif de puissances, inconnues et ardemment désirées, contribuaient à les aveugler, et elles se jetèrent à corps perdu dans le mouvement révolutionnaire qui devait les engloutir. Nous n’avons pas à développer les diverses causes que nous venons d’indiquer, car elles appartiennent à un ordre philosophique trop en dehors de notre cadre, mais nous pouvons consigner les remarques que nous avons faites dans le cours de nos instructions.
La garde nationale, dans le siège de Paris contre les Prussiens, avait multiplié les emplois de cantinières. Lors de la fédération des bataillons, beaucoup de ces femmes suivirent les troupes insurgées, sans savoir de quoi il s’agissait; d’autres furent attirées par la solde et les profits qu’elles étaient appelées à retirer de leur commerce; d’autres enfin, en acceptant une commission, crurent avoir trouvé le moyen d’empêcher leurs maris ou leurs amants de combattre contre les troupes de l’ordre.
Après les cantinières, viennent les ambulancières, les barricadières, les employées des fourneaux et des hôpitaux et enfin la catégorie, très nombreuse, des femmes qui avaient pour mission de rechercher et dénoncer les réfractaires.
Toutes ces femmes étaient recrutées par les comités, dits de vigilance, organisés dans chaque arrondissement, et qui recevaient leurs instructions et leurs mots d’ordre du comité central de l’union des femmes, siégeant à la mairie du 10e arrondissement, sous la présidence de Mademoiselle Demitrieff.
Pendant le siège de Paris, ce comité central avait été d’abord une sorte de Direction d’ateliers coopératifs, organisés sur le modèle donné par les communistes, et dans lesquels le salaire était remplacé par une part dans les bénéfices. Ainsi la citoyenne Poirier, qui succéda à Louise Michel comme présidente du comité de vigilance du 18e arrondissement, avait, pendant le siège, un atelier dans lequel elle avait réuni jusqu’à 80 à 100 ouvrières.
La Commune une fois établie, les adhésions devenaient très faciles. Il suffisait, pour cela de placarder des affiches promettant du travail à toutes les personnes qui en manquaient. Puis, quand les ouvrières se présentaient, on leur tenait à peu près ce langage:
Nous vous avons promis effectivement de l’ouvrage, et nous vous en donnerons, mais nous avons à lutter, en ce moment, contre le capital et les riches qui cherchent à étouffer la Commune. Nous serons certainement vainqueurs, mais nous avons besoin, pour cela, du concours de toutes les intelligences, de tous les bras.
Nos pères, nos maris et nos frères combattent pour le but glorieux que nous poursuivons, c’est-à-dire l’affranchissement des travailleurs. Nous leur devons nos soins, c’est à nous de penser leurs blessures. Il nous faut des ambulancières. Enfin nous, femmes, nous avons des droits à revendiquer; pourquoi n’offririons-nous pas notre sang et notre vie pour la sainte cause? Il nous faut aussi des soldats et des ouvrières pour les barricades, dans le cas où les Royalistes de Versailles réussiraient à entrer dans Paris.
Et alors, trompées par les grands mots, par la perspective de la solde, des allocations de vivres, et l’espoir, surtout pour l’avenir, du fameux droit au travail [ces messieurs sont, comme nos dirigeants, pour la « liberté » du travail], les unes se faisaient inscrire comme ambulancières, d’autres comme barricadières. Puis, un beau jour, elles étaient prises d’un véritable enthousiasme et juraient de défendre au besoin la Commune, les armes à la main, en lisant cette proclamation affichée sur tous les murs de la Capitale [et publiée dans le Journal officiel daté du 8 mai]:
Au nom de la Révolution sociale que nous acclamons, au nom de la revendication des droits au travail, de l’Égalité, de la Justice, l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés proteste de toutes ses forces contre l’indigne proclamation aux citoyennes affichée avant-hier et émanant d’un groupe de réactionnaires.
La dite proclamation porte que les femmes de Paris en appellent à la générosité de Versailles et demandent la paix à tout prix.
Non, ce n’est pas la paix, mais bien la guerre à outrance que les travailleurs de Paris viennent réclamer!
Aujourd’hui, une conciliation serait une trahison. Ce serait renier toutes les aspirations ouvrières acclamant la rénovation sociale absolue, l’anéantissement de tous les rapports juridiques et sociaux existant actuellement, la suppression de tous les privilèges, de toutes les exploitations, la substitution du règne du travail à celui du capital, en un mot, l’affranchissement du travailleur par lui–même.
Six mois de souffrances et de trahison pendant le siège, six semaines de lutte gigantesque contre les exploiteurs coalisés, les flots de sang versés pour la cause de la liberté, sont nos titres de gloire et de vengeance !
La lutte actuelle ne peut avoir pour issue que le triomphe de la cause populaire…
Paris ne reculera pas, car il porte le drapeau de l’avenir. L’heure suprême a sonné ! Place aux travailleurs ! arrière, leurs bourreaux ! Des actes ! de l’énergie !
L’arbre de la liberté croît, arrosé par le sang de ses ennemis!
Toutes unies et résolues, grandies et éclairées par les souffrances que les crises sociales entraînent à leur suite, profondément convaincues que la Commune, représentant les principes internationaux et révolutionnaires des peuples, porte en elle les germes de la Révolution sociale, les femmes de Paris prouveront à la France et au monde qu’elles aussi sauront, au moment du danger suprême, aux barricades, sur les remparts de Paris, si la réaction forçait les portes, donner, comme leurs frères, leursang et leur vie pour la défense et le triomphe de la Commune, c’est–à–dire du peuple !
Alors victorieux, à même de s’unir et de s’entendre sur leurs intérêts communs, travailleurs et travailleuses, tous solidaires, [par un dernier effort, anéantiront à jamais tout vestige d’exploitation et d’exploiteurs. Vive la République universelle! Vive le travail! Vive la Commune!] jouiront en paix des bienfaits de la République sociale! [ce dernier membre de phrase n’est pas dans le texte original.]
Plusieurs membres des comités se laissèrent prendre aussi par la promesse d’un emploi de directrice d’atelier. Elles l’avouent très franchement, et restent convaincues que la Commune triomphante eût tenu ses engagements envers elles et leurs compagnons.
Il nous reste à dire quelques mots de celles qui étaient chargées de faire la chasse aux réfractaires et d’exciter à la guerre civile. Celles-là n’ont agi, généralement, que pour assouvir des vengeances ou des haines particulières.
Quelques-unes tenaient aussi à se montrer reconnaissantes envers la Commune, qui leur donnait de l’argent et leur procurait ainsi les moyens de vivre sans rien faire.
D’autres enfin obéissaient au besoin de crier et d’insulter, qui paraît inhérent à certaines natures de femmes. Elles n’en étaient pas moins très dangereuses, très redoutées; et elles n’ont pas peu contribué, par leur violence, leurs vexations et leur audace, à terrifier le parti de l’ordre et des honnêtes gens.
En résumé, les causes, selon nous, qui ont entraîné les femmes dans le mouvement révolutionnaire du 18 mars, sont:
- L’état de concubinage, de démoralisation et de débauche de la classe ouvrière;
- La réglementation si défectueuse de la prostitution; le manque de surveillance des agents spéciaux de la police;
- L’admission à Saint-Lazare, et le maintien ensuite dans la capitale, de créatures dont les antécédents et la corruption sont un danger permanent pour les mœurs et la tranquillité publique;
- Les théories dissolvantes du socialisme, les réunions et les clubs, les publications immorales et obscènes;
- Enfin, les manœuvres de l’Internationale, et l’organisation presque complète, pendant le siège, des divers éléments qui devaient conduire à l’établissement de la Commune.
Versailles, le 9 février 1872
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Après Nathalie Lemel pour la couverture de l’article précédent, Elizabeth Dmitrieff pour celle de celui-ci. Puisque ce monsieur la cite!